Intervention de Bernard Vera

Réunion du 5 juin 2008 à 9h30
Cour des comptes et chambres régionales des comptes — Adoption d'un projet de loi

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis appelle plusieurs observations et nécessite, au-delà de sa technicité, que nous ayons une réflexion sur sa place parmi les nombreuses et multiples réformes dont notre pays est aujourd’hui le cadre et dont nous sommes abreuvés.

La discussion du projet de loi dont nous débattons appelle une première observation, à la fois de fond et de forme.

Contrairement à ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat ne s’est pas saisie du texte. On pourra toujours expliquer que les dispositions contenues dans le projet de loi sont strictement relatives aux questions de procédures mises en œuvre dans les juridictions financières. Il n’en demeure pas moins, eu égard au rôle particulier de la Cour des comptes dans la mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances, qu’il aurait été souhaitable qu’une telle question soit appréhendée par ladite commission.

Mais, au-delà de cette observation, permettez-moi de relever qu’à l’occasion de la première lecture de ce texte à l’Assemblée nationale les mêmes critiques ont pu être émises, quant à son examen accéléré, compte tenu de sa date de présentation officielle en conseil des ministres.

Venons-en au projet de loi qui nous est soumis. Il s’agit, là encore, de mettre, avec complaisance, la France en adéquation, en tout cas en apparence, avec les orientations européennes. Selon l’impression que laissent la discussion déjà menée comme l’exposé des motifs, le Gouvernement s’attacherait, comme il l’a fait pour ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés ou la responsabilité environnementale, par exemple, à introduire au plus vite les éléments de droit européen dont notre législation serait encore dispensée, comme pour apparaître, avant le 1er juillet prochain, comme le bon élève de la classe Europe. Mais, comme chacun sait, une telle volonté ne va pas jusqu’au respect des critères de convergence, ce qui nous amène à nous interroger.

La vraie question de l’atteinte des critères de convergence n’a de sens que dans l’hypothèse où ces critères seraient pleinement justifiés au plan économique et budgétaire, et si les politiques qu’ils induisent permettent effectivement aux États de jouer leur rôle afin de répondre aux aspirations collectives des Européens.

Alors, évidemment avec le texte qui nous est proposé, la France se met en conformité avec les exigences et les principes de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette instance a, en effet, remis en cause les caractéristiques des procédures juridictionnelles devant nos juridictions financières. Ces dernières, fussent-elles soumises à un régime spécial, ne peuvent déroger à la règle de l’équité.

La France se doit de prendre les mesures adéquates pour ne pas se placer dans une situation inconfortable devant les juges européens.

Elle doit également profiter de cette occasion pour simplifier les procédures devant la Cour des comptes et devant les chambres régionales des comptes, et faire en sorte qu’elles soient moins longues.

Une telle orientation n’est pas sans intérêt, car il n’est pas satisfaisant que nous soyons amenés, de temps à autre, lors de l’examen d’une loi de règlement ou d’un collectif budgétaire, à valider des décisions de caractère exceptionnel portant sur les matières sujettes à controverse dans les procédures menées devant les juridictions financières.

Pour autant, on peut s’étonner que cette loi ait été détachée d’une réforme annoncée comme plus importante encore des juridictions financières, et dont la teneur semble pour le moment imprécise.

Avec les lois de décentralisation de 1982 et celles qui ont suivi, un équilibre a été trouvé entre la suppression de la tutelle et la création des chambres régionales des comptes, lesquelles sont aujourd’hui unanimement jugées indispensables, notamment pour le bon fonctionnement des collectivités territoriales.

Le texte qui nous est soumis vise à renforcer le principe du contradictoire et se situe pour partie dans le prolongement de la loi du 21 décembre 2001, relative aux magistrats de la Cour des comptes.

On peut apprécier positivement le fait qu’en application du principe de séparation des pouvoirs le ministre ne pourra plus décider la remise gracieuse des amendes auxquelles les comptables ont été condamnés par le juge des comptes.

Ce projet de loi comprend donc des avancées en termes de garantie d’une procédure juridictionnelle financière plus équilibrée, mais ces avancées sont toutefois contrebattues par quelques légitimes inquiétudes, au nombre desquelles celle qui est exprimée, notamment, par les professionnels des juridictions financières, et qui est relative à la question de la prescription des faits susceptibles d’être poursuivis.

La réduction des délais de prescription, qui fait l’objet d’un article et alimentera la discussion d’amendements, ne nous semble pas une proposition opportune.

