Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour discuter de sujets apparemment techniques mais, en réalité, éminemment politiques et, sur cet aspect des choses, je ne peux que marquer mon accord avec Mme Bricq, mais c’est pour le moment le seul point sur lequel je la rejoins.
Avec la crise, il est clair que le Parlement doit se réapproprier des matières laissées trop volontiers à des instances d’expertise, sans vraie légitimité.
Le mérite de l’initiative de nos collègues du groupe socialiste est de nous amener, d’un côté, à faire le point sur des convergences transpartisanes et, de l’autre, à être bien au clair sur les lignes de clivages qui caractérisent notre hémicycle et qui sont indispensables à toute vie politique bien organisée.
Je rappellerai tout d’abord que, sur l’initiative des présidents Gérard Larcher et Bernard Accoyer, un groupe de travail commun de vingt-quatre parlementaires – douze députés et douze sénateurs – s’est réuni à de nombreuses reprises et, à la demande du Président de la République, a formulé des propositions pour chacune des récentes sessions du G 20 : Washington en novembre 2008, Londres en avril 2009, Pittsburgh en septembre dernier.
Les notes que nous avons ainsi établies sous la houlette bienveillante de Jean Arthuis et de Didier Migaud reflétaient un consensus entre nous, par-delà les sensibilités qui sont les nôtres.
Par ailleurs, la commission des finances s’est saisie des sujets qu’il nous est proposé de traiter au cours de la présente séance, et le groupe de travail interne à la commission des finances du Sénat vient de publier un rapport dans lequel sont formulées cinquante-sept propositions.
Sur la base d’une analyse commune, le groupe de travail a insisté sur la nécessité de renforcer la supervision, de limiter la procyclicité et les effets du risque systémique, ainsi que de réintroduire la responsabilité et le prix du risque ; tout cela constitue aujourd’hui, sur ces sujets si délicats, si essentiels, notre patrimoine commun, si je puis m’exprimer ainsi.
Je voudrais évoquer également le programme de réformes des services financiers qui se situe au plan européen.
Au mois d’avril, sur la base du rapport de Jacques de Larosière, la Commission européenne a annoncé un programme de réformes. La proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui se rattache à l’une des propositions de directive qui s’intègrent dans cet ensemble.
La commission des finances s’est saisie, le 7 octobre dernier, de cinq autres textes européens qui visent en particulier à mettre sur pied trois autorités européennes de surveillance prudentielle.
Le rapport d’information du groupe de travail interne à la commission des finances que j’évoquais il y a un instant prend position sur l’ensemble des textes actuellement en cours d’élaboration au sein de la Commission, textes qui vont suivre le cheminement de la codécision au sein des instances communautaires. Je parle bien de l’ensemble des textes et non pas seulement de la proposition de directive à laquelle se rattache la présente proposition de résolution, que je vais maintenant évoquer.
En premier lieu, la proposition de directive européenne sur laquelle cette proposition de résolution prend appui vise à intégrer au droit communautaire les dernières préconisations de la réglementation dite de « Bâle II ».
Cette réglementation prend place dans le domaine de la définition des fonds propres des banques et des institutions financières. Ces fonds propres doivent garantir la solvabilité d’un établissement financier et, in fine, les dépôts et les investissements des clients et des partenaires de l’institution financière ou de la banque en question.
Actuellement, le régime qui s’applique est celui du ratio Mac Donough ; il est en cours d’évolution et le chiffre guide à retenir, c’est le ratio de 8 % des risques pondérés.
Toutefois, la crise a révélé les insuffisances et les faiblesses de la réglementation prudentielle qui s’applique actuellement.
Cette réglementation est tout d’abord apparue procyclique. En effet, en période d’euphorie financière, les banques ajustent le niveau de fonds propres de telle sorte qu’elles ne détiennent que le minimum de fonds imposé par la réglementation.
En revanche, lorsque la conjoncture se retourne, les contreparties peuvent faire massivement défaut. Les banques ont alors besoin d’augmenter leurs fonds propres, d’améliorer leur solvabilité afin de respecter les règlements. C’est justement dans une conjoncture déprimée ou de crise que les banques ont besoin de fonds propres supplémentaires. Or c’est là que le capital est plus rare et plus cher, ce qui crée un cercle vicieux aux conséquences potentiellement dramatiques.
La seconde faiblesse des règles actuelles tient à leur incapacité à prendre en compte les produits les plus complexes et donc les plus risqués. Les fonds propres des banques se retrouvent ainsi en inadéquation avec la réalité des risques auxquels elles peuvent être exposées.
Trois points méritent d’être soulignés dans la présente approche du comité de Bâle, que la future directive européenne aura pour objet de traduire.
En premier lieu, la directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour les opérations de titrisation au second degré, c'est-à-dire de retitrisation. Ce sont des montages à plusieurs étages qui sont apparus, à la lumière de la crise, comme particulièrement risqués.
