Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, la loi du 18 décembre 2003 a entériné le transfert de la gestion du RMI de l'État au département.
Nous nous étions à l'époque opposés à une telle mesure.
En effet, nous estimions et estimons toujours que la décentralisation du RMI est une profonde injustice, non seulement parce qu'elle rompt le lien qui, par la Constitution, garantit à nos concitoyens l'attention et la solidarité nationale auxquelles ils ont droit, mais aussi parce qu'elle permettra demain une prestation à géométrie variable, selon la richesse des départements ou la politique qu'ils mènent.
Ainsi, un président de conseil général peut décider quasiment seul - il désigne en effet, lui ou son exécutif, les membres des conseils départementaux d'insertion et des commissions locales d'insertion - de la suspension de l'allocation. Le risque est alors d'assister au glissement progressif d'un dispositif universel vers une aide sociale départementale, donc facultative, susceptible, à terme, d'être remise en cause. La création du RSA qui nous réunit ce soir s'inscrit dans cette logique.
Rappelons également que cette première application de la décentralisation impliquait aussi des transferts de personnels de l'État vers les départements.
Or le transfert du RMI ne s'est pas accompagné des moyens adaptés permettant aux départements d'exercer leurs responsabilités dans toute leur plénitude. La loi du 18 décembre 2003 prévoyait pourtant qu'une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, leur serait octroyée pour assurer le financement du dispositif.
Dès le premier exercice, les recettes ont été inférieures aux charges liées au versement de l'allocation. Il en est résulté un déficit proche de 430 millions d'euros. Aujourd'hui, ce déficit approche le milliard d'euros.
Ce phénomène s'explique par la forte croissance du nombre de RMIstes. Ainsi, depuis le 1er janvier 2004, le nombre d'allocataires a augmenté de 30 % en Seine-Saint-Denis, ce qui représente 10 000 allocataires de plus entre décembre 2003 et novembre 2005.
Cette hausse est en partie imputable à la dégradation du marché du travail, dégradation que vous n'avez cessé de poursuivre. Nous aurons l'occasion d'en discuter.
Cette hausse résulte également de la réforme de l'UNEDIC, qui a entraîné une augmentation du nombre de chômeurs non indemnisés et le basculement plus fréquent et plus précoce de demandeurs d'emploi vers le dispositif du RMI.
L'enquête de l'UNEDIC que vient de révéler sur la lutte contre la fraude et les abus des chômeurs laisse penser, monsieur le haut-commissaire, que la réforme du contrôle des chômeurs entraînera inévitablement, elle aussi, un basculement presque mécanique vers les minima sociaux.
Aujourd'hui, l'État doit plus de 1 milliard d'euros aux départements pour la gestion du RMI. Ce dispositif coûte 6 milliards d'euros.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que l'expérience n'a pas été concluante et que la gestion du RMI doit revenir à l'État.
C'est la raison d'être de l'amendement n° 95 rectifié, qui reprend une proposition de loi que le groupe communiste républicain et citoyen avait déjà faite en ce sens. Elle avait été discutée à l'occasion d'une question orale avec débat. Nous en avions alors longuement débattu avec M. Mercier.
Nous pensons que seule l'abrogation de la loi de 2003 permettrait de redonner pleine compétence à l'État pour mener l'action en faveur de l'insertion des ménages les plus vulnérables, au moment même où certains prônent l'unification des minima sociaux et leur transfert intégral aux collectivités départementales, comme en témoigne ce projet de loi.
Sur le fond, la solution réside dans l'éradication du chômage, ce qui passe par la mise en oeuvre d'une autre politique économique nationale et européenne, fondée sur une sécurité en matière d'emploi et de formation.
Avec quel financement, me demanderez-vous ? Il suffit simplement d'augmenter les ressources publiques, grâce à une fiscalité plus juste et plus efficace. Hélas, les dispositions du projet de loi dont nous discutons depuis mardi vont dans la direction opposée !
Je rappellerai simplement au Sénat que la diminution de l'ISF se chiffrera à 50 milliards d'euros en cinq ans, soit cinq fois le déficit de la sécurité sociale !
Les mesures prévues dans le présent texte, qui sont autant de cadeaux aux plus nantis, coûteront 13 milliards d'euros au budget national. Ces mesures sont-elles vraiment des priorités ?
Bien sûr, ces sommes sont à rapporter aux 25 millions d'euros dont vous bénéficierez, monsieur le haut-commissaire, pour expérimenter le revenu de solidarité active. Vous me répondrez que vous avez bien souvent entendu ce type d'argument ! En tout cas, cela montre combien le fait de traiter ce dossier dans le cadre du présent projet de loi pose problème. Je le dis franchement : j'aurais souhaité que l'on parlât d'une manière plus naturelle de l'ensemble des minima sociaux, qui sont au nombre de dix. Nous aurions alors pu avoir un débat de fond.
Le coût de la diminution de l'impôt sur les sociétés s'élèvera, quant à lui, à 450 millions d'euros. C'est justement ce que devait l'État aux conseils généraux en 2004 pour le RMI !
Vous me direz que je mène encore une bataille d'arrière-garde, mais le problème aujourd'hui, c'est l'émergence, depuis cinq à dix ans, de ceux que l'on appelle les travailleurs pauvres. En France, aujourd'hui, on peut avoir un emploi et ne pas pouvoir faire face aux besoins essentiels dans la vie.
Nous souhaitons donc profiter de ce débat pour poser, avec cet amendement, les problèmes de façon plus générale.