Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 9 novembre 2023 à 15h00
Immigration et intégration — Article 12, amendement 596

Gérald Darmanin, ministre :

J'ai du mal à comprendre le raisonnement de M. Dossus, sauf à être totalement opposé par principe au contrôle d'identité, au fait que les étrangers doivent quitter le territoire quand ils sont en situation irrégulière, en particulier lorsqu'ils sont très dangereux, et à tout enfermement dans un centre de rétention.

J'ai précisé que le fonctionnement en matière de rétention a changé. Les 1 300 places existantes – il y en avait 900 lors de mon arrivée au ministère – et les 3 000 places à terme, en 2027, grâce à la loi de programmation du ministère de l'intérieur, sont réservées à un autre type de personnes.

Nous sommes en train de changer la sociologie des étrangers placés en centre de rétention. Comme l'a souligné, M. Durain, il s'agit effectivement d'une privation de liberté – personne n'en disconvient –, qui correspond à des critères particuliers. Cela implique donc d'agir avec précaution. Nous y plaçons les personnes dangereuses pour l'ordre public.

Aujourd'hui, les personnes placées dans les CRA, hors Mayotte, sont des personnes soit radicalisées, soit dangereuses. Il n'y a plus d'enfants, même si la loi n'est pas encore votée, et il y a moins de 2 % de femmes. Celles qui sont placées dans ces centres ont commis des actes d'une grande dangerosité ou sont radicalisées.

Bref, ces individus sont placés en centres de rétention pour que nous puissions y concentrer le travail de la police et du ministère des affaires étrangères, notamment à des fins d'identification. Si une personne nie la nationalité qu'on lui attribue et prétend en avoir une autre, il faut bien demander à une mission de reconnaissance de vérifier son accent, d'examiner dans quels pays ont été passés ses coups de fil et de venir de lui poser toutes sortes de questions. Certaines personnes essaient évidemment de tricher pour ne pas repartir dans leur pays d'origine. Or nous ne pouvons pas renvoyer dans un pays X un ressortissant d'un pays Y : nous n'aurions d'ailleurs pas de laissez-passer consulaires pour cela.

Il est donc très important de placer dans les centres de rétention administrative les personnes qui doivent être sous la main du ministère de l'intérieur, afin de contrôler leur identité expressis verbis et d'obtenir le laissez-passer consulaire. Je vous rappelle que celui-ci n'est délivré que pour quelques jours ; il ne vaut pas ad vitam. Comment faire pour renvoyer ces étrangers chez eux si vous ne les avez pas sous la main et que vous dépassez le délai de validité de trente jours des laissez-passer consulaires ?

Ces centres de rétention répondent à une procédure normale, classique, et ils permettent l'action de la police. C'est la raison pour laquelle nous y plaçons aujourd'hui des personnes dangereuses. Nous les privons effectivement, comme l'a indiqué M. Durain, de liberté.

Une part très importante de délinquants étrangers multirécidivistes commettent des actes de délinquance atteignant entre 30 % et 50 % des crimes et délits sur certains territoires. Depuis un an, nous avons uniquement placé en centre de rétention les personnes dangereuses : nous les empêchons évidemment de commettre ces actes de récidive et nous obtenons leur expulsion. Certes, monsieur Durain, 100 % des personnes placées dans les CRA ne sont pas expulsées ou éloignées. Mais c'est tout de même 40 % de plus que celles qui ne sont pas dans les CRA, ce qui prouve l'efficacité de ces centres. Oui, il convient encore d'améliorer les procédures. Mais il est évident que vous devriez tous défendre collectivement la mesure proposée par le Gouvernement.

L'étranger qui est en situation irrégulière, mais qui ne commet aucun acte de délinquance doit pouvoir être raccompagné dans son pays sans passer par un centre de rétention. Et l'étranger qui commet des actes de délinquance doit être placé dans un centre de rétention, car c'est précisément lui qui doit être éloigné en premier !

J'aurais pu, moi aussi, faire comme tous les ministres de l'intérieur avant moi et placer dans les CRA uniquement les personnes qui ne posent pas de problème pour l'ordre public : elles sont plus faciles à éloigner que les personnes dangereuses. Car tous les pays posent des questions sur les ressortissants qu'on veut leur renvoyer. Moi-même, lorsqu'un pays tiers souhaite renvoyer en France un tueur, je prends le temps de vérifier qu'il est bien Français avant d'accepter : c'est normal ; j'essaie de protéger mon pays.

Je ne comprends donc pas le raisonnement de M. Dossus, qui me paraît être contre tout et qui n'entend pas la volonté du Gouvernement de protéger nos compatriotes. C'est à se demander d'ailleurs s'il veut protéger nos compatriotes ou s'il ne préfère pas régulariser les étrangers délinquants qui ont commis des crimes ou qui sont radicalisés…

M. Durain, comme à son habitude, est plus raisonnable, mais je ne saurais être d'accord avec lui : les chiffres de libération qu'il cite sont ceux du covid.

Par ailleurs, il fait mine d'ignorer que nous avons connu une crise des visas avec la plupart des États dont les ressortissants étaient en centres de rétention administrative : 70 % des personnes placées dans les CRA sont issus des trois pays du Maghreb. Quand l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie n'accordent plus du tout de laissez-passer consulaires du fait du rapport de force qu'a installé le Président de la République il y a un an et demi, que fait le juge des libertés et de la détention ? Il ne se soucie pas de la dangerosité de la personne ; ça, c'est l'objet de l'amendement n° 596, que j'espère vous faire adopter dans un instant. Il regarde seulement si la procédure ne risque pas d'être entachée de nullité, si quelqu'un n'a pas oublié un tampon et, surtout, si la personne peut être raisonnablement renvoyée dans son pays. Quand la France n'obtient plus de laissez-passer consulaires, comme c'est aujourd'hui le cas pour les citoyens russes placés dans les CRA, le juge libère la personne, qu'importe sa dangerosité, car nous n'avons pas le droit d'enfermer un individu sans chance sérieuse de pouvoir le renvoyer dans son pays.

Les pourcentages cités par M. Durain sont donc très amoindris par la crise du covid et celle des visas. Nous avons aujourd'hui renoué avec des taux de reconduite tout à fait acceptables – j'aurais dû vous fournir ce rapport, mea maxima culpa –, qui dépassent même ceux de 2019, soit au plus haut de ce que nous étions parvenus à réaliser. Nous verrons l'année prochaine quels seront les chiffres de l'immigration pour cette année.

Je précise que nous n'avons pas étendu le délai de rétention. Aux termes de la directive européenne, nous aurions pu aller jusqu'à dix-huit mois, comme c'est notamment le cas en Grèce. Lorsque la France prévoit donc un délai de quelques mois, elle est très en deçà de ce qui est possible au sein de l'Union européenne.

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