La directive prévoit à leur sujet que, lorsqu’une banque s’engage dans ces opérations, ses fonds propres doivent être justement dimensionnés. Elle permet qu’une autorité nationale de régulation impose une pondération du risque allant de 20 % à 1 250 %, ce qui, évidemment, est dissuasif.
En deuxième lieu, la proposition de directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour ce que l’on appelle le « portefeuille de négociation » ou, en anglais international, le « trading book ».
Il est apparu, au cours de la période récente, que les modèles internes des banques sous-estimaient les pertes potentielles en situation de crise. En conséquence, il s’agit d’encadrer le recours à ces modèles internes. Ils deviendront plus restrictifs, ce qui aura pour effet d’inciter à l’augmentation des fonds propres.
En troisième lieu, la future directive imposera de nouvelles exigences de publicité sur les risques de titrisation. Les établissements financiers devront communiquer précisément et complètement sur les risques encourus du fait de leurs positions de titrisation.
Tel est, résumé à grands traits, le contenu de la proposition de directive sur laquelle s’appuie la proposition de résolution du groupe socialiste.
Je souligne, et vous l’avez compris avec ce rappel, que l’approche du texte européen est strictement prudentielle. §Il s’agit de renforcer le contrôle sur les politiques de rémunération – puisque c’est le sujet principal en termes de politique générale qui est abordé par le groupe socialiste – des seuls établissements financiers, premier aspect, dans une optique purement prudentielle, second aspect. Cette proposition de directive ne vise pas à imposer aux États membres des politiques de rémunération ayant vocation à s’appliquer en dehors de ce cadre et à la généralité des entreprises.
Chacun le sait, les politiques de rémunération des établissements financiers ont, pour partie, contribué à la crise. Certes, il ne s’agit pas d’une cause majeure, mais il est vraisemblable que certaines pratiques aient pu « pousser au crime » et inciter des opérateurs à prendre de plus en plus de risques. Le système financier doit bien évidemment se défendre contre de tels effets pervers. Ainsi, il est utile de prévoir une législation à la fois nationale et communautaire, afin de mettre au premier plan les vraies performances économiques de l’entreprise à moyen et à long terme.
Au demeurant, le rapport du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière a préconisé trois principes très clairs en matière de rémunérations dans le secteur financier.
Premièrement, les primes dont peuvent bénéficier certains salariés des établissements financiers doivent correspondre à des performances réelles et, de ce fait, ne peuvent être garanties.
Deuxièmement, l’évaluation des performances doit se faire dans un cadre pluriannuel. Il n’est pas envisageable de récompenser des performances instantanées – dont les effets sont toujours susceptibles d’être renversés par une autre opération de marché –, qui ne se traduiraient pas par un enrichissement réel de l’entreprise.
Troisièmement, le paiement des primes doit s’échelonner sur la durée du cycle économique, c'est-à-dire sur un moyen terme, afin de lisser les effets sur les comptes de résultat et les ratios financiers des banques, et d’éviter ainsi des effets d’aubaine trop marqués. Par ailleurs, le rapport préconisait également que les autorités nationales puissent imposer une augmentation des fonds propres aux établissements dont les politiques de rémunération seraient jugées inadéquates.
La Commission européenne souhaite, à présent, avec cette proposition de directive, mettre en œuvre, sur le plan législatif, cette dernière préconisation sur l’augmentation des fonds propres.
Permettez-moi d’insister sur un point, notamment auprès de mes collègues initiateurs de la proposition de résolution : l’approche de la Commission européenne est strictement prudentielle.
J’en viens maintenant à un commentaire de la proposition de résolution, qui aborde successivement cinq thèmes : les exigences en matière de fonds propres, la gouvernance des sociétés cotées, la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché, la supervision européenne et la mise en place de sanctions.
Il m’a semblé que les préconisations de la proposition de résolution sont, pour reprendre l’expression que j’ai employée devant la commission lors de la présentation de mon rapport, à la fois de portée et de pertinence inégales. Je note toutefois qu’une première série de préconisations est tout à fait conforme aux travaux que nous avons menés et que j’ai brièvement rappelés. Nos collègues reprennent plusieurs propositions faites par le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la crise financière internationale, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils y ont activement participé.
C’est le cas pour le premier thème sur les exigences en matière de fonds propres, pour certains aspects du deuxième thème sur la gouvernance des sociétés cotées, pour le quatrième thème sur l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché et, enfin, pour le cinquième thème sur la supervision européenne.
Je précise que ces propositions, même si leur contenu n’a rien de choquant, n’ont pas nécessairement leur place dans une résolution européenne. À l’analyse de la proposition de résolution, il apparaît qu’elles n’ont quelquefois qu’un lien ténu – et je fais preuve de bienveillance en employant ce terme ! – avec la proposition de directive ou même, tout simplement, avec le droit communautaire. Par exemple, les mesures préconisées en matière de fiscalité relèvent quasiment toutes du seul droit national.