Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes appelés à examiner en première lecture, adopté par l’Assemblée nationale le 10 avril dernier, a pour objet de réformer les règles applicables au jugement des comptes soumis aux juridictions financières, afin de les mettre en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dans plusieurs décisions rendues en 2003, 2004 et 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les procédures de jugement des comptes et de condamnation à l’amende des comptables, qu’il s’agisse des comptables publics ou des comptables de fait, relevaient du champ d’application de la Convention, critiqué leur longueur excessive et contesté leur caractère équitable pour le justiciable.
Ont notamment été mises en cause l’absence de publicité de l’audience ainsi que l’absence de communication au comptable des conclusions du ministère public et du rapport du magistrat chargé de l’instruction.
Dès le mois de mai 2006, le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, a pris une instruction pour assurer le respect de ces décisions. M. le secrétaire d’État vient d’en faire état.
La modification du code des juridictions financières n’en demeure pas moins nécessaire et le ministère des affaires étrangères a reçu plusieurs demandes du Conseil de l’Europe, chargé du suivi de la mise en œuvre des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, pour connaître son état d’avancement.
Les dispositions du projet de loi sont ordonnées autour de deux axes : la réforme des procédures de jugement des comptes et celle du régime juridique des amendes susceptibles d’être infligées aux comptables.
Leur entrée en vigueur serait différée au 1er janvier 2009 pour laisser au Gouvernement le temps de publier les décrets d’application requis.
Ces dispositions constituent le prélude d’une réforme d’ampleur de l’organisation et des missions des juridictions financières.
Annoncée par le Président de la République le 5 novembre dernier, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la Cour des comptes, cette réforme est actuellement en préparation.
En premier lieu, les réflexions en cours pourraient conduire les juridictions financières à remplir une nouvelle mission de certification des comptes des collectivités territoriales et à se prononcer davantage sur la responsabilité des gestionnaires, c’est-à-dire des ordonnateurs.
À mon sens, elles devraient également porter sur la question de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables.
Le pouvoir de remise gracieuse actuellement dévolu au ministre chargé du budget en matière de débets suscite de légitimes interrogations au regard des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Toutefois, sa suppression au profit d’une extension des prérogatives des juridictions financières ne saurait être envisagée sans revoir les règles qui président à la mise en jeu de cette responsabilité : notamment, le juge des comptes devrait pouvoir prendre en considération les circonstances dans lesquelles l’irrégularité s’est produite, le comportement du comptable, ainsi que l’existence ou non d’un préjudice pour les finances publiques.
La commission des lois s’interroge également sur la nécessité de maintenir l’obligation actuellement faite aux héritiers d’un comptable public décédé en poste de produire les comptes à sa place et de solliciter la remise gracieuse des débets qui peuvent être mis à leur charge. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen des amendements, mais j’ai bien pris acte des propos de M. le secrétaire d’État.
En second lieu, les réflexions en cours pourraient conduire à une réorganisation du réseau des chambres régionales et territoriales des comptes et au regroupement de certaines d’entre elles, afin de leur permettre d’accomplir leurs nouvelles missions.
Ces perspectives de réforme, je dois le dire, suscitent des interrogations, sinon des inquiétudes, des magistrats financiers et des élus locaux.
Pour en revenir au texte qui nous est aujourd’hui soumis, la commission des lois approuve l’essentiel des dispositions qu’il contient.
Elles devraient permettre d’accélérer les délais de jugement et de renforcer les garanties offertes aux justiciables. À cet égard, la commission des lois juge tout à fait possible de les étendre dès à présent aux collectivités d’outre-mer, sans passer par le recours à une ordonnance.
Deux d’entre elles soulèvent toutefois des difficultés.
Il s’agit, d’une part, des modalités de décharge des comptables publics, d’autre part, de la suppression de la compétence des assemblées délibérantes des collectivités territoriales pour apprécier l’utilité publique de dépenses ayant donné lieu à gestion de fait.
Les conditions dans lesquelles un comptable public pourrait être déchargé de sa responsabilité pécuniaire et personnelle ne sont pas satisfaisantes, car le magistrat du siège chargé de rendre l’ordonnance de décharge aurait compétence liée à l’égard des conclusions du ministère public, ce qui semble contraire au principe d’indépendance de la justice protégé tant par la Constitution que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’examen des amendements sera l’occasion d’évoquer avec vous, monsieur le secrétaire d’État, les moyens de remédier à cette difficulté, qui, je vous l’accorde, revêt un caractère plus théorique que pratique.
En revanche, tel n’est pas le cas de la seconde difficulté relevée par la commission des lois. Je veux parler bien sûr de la suppression de la compétence des assemblées délibérantes des collectivités territoriales pour apprécier l’utilité publique de dépenses ayant donné lieu à gestion de fait.
Cette suppression a été votée à l’unanimité par les députés, sur proposition de M. Charles de Courson. Si elle tente d’apporter une réponse à des difficultés réelles, elle ne va pourtant pas de soi.
Il est vrai que, dans certains cas, l’utilité publique des dépenses a pu être refusée, à la suite d’une alternance politique, pour des considérations étrangères à leur objet. Il est également vrai que les délais de jugement des recours introduits devant les juridictions administratives contre les délibérations des assemblées locales allongent la durée d’ensemble des procédures juridictionnelles relatives à des gestions de fait.
Les dispositions proposées reviennent cependant à transférer au juge financier une compétence actuellement dévolue aux assemblées délibérantes locales, alors que le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales pourrait y faire obstacle et que les élus locaux ont parfois l’impression désagréable – c’est un euphémisme ! – que les chambres régionales des comptes exercent un contrôle de l’opportunité de leurs dépenses, dans le cadre de leur mission d’examen de la gestion des collectivités territoriales. Quel est le président d’un exécutif qui n’a pas eu à se plaindre de cet état de fait ?
Il faut enfin noter que le pouvoir du Parlement à l’égard des gestions de fait concernant les deniers de l’État, qui s’exerce dans le cadre de la loi de règlement, ne serait pas remis en cause.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois considère que la question devrait faire l’objet d’un examen d’ensemble dans le cadre de la réforme annoncée des missions des juridictions financières et des règles relatives à la responsabilité des gestionnaires publics.
Dans un souci d’harmonisation, la commission des lois propose de compléter le projet de loi pour ramener à cinq ans la durée des délais de prescription de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et des comptables de fait.
Les dispositions qui vous sont proposées avaient déjà été votées par le Sénat à deux reprises, en 2000 et en 2001, sur proposition de nos collègues du groupe socialiste.
Leur adoption se justifie d’autant plus, aujourd’hui, que la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, que notre collègue Jean-Jacques Hyest a déposée l’été dernier et que nous examinerons cet après-midi en deuxième lecture, prévoit la réduction à cinq ans de la durée d’un grand nombre de délais de prescription.
Le rythme des contrôles des juridictions financières est le plus souvent triennal, voire quadriennal. Leurs méthodes de travail ne devraient donc pas en souffrir, même si le problème est différent en matière publique et en matière privée.
Les règles de prescription applicables aux infractions pénales qu’un gestionnaire de fait pourrait avoir commises resteraient inchangées.
Dès lors, les inquiétudes exprimées par certains magistrats financiers à l’égard de cette proposition de réforme me semblent totalement exagérées.
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu’elle vous soumet, la commission des lois vous demande d’adopter le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes.