Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Décentralisation des enseignements artistiques — Discussion d'une question orale avec débat

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

« Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Morin-Desailly, cette maxime de Benjamin Franklin que j’affectionne particulièrement me semble emblématique de la question qui nous occupe aujourd’hui, celle des enseignements artistiques dispensés dans nos conservatoires, sur tous nos territoires.

Tout art, chacun en est convaincu ici, nécessite une initiation, non seulement pour être saisi dans ses beautés, dans ses nuances, dans sa profondeur, mais aussi pour être pratiqué selon ce que l’on appelle, précisément, « les règles de l’art ».

C’est sur cette évidence qui, comme toutes les évidences, a besoin d’être répétée, ou en tout cas rajeunie, que je fonde ma volonté de faire de la transmission l’une des priorités de mon action à la tête du ministère de la culture et de la communication. L’idéal de la transmission doit devenir une réalité non seulement pour ce qui concerne l’accès aux œuvres et la mise en perspective historique, mais aussi pour tout ce qui touche à l’initiation aux pratiques artistiques.

Ces trois exigences, de l’accès, de la culture générale et de la pratique, sont, bien sûr, étroitement liées. Car la pratique d’un art est, bien souvent, la meilleure porte d’entrée pour en comprendre les tenants et aboutissants, pour en découvrir les arcanes.

La pratique est, sans doute, pour reprendre le mot de Benjamin Franklin, ce qui véritablement « implique » le mieux un élève. Et quand bien même elle n’aboutirait pas nécessairement à faire advenir un nouveau Mozart ou un nouveau Gérard Philipe, l’essai de création a souvent été, dans l’histoire, le premier pas des connaisseurs.

La pratique est un peu, toutes choses égales par ailleurs, à l’image des approches « comportementales » prônées par certains psychologues, une manière d’entrer pleinement dans un sujet, de déclencher un changement d’horizon et une ouverture véritable. Vous connaissez tous le mot de Pascal : « Mettez-vous à genoux et vous croirez ». J’ai envie de dire : pratiquez un art et vous deviendrez, , des connaisseurs et des amateurs respectueux des vrais talents.

L’initiation à la pratique d’un instrument de musique, du jeu scénique ou de la danse n’est pas seulement la garantie d’un épanouissement personnel. Elle est aussi une manière d’élever le niveau d’attention aux arts de toute la société. Et cette disponibilité aux arts est, à mes yeux, indissociable de la santé d’une démocratie, parce que les arts aident chacun à se ménager son espace de recul et de réflexion, qui est évidemment aussi un espace de liberté.

Loin d’une « société du spectacle » fondée sur un consumérisme qui se nourrit de la passivité, les arts et leur pratique nous aident et nous ont toujours aidés à bâtir une démocratie ouverte et civilisée, une République dont l’un des piliers, moins visible que d’autres, mais néanmoins omniprésent, est la « culture » : le fait de développer ses talents, de les « cultiver », c’est-à-dire littéralement de ne pas les laisser en friche.

Ces principes généraux forts répondent à la volonté du Président de la République de remodeler profondément notre système d’enseignement, notamment dans le cadre de la réforme du lycée dont il a dessiné certaines grandes orientations le 13 octobre dernier, et qui se traduira et se traduit déjà par une place nouvelle accordée à la culture. Je pense en particulier à l’institution, ambitieuse et tellement attendue, d’une histoire des arts à l’école, à laquelle je travaille assidûment avec mon collègue Luc Chatel. Je vous rappelle que j’ai fait de la transmission, aussi bien dans les établissements scolaires que dans les conservatoires, une priorité de mon action au sein du Gouvernement.

C’est précisément cet apprentissage des pratiques artistiques dans les conservatoires qui nous réunit et nous intéresse aujourd’hui. Nos débats répondent aux incitations intellectuelles judicieuses fournies par les travaux conduits depuis plusieurs années, avec la qualité d’engagement que l’on sait, par Mme Morin-Desailly et qui ont abouti à la question orale qu’elle pose aujourd’hui au Gouvernement.

