Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Décentralisation des enseignements artistiques — Discussion d'une question orale avec débat

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

L’immense travail que vous avez accompli et conduit sur le terrain, sans œillères ni préjugés, a abouti à un rapport remis le 24 juillet 2008, un texte d’une grande sagacité et d’une grande solidité qui a permis de poser les bases d’une nouvelle réflexion entre tous les acteurs.

De son côté, l’État, dès le 10 juillet 2008, pour répondre à la demande des collectivités, a réactivé le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et a mis en place, en son sein, un groupe de travail spécialement consacré aux enseignements artistiques spécialisés.

Le rapport sans concession que vous avez établi a exploré les causes du blocage et aidé chacun des acteurs à une prise de conscience lucide des problèmes. Il met en évidence ce qui manquait sans doute à la loi de 2004 : un consensus préalable autour du caractère prioritaire des enseignements artistiques en France, ainsi qu’une implication des élus dans un processus de réforme qui était fortement porté par les professionnels.

Les travaux du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et notre débat d’aujourd’hui montrent que le message a été entendu. Il nous appartient toutefois de faire en sorte que cette prise de conscience se traduise, à moyen terme, par une prise de décision à partir des propositions qui sont désormais sur la table.

Madame Morin-Desailly, vous avez réaffirmé avec justesse les enjeux de ce chantier pour l’avenir : il s’agit de briser la glace de l’intimidation sociale – un thème qui m’est particulièrement cher –, qui éloigne encore trop souvent nos concitoyens des arts et de la culture.

Vous avez raison de souligner clairement le rôle primordial des conservatoires dans le développement de la pratique en amateur. Celle-ci doit être clairement leur première mission. Le débat sur les cycles d’enseignement professionnel initial a en effet confirmé, s’il en était besoin, que la tendance naturelle des établissements est de se focaliser sur le repérage de futurs professionnels, quand ceux-ci ne représentent qu’une petite minorité des élèves qu’ils accueillent.

L’objectif premier des conservatoires doit bien être de toucher un maximum d’élèves, notamment ceux qui sont le plus éloignés de l’offre culturelle, afin d’aider à l’avènement de cette « culture pour chacun » à laquelle je travaille. Ils doivent proposer des possibilités d’épanouissement aux amateurs, y compris adultes, et les encourager à développer les pratiques collectives. Sortir de ce mal bien français de la voie royale, dont l’étroitesse forcée étouffe trop de vocations et d’épanouissements artistiques et culturels : tel est bien l’enjeu.

Vous avez, madame la sénatrice, prôné à fort juste titre que l’on passe d’un système pyramidal, fondé sur l’idée d’une destination professionnelle obligée, à une logique d’aiguillage : substituer, à la « pensée unique » de la professionnalisation, la liberté et la souplesse de l’orientation.

Cette exigence d’orientation est d’ailleurs inscrite dans les exigences générales du Gouvernement en matière d’enseignement, et elle répond aussi pleinement aux compétences professionnelles qui sont celles des régions.

Réjouissons-nous donc que les CEPI puissent être changés en COP, sans qu’il s’agisse de convoquer de manière intempestive l’argot américain : un COP est simplement un cycle d’orientation professionnelle.

Il s’agit là, pour moi, d’une préoccupation essentielle et d’une responsabilité collective, celle de mieux maîtriser le flux des jeunes qui se dirigent vers les métiers du spectacle, celle aussi de mieux former ceux qui font le choix de ces parcours d’exception.

Mme Morin-Desailly a mis en lumière les principaux facteurs qui ont conduit au blocage.

S’agissant de l’estimation erronée des coûts de la réforme, des expérimentations menées dans le Nord-Pas-de-Calais et en Poitou-Charentes depuis 2004 ont permis de rectifier les erreurs et, par là, de dépassionner le débat.

Beaucoup de points ont fait l’objet d’un accord, notamment au niveau du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, mais, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est notamment pour aborder une question cruciale qui reste en suspens, celle des crédits de fonctionnement, qui représentent actuellement près de 30 millions d’euros, soit, en moyenne, 9 % du budget global des enseignements artistiques spécialisés que l’État verse aux communes depuis 1983 pour contribuer au fonctionnement des conservatoires.

Ce versement ne correspond pas à une compétence identifiée. Alors que l’État n’est plus compétent dans le domaine des enseignements artistiques spécialisés depuis plus de vingt-cinq ans, il détient encore les crédits au lieu que ceux-ci soient directement à la disposition des collectivités territoriales qui exercent cette compétence.

La loi de 2004 prévoyait un transfert de ces crédits aux régions et aux départements, selon des clés de répartition fixées par les DRAC. Le rapport de Mme Morin-Desailly et les débats du conseil territorial des collectivités pour le développement culturel ont montré qu’il était indispensable de trouver une solution plus simple et plus lisible. Pourtant, aucun consensus n’a pu se dégager au cours des travaux des derniers mois, malgré la volonté très forte, je crois, des uns et des autres d’aboutir.

