Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 5 juin 2008 à 9h30
Cour des comptes et chambres régionales des comptes — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose des modifications des dispositions relatives à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes afin de mettre notre droit en adéquation avec les exigences et les principes de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’objectif principal de ce texte est donc d’adapter les procédures des juridictions financières aux exigences du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable. Il y est écrit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.»

Toutefois, une loi devait venir conforter les avancées de cette instruction. Tel est l’objet du présent projet de loi.

En premier lieu, ce projet de loi clarifie et allège la procédure juridictionnelle pour permettre au comptable d’être jugé dans « un délai raisonnable », en mettant fin à la règle traditionnelle du « double arrêt », provisoire puis définitif. Il distingue les fonctions d’instruction par le magistrat rapporteur, de poursuite ou de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le ministère public et de jugement par une formation collégiale lorsque la charge a été soulevée ou par un juge unique en l’absence de charge.

En deuxième lieu, il généralise la publicité des audiences et assure l’équilibre de la procédure juridictionnelle en excluant le rapporteur, comme le ministère public, du délibéré et en offrant aux parties qui le demandent un accès au dossier.

En troisième lieu, il supprime le pouvoir de remise gracieuse que détient le ministre chargé des comptes publics en matière d’amendes, dont le plafond est doublé, tout en maintenant cette faculté pour les débets.

Ce projet de loi comprend donc des avancées en termes de garantie d’une procédure juridictionnelle financière plus équilibrée. Ces points n’appellent pas de remarques particulières de la part du groupe socialiste.

Un certain nombre de propositions vont, selon nous, au-delà de la simple adaptation au droit européen.

D’une part, les députés ont prévu que, en cas de gestion de fait intéressant une collectivité territoriale, l’assemblée délibérante de cette collectivité n’est plus compétente pour reconnaître l’utilité publique des dépenses ayant donné lieu à gestion de fait, sous le contrôle du juge administratif, mais qu’elle peut simplement, dans un délai de trois mois, formuler un avis devant éclairer la décision du juge des comptes.

La commission des lois a déposé un amendement de suppression. Cette question est complexe. Faut-il attendre, comme semble le préconiser M. le rapporteur, en signant un tel amendement ? Deux points de vue s’opposent entre le rapport de M. Éric Ciotti à l’Assemblée nationale et celui de notre collègue Bernard Saugey, rapporteur au nom de la commission des lois. Nous penchons plutôt pour la position du rapporteur de l’Assemblée nationale. §

D’autre part, la question des délais de prescription de l’action en déclaration de gestion de fait de l’article 29 bis mérite d’être discutée compte tenu du contexte de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui va entraîner un regroupement et une réduction des effectifs des chambres régionales des comptes : les dossiers seront plus nombreux et devront être traités plus rapidement alors que le personnel diminuera. Cette évolution se situe bien dans la ligne générale que le Gouvernement a tracée pour la fonction publique.

Surtout, nous nous posons des questions sur le calendrier choisi et sur la déconnexion de l’examen de ce projet de loi de celui du texte qui nous est promis pour l’automne et qui aura pour objet une réforme en profondeur des juridictions financières. Le Gouvernement serait avisé de nous en dire davantage sur cette réforme, afin que nous puissions prendre la mesure des interférences entre les textes relatifs à ces juridictions financières.

À l’occasion du bicentenaire de la Cour des comptes, le 5 novembre 2007, le Président de la République avait demandé au Premier président de la Cour des comptes de rédiger un rapport fixant les axes d’une réforme des juridictions financières.

Ce rapport a été remis au Président de la République le 6 février 2008, qui l’a approuvé le 13 avril sans qu’à aucun moment il n’ait été rendu public, et ce malgré l’importance qu’il revêt tant pour les citoyens que pour les personnels des juridictions financières ! Les magistrats des chambres régionales des comptes craignent, entre autres, qu’il n’en ressorte un affaiblissement des capacités de leurs contrôles de la gestion des collectivités locales.