La complexité du contrôle sur pièces et sur place et les enjeux spécifiques liés à la comptabilité publique nous semblent suffisamment importants pour qu’il ne soit pas procédé à un alignement des délais sur ceux qui sont pratiqués en matière civile.

Quand il s’agit des deniers publics, nous devons nous donner les moyens de leur juste affectation et du contrôle le plus rigoureux de leur utilisation.

Ensuite, j’ai indiqué, dans mon propos liminaire, avec quelle précipitation ce texte a été introduit à l’ordre du jour et examiné, sans que nous soit donné le temps de recul nécessaire pour procéder à l’évaluation a priori de ses dispositions. Il en va pour ce texte comme pour bien d’autres.

Il faut dire que, depuis le printemps 2007, le Parlement commence à être habitué : textes annoncés à la hâte en fonction de l’actualité immédiate, dont on tire parti pour faire valoir des projets de loi sommaires, lois à répétition portant sur le même sujet sans effet mesurable et mesuré quant à leur utilité, tout s’est produit depuis mai 2007 pour accréditer les propos que nous tenons.

Le Grenelle de l’environnement ? Des mois de consultation large de l’ensemble des acteurs de la société civile, ce pour aboutir à quels résultats ?

Le pouvoir d’achat ? Je crois bien que la loi de modernisation de l’économie doit être la cinquième loi prise en un an pour tenter de répondre aux problèmes posés par la réduction du pouvoir d’achat des Français.

Qu’il nous soit donc permis de nous demander pourquoi le texte que nous examinons a ainsi été détaché d’une réforme plus profonde des juridictions financières, réforme dont la logique apparaît comme inéluctable au regard de la politique menée par le Gouvernement en termes de couverture du territoire en instances et équipements de l’ordre judiciaire.

Pourquoi dans la logique qui anime Mme la garde des sceaux, ne pas penser utile et souhaitable de réduire les moyens matériels et humains propres aux juridictions financières, comme on a pu le faire pour les tribunaux civils ou la justice prud’homale ou commerciale ?

C’est peut-être cet objectif qui serait visé, derrière l’apparente volonté d’accélération des procédures devant les juridictions financières.

Comment ne pas penser que d’aucuns pourraient prendre appui sur la loi dont nous débattons aujourd’hui pour justifier demain qu’un certain nombre d’opérations menées notamment par les chambres régionales des comptes soient externalisées ?

La question des délais de prescription, déjà soulignée, montre que ce texte, fortement technique, vise aussi à préparer le terrain de la « réduction de voilure » qui semble promise aux juridictions financières.

Reste la question politique immédiate, celle de la certification des comptes de l’État pour la plus récente loi de finances.

Vous me permettrez de citer le communiqué de presse que la Cour des comptes a émis, le 27 mai 2008, sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État en 2007.

« Ce rapport examine les résultats de l’exercice 2007 et les comptes associés.

« Il analyse d’abord le résultat budgétaire. Le déficit s’élevait fin 2007 à 34, 7 milliards d’euros […] contre 39 milliards en 2006 […]. Cette amélioration vient néanmoins d’opérations effectuées en fin de gestion pour réduire le déficit annoncé : reports de charges exigibles sur 2008, plus de 7 milliards d’euros, débudgétisations, perception de recettes exceptionnelles d’un montant élevé, 6, 6 milliards d’euros. L’extinction de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale, 5, 1 milliards d’euros, a notamment été réalisée de façon extrabudgétaire pour ne pas dégrader le déficit.

« Le résultat patrimonial en comptabilité générale, qui donne une vue plus complète de l’ensemble des droits et des obligations de l’État […] se dégrade quant à lui de près de 10 milliards d’euros : il était de 31, 6 milliards d’euros en 2006 et de 41, 4 milliards en 2007. »

Évidemment, une telle analyse, outre qu’elle atteste que les déclarations triomphales du Gouvernement sur la réalité de la situation économique doivent être tempérées par les faits, montre qu’un débat est ouvert aujourd’hui quant à l’indépendance et à la qualité du travail de nos juridictions financières, de la première de toutes, la Cour des comptes, jusqu’à chacune des chambres régionales des comptes.

C’est au regard de ces observations que nous ne voterons pas ce projet de loi, dont, au fond, nous aurions pu trouver la teneur dans un texte bien plus complet que celui qui nous est proposé aujourd’hui.

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