Nous avons devant nous trois solutions.

La première consiste à modifier la loi pour élargir aux communes la liste des collectivités attributaires des crédits de l’État qui transitent par les DRAC. Il s’agit donc de mettre fin à une situation où la loi n’est pas appliquée, car trop restrictive, en méconnaissance de la réalité des faits. Chaque DRAC pourra donc, en fonction des réalités locales, attribuer les crédits de l’État aux différentes collectivités en fonction de leur implication réelle.

La deuxième solution, c’est de transférer directement aux communes l’ensemble de ces crédits, c’est-à-dire de prendre acte de manière plus forte encore du fait que ce sont les communes qui créent et financent les conservatoires.

La troisième solution est de transférer les crédits aux régions, c’est-à-dire d’appliquer l’esprit de loi de 2004, et d’accompagner ainsi la mise en place des COP.

Dans ces deux derniers cas, les départements recevraient une contribution unique et forfaitaire correspondant à l’élaboration des schémas départementaux.

La première solution – jouer sur les trois acteurs territoriaux – présente l’avantage d’une grande souplesse et de l’adaptation aux réalités du terrain, mais elle a un inconvénient évident : elle risque de créer des inégalités entre nos territoires.

Le transfert aux communes présente l’intérêt d’épouser l’existant, de le dynamiser et de le mobiliser encore davantage, et donc de renforcer les opérateurs, même s’il sera sans doute moins efficace pour maîtriser le développement de nouveaux COP.

Je rappelle que l’Association des régions de France s’est prononcée officiellement pour cette solution, par une lettre adressée au ministre de la culture et de la communication le 30 juin 2009.

Le transfert aux régions, plus ambitieux, est défendu par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et par l’Association des maires de grandes villes de France. C’est, vous le savez, la solution que développe et défend Mme Morin-Desailly dans sa proposition de loi.

Cette solution présente un avantage évident : une répartition de l’offre plus homogène et plus égale, mais aussi plus maîtrisée et plus coordonnée. En outre, elle correspond aux compétences des régions en matière de formation professionnelle et d’emploi.

Il a certainement été utile que nous ayons pris le temps nécessaire à la réflexion, car, quelle que soit l’issue de cette réforme, nous serons passés d’une vision pyramidale de l’enseignement spécialisé, de l’amateur au grand interprète, qui était celle des années soixante, à la mise en place de parcours diversifiés : d’une part, ceux des amateurs, pour qui la pratique d’un art est un vecteur d’épanouissement magnifique ; d’autre part, ceux des artistes, dont il s’agit d’accompagner l’entrée dans une carrière difficile et exigeante.

Nous avons aujourd’hui, grâce à ce travail de décryptage, une vision claire des trois solutions possibles. Chacune implique une modification législative et certaines d’entre elles, une modification de la répartition des compétences dans les différentes collectivités territoriales par rapport à la loi de 2004.

Il est donc certain que cette réforme ne peut être isolée du chantier d’ensemble de réforme des collectivités territoriales qui attend le Gouvernement et les élus.

Un premier projet de loi a été présenté au conseil des ministres le 21 octobre. Un second projet de loi sera présenté par mon collègue Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Le débat législatif n’est pas encore engagé. Il me semble donc de bonne administration d’être attentif à la mutation prochaine de notre carte des territoires avant de se lancer dans la réforme et d’opter pour l’une ou l’autre des solutions envisagées.

Ce temps de l’harmonisation nécessaire ne sera pas une attente supplémentaire ; c’est seulement un préalable imposé par la réalité, et ce temps supplémentaire peut être encore employé au débat sur une alternative complexe afin de tirer le meilleur parti du travail remarquable que vous avez réalisé, madame Morin-Desailly. Ce n’est donc en aucune manière un délai dilatoire, mais le temps nécessaire et obligé de l’ajustement.

Une certitude s’impose : je peux vous assurer de ma volonté de régler ces questions, en lien étroit avec mon collègue chargé de l’intérieur, dans le cadre de cette réflexion d’ensemble qui s’ouvre sur les compétences des collectivités territoriales.

Sachez que je suis particulièrement attaché à ce que nous aboutissions rapidement dans notre recherche de la solution la plus adaptée et, bien évidemment, à ce que nous ne perdions pas l’acquis des travaux et des échanges qui se sont tenus tout au long des derniers mois.

Je précise que, dans cette attente, l’État continuera évidemment en 2010 à verser ces crédits aux établissements, comme il a continué à le faire depuis 2004.

J’ai bon espoir que nous réussirons à brève échéance à mettre en place un système d’enseignement spécialisé qui satisfasse également les exigences légitimes des deux pôles en dialogue que sont les amateurs et les professionnels, ainsi que les prérogatives et les ambitions des collectivités territoriales.

Pour cela, nous aurons besoin de la sagesse pragmatique de Franklin, c’est-à-dire de savoir « impliquer » et nous impliquer.

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