Sur ce point particulier, je vous ai adressé le mois dernier, monsieur le secrétaire d’État, une question écrite pour que régresse la culture du secret. Cette attitude inquiète les magistrats et les personnels concernés, qui nous interrogent à ce sujet.

Le fait de ne rien dire risque d’alimenter la rumeur d’une réforme déjà ficelée et de renforcer la crainte des personnels des chambres qui seraient concernés par le nouveau maillage territorial, à propos de leur avenir.

Par ailleurs, comment expliquez-vous que ce projet de loi n’ait pas pu être rattaché à la réforme annoncée des juridictions financières, que j’évoquais à l’instant ? L’adéquation aux règles européennes, n’est pas, en soi, une réponse, compte tenu du retard déjà pris – nous n’en sommes pas à deux ou trois mois près –, puisque ladite réforme est annoncée pour la fin de cette année, me semble-t-il. Bien que vous paraissiez dubitatif, monsieur le secrétaire d’État, en raison du manque d’information en la matière, nous souhaitons obtenir de votre part des précisions.

Le Premier président de la Cour des comptes a promis à plusieurs reprises et encore dernièrement, lors de la séance de rentrée solennelle de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France, le 21 avril dernier, une réforme sans précédent des juridictions financières. Par une litote, il déclarait : « Même si on me fait beaucoup d’honneur en me considérant souvent comme l’auteur ou l’inspirateur de la réforme, je ne saurais prétendre à ce statut. » Puis il concluait : « Je ne chercherai pas à imposer mes vues, mais ô combien j’aimerais vous faire partager ma conviction que si nous ne saisissons pas totalement l’opportunité que nous ouvre le Président de la République, nous passerons à côté d’une grande occasion ! »

Les orientations approuvées par le Président de la République augurent effectivement d’une réforme d’ampleur ; elles concernent principalement – je le rappelle en cet instant pour que nous en prenions la mesure – la mise en place d’une certification des comptes des collectivités territoriales sous la responsabilité de la Cour des comptes, l’instauration d’une responsabilité des ordonnateurs susceptible d’être mise en cause par le juge des comptes en première instance et par la Cour de discipline budgétaire et financière en appel, ainsi que le renforcement de l’évaluation des politiques publiques par la Cour.

Cette réforme nécessite, comme l’a précisé le Président de la République, « une adaptation de l’organisation de l’ensemble constitué par les juridictions financières pour prendre en charge ces nouvelles missions et surtout en assumer la fonction d’évaluation ».

Actuellement, les principes et les modalités sont en cours de finalisation par les cinq groupes de travail mis en place par la Cour des comptes, mi-mai dernier, auxquels participent des représentants des chambres régionales des comptes.

L’information du Parlement est bien mince !

La réforme des juridictions financières ne devra pas être construite sur l’objectif unique de faire des économies structurelles, soit en personnel avec le non-remplacement des forts contingents de départs à la retraite dans les cinq ans à venir – 110 magistrats sur 330 –, soit en regroupant à un niveau interrégional les chambres, mais elle devra permettre aux juridictions d’être plus utiles et de remplir pleinement leurs missions actuelles et nouvelles de certification des comptes des collectivités locales, notamment. Nous y sommes particulièrement attachés et nous y veillerons.

Mon collègue Jean-Pierre Sueur va développer les évolutions à venir, dans ce contexte de rigueur budgétaire dans lequel la référence unique du Gouvernement pour toute réforme d’envergure se résume à la seule révision générale des politiques publiques.

Pourquoi donc préférer un examen morcelé des procédures qui s’appliqueront aux juridictions financières ? Pourquoi se hâter, alors que les dispositions prévues dans le projet de loi qui nous est soumis entreront en vigueur, comme le précise son trente et unième et dernier article, le 1er janvier 2009 ?

Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste s’abstiendront lors du vote sur ce texte technique.

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