En la matière, à côté de notre travail avec l’éducation nationale, la politique du ministère de la culture doit reposer, bien évidemment, sur un partenariat solide et clarifié avec les collectivités territoriales.

Il est inutile, je pense, de vous faire un état des lieux de la question des enseignements artistiques dans notre pays. Ce thème a déjà été largement abordé.

Vous connaissez l’importance acquise en quarante ans par ce réseau, depuis l’impulsion donnée par Marcel Landowski en 1967, à tous les niveaux des collectivités. Quelques chiffres suffisent à l’illustrer : environ 150 000 élèves, répartis en un ensemble de 500 établissements, dont 283 conservatoires à rayonnement communal ou intercommunal, 106 conservatoires à rayonnement départemental, 42 conservatoires à rayonnement régional.

Il témoigne de l’ambition de l’État et des collectivités territoriales de favoriser l’accès du plus grand nombre à une pratique artistique, notamment musicale.

Vous savez comment, plus de vingt ans après le vote de la loi de 1983, qui transférait globalement aux collectivités les compétences dans les domaines de l’enseignement de la danse, de la musique et de l’art dramatique, de nouveaux besoins se sont, peu à peu, imposés. C’est, d’abord, celui d’une clarification d’un système devenu trop complexe à force d’interventions mal harmonisées jusqu’à la confusion. C’est, ensuite, la volonté d’une meilleure répartition d’un service qui, , s’était surtout développé dans les communes, c’est-à-dire dans les réalités municipales très diverses et très contrastées de notre pays. C’est, enfin, la nécessité d’assurer la transition entre la pratique amateur et la formation professionnelle et de distinguer les cursus selon les finalités.

Il s’agit, tout en maintenant la possibilité de bénéficier d’un enseignement pour amateurs tout au long de la vie, de dessiner une voie, sinon royale, du moins simplement praticable pour les musiciens, comédiens et danseurs qui sont susceptibles et désireux de devenir un jour des professionnels dans leur activité artistique de prédilection.

La loi du 13 août 2004 sur la décentralisation a cherché à répondre à ces besoins en créant un schéma en quelque sorte idéal d’organisation et de répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités publiques.

Elle a posé, vous le savez, la configuration suivante : aux communes le « gros œuvre », pour ainsi dire, de l’initiation et des pratiques amateurs, un travail forcément très variable selon les villes engagées, mais qui devait être remis en cohérence au niveau des départements, dans les « schémas départementaux de développement des enseignements artistiques », adoptés par les conseils généraux ; à l’État l’enseignement supérieur – des établissements comme le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et celui de Lyon, par exemple – et, de manière plus générale, le contrôle pédagogique de l’ensemble des établissements.

En outre, la loi de 2004, tirant les conséquences des compétences de la région dans le domaine de la formation professionnelle, a chargé ces collectivités de prendre en charge précisément cet échelon intermédiaire de la formation artistique, ce « chaînon manquant » dont nous parlions, entre la simple initiation et la carrière professionnelle. Cette passerelle, vous le savez, c’est ce qu’on appelle le cycle d’enseignement professionnel initial, le CEPI. Il constitue bien, comme son nom l’indique, pour les élèves concernés, le stade initial de la professionnalisation et, en tout état de cause, un cycle de deux ans au cours duquel la motivation et les qualités artistiques des élèves sont mises à l’épreuve avant le « grand saut » dans la carrière.

C’était là le schéma idéal dessiné par la loi. Or vous savez ce qu’il advient souvent des plus belles constructions de l’esprit, de la République idéale de Platon ou de la Cité idéale de Fénelon dans le roman d’éducation qu’est Télémaque. Elles ne trouvent pas toujours, n’est-ce pas, une parfaite application dans la réalité…

En l’occurrence, il faut le reconnaître, les régions ont parfois hésité à se saisir pleinement de cette nouvelle compétence et, pour mille raisons qu’il serait trop long de détailler ici et maintenant, la situation a connu une forme indéniable de blocage.

J’ai envie de dire : « Enfin Mme Catherine Morin-Desailly vint ».

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