Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, au moment où je soumets à votre examen le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, de féliciter M. Bernard Saugey, rapporteur de ce texte, pour la qualité de son travail, ainsi que M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois
Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui est un texte technique qui porte sur les procédures et qui n’a pas vocation à s’insérer dans le cadre de la réforme beaucoup plus large des institutions financières annoncée par le Président de la République à l’occasion du bicentenaire de la Cour des comptes. Pourtant, il apparaît nécessaire au bon fonctionnement des juridictions et, à ce titre, je me ferai l’écho de quelques préalables qui éclaireront la suite des débats.
Les juridictions financières exercent une compétence d’ordre public : elles vérifient chaque année tant la régularité des écritures comptables que les sommes pouvant faire défaut dans les caisses publiques. C’est seulement si ces comptes posent problème qu’une procédure contentieuse pourra être ouverte. Dans le cas contraire, le comptable sera déchargé de sa gestion.
Les juridictions financières jugent également, par extension, les comptables de fait, c’est-à-dire les personnes qui se sont ingérées dans le maniement de fonds publics, alors que cette fonction est réservée aux seuls comptables publics.
Avec ce texte, ce ne sont pas les règles de compétence s’appliquant en matière de jugement des comptes qui sont remises en cause, mais ce sont les procédures d’instruction et de jugement.
Pourquoi modifier les procédures de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ?
Il s’agit de répondre à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, critiques envers certaines procédures des juridictions financières françaises, jugées trop peu transparentes et trop peu équitables.
Une réponse législative adaptée nous permettra par conséquent de servir les intérêts de la France et nous évitera de nouvelles condamnations.
En pratique, les juridictions financières se sont déjà mises pour partie en conformité avec ces règles, le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, ayant pris « à titre provisoire » une instruction dès le mois de mai 2006 afin de préciser ces dispositions. Au regard de cette décision et de l’insistance pressante du Conseil de l’Europe, il appartenait au Gouvernement de vous présenter les évolutions législatives souhaitables.
L’un des points essentiels du texte est d’introduire dans les procédures des juridictions financières une stricte séparation des fonctions d’instruction, de poursuite et de jugement, afin de garantir la nécessaire impartialité du tribunal.
Jusqu’à présent, les magistrats du siège étaient responsables à la fois des poursuites, de l’instruction à travers les différents rapports rédigés par des magistrats-rapporteurs, et du jugement, avec deux décisions successives prises par les mêmes juges : un jugement provisoire, puis, après les réponses du comptable, un jugement définitif.
L’idée de la réforme est de laisser au ministère public, sur la base d’un rapport initial d’examen des comptes, les prérogatives d’une poursuite éventuelle. Deux cas peuvent se présenter.
En premier lieu, si le ministère public estime que des griefs peuvent être retenus contre un comptable, il peut décider de poursuivre le comptable. Une instruction a lieu, à la suite de laquelle le juge se prononce, au vu des différents éléments, soit pour une décharge du comptable soit pour une mise en débet.
En second lieu, le parquet peut au contraire estimer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre. Le juge décharge alors le comptable. Désormais, il pourra le faire à juge unique, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, cette décision étant actuellement prise en formation collégiale.
Cet allégement économise des moyens juridictionnels, dans une situation où aucun grief n’est retenu à l’égard du comptable. Je rappelle, en outre, que la décharge est la norme : dans les chambres régionales des comptes, sur 9 700 jugements, 9 211 jugements ont été des jugements de décharge, soit 95 %.
L’un des objectifs de la réforme est également de raccourcir et de simplifier les procédures.
Elles le sont par l’ordonnance à juge unique et par la décharge automatique en l’absence de réquisitoire.
Elles le sont aussi par la suppression de la règle du double arrêt. Désormais, les griefs seront formulés dans le réquisitoire du parquet. Il n’y aura donc plus qu’un arrêt.
Elles pourront l’être également par la réduction de l’actuel délai de six ans de la prescription extinctive. La commission des lois du Sénat a proposé que ce délai soit ramené de six à cinq ans, ce à quoi le Gouvernement adhère très volontiers en ce qui concerne les comptables publics patents, même s’il en va en revanche autrement des comptables de fait. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Plus courtes, les procédures des juridictions financières seront également plus sûres pour les justiciables.
Elles le seront, d’abord, par la séparation des fonctions d’instruction, de poursuite et de jugement. En instaurant l’ouverture de toute procédure contentieuse par un réquisitoire, l’objectif est d’éviter de laisser, tout au long de la procédure, un comptable face à un seul et même juge du siège.
Elles le seront, ensuite, par la terminologie plus exacte donnée au représentant du ministère public. Ce dernier, appelé de façon assez peu pertinente « commissaire du Gouvernement », alors qu’il ne représente en rien celui-ci, sera désormais nommé « ministère public », ainsi que l’a souhaité l’Assemblée nationale et soutenu la commission des lois du Sénat.
Les procédures des juridictions financières sont sécurisées, enfin, par un ensemble de dispositions permettant un « procès équitable et public ». Sont ainsi prévues l’obligation de tenir une audience publique dès qu’un grief est formulé, l’obligation de veiller rigoureusement à la contradiction des procédures, ce qui suppose que les personnes mises en cause connaissent ce qui est leur est reproché et puissent répondre par écrit ou par oral aux critiques formulées, ainsi que l’obligation faite au rapporteur et au représentant du ministère public de ne pas assister au délibéré.
Je terminerai en évoquant un dernier volet du texte, qui concerne les amendes et les remises gracieuses. La nature des amendes prononcées par les juges financiers est « revisitée ».
Le ministre chargé des comptes ne pourra plus accorder la remise gracieuse des amendes prononcées à l’encontre des comptables. Cette mesure n’a cependant pas la sévérité que l’on pourrait lui prêter de prime abord.
Si la remise gracieuse existe pour les débets prononcés à l’encontre des comptables, c’est parce que la Cour des comptes juge les comptes et non les comptables. Dès lors, le ministre peut prendre en compte des données plus personnelles pour accorder une remise gracieuse totale ou partielle.
Rien de tel avec les amendes. Le juge financier apprécie d’ores et déjà le comportement du comptable, sa situation patrimoniale, l’absence ou l’existence d’enrichissement personnel, le côté exceptionnel ou régulier de son comportement, etc. Le juge des comptes est, en matière d’amende, juge des comptables. Dans ces conditions, la possibilité d’une remise gracieuse sur amende viendrait remettre en cause une décision de justice.
Enfin, puisque l’objectif de ce texte est une meilleure justice, le Gouvernement a également souhaité une disposition mettant le droit des juridictions financières en conformité avec leur pratique et avec la simple équité. Le projet de loi supprime donc du code des juridictions financières la possibilité de condamner à l’amende les héritiers d’un comptable. Il nous apparaît peu défendable de pouvoir condamner à une amende personnelle des héritiers qui n’étaient en rien responsables du comportement de leur père, oncle...