Intervention de Rachida Dati

Réunion du 5 juin 2008 à 9h30
Réforme de la prescription en matière civile — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de satisfaction que je reviens devant vous pour l’adoption définitive – je l’espère – de cette proposition de loi, qui sera si utile à notre droit.

Le droit de la prescription était devenu très complexe et si peu lisible qu’il en était source d’insécurité juridique. Il fallait rapidement le réformer : les délais de prescription étaient multiples et la durée même du délai de droit commun, trente ans, n’était plus adaptée à notre vie économique.

Votre assemblée s’est à juste titre saisie de cette question. En février 2007, la commission des lois du Sénat, sous l’impulsion efficace de son président, M. Hyest, a créé une mission d’information. Un travail d’une grande qualité a été mené ; il a servi de base à cette proposition de loi, qui répond aux préoccupations des professionnels du droit et des opérateurs économiques.

Ce texte est ambitieux : il s’agit d’une réforme d’ampleur qui appréhende la question de la prescription dans sa globalité. Ce n’est pas un simple « toilettage » du code civil.

Ce texte est moderne : le nouveau délai de droit commun de cinq ans nous replace dans le grand mouvement européen. En Allemagne, le délai est de trois ans ; en Angleterre et au Pays de Galles, il est de six ans.

Ce projet rend notre droit civil plus attractif. Il facilitera la vie économique de nos entreprises, car elles gagneront en compétitivité.

Je salue également le travail particulièrement harmonieux des deux assemblées.

Quelques modifications ont été apportées par l’Assemblée nationale à la proposition de loi initiale. En effet, après l’adoption du texte par le Sénat, des inquiétudes se sont exprimées au sujet des dommages et intérêts alloués aux victimes de discrimination au sein d’une entreprise et des administrations.

Comme vous l’avez très justement rappelé dans votre rapport, monsieur Béteille, il s’agissait d’un malentendu. Pour le dissiper, le président Hyest, le sénateur Richard Yung et vous-même, monsieur le rapporteur, avez déposé deux amendements identiques. Ceux-ci ont été proposés lors du débat sur la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Ils visaient à introduire dans le code du travail et dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires les dispositions concernant la réparation du préjudice résultant d’une discrimination.

Sur proposition de sa commission des lois et avec l’accord du Gouvernement, l’Assemblée nationale a décidé de reprendre à l’identique ces dispositions dans le texte qui nous est aujourd’hui soumis. La discrimination salariale est en effet une situation tout à fait particulière : elle peut durer pendant de nombreuses années et elle existe souvent à l’insu même de la victime.

Prenons l’exemple d’une femme qui est victime de discrimination salariale depuis 1990, mais qui ignore pendant longtemps le salaire des autres employés. Si cette femme n’a connaissance qu’en 2008 des éléments qui montrent qu’elle a fait l’objet d’une discrimination, elle pourra agir jusqu’en 2013.

Ces amendements identiques précisent également que le droit à réparation portera sur l’ensemble de la période pendant laquelle la victime a fait l’objet de discrimination. Dans mon exemple, les dommages et intérêts alloués seront accordés à compter de 1990, début de la discrimination, et non pas de 2008.

Ces modifications ont donc permis de dissiper tout malentendu.

La proposition de loi ayant été adoptée par la commission des lois du Sénat, je n’en ferai pas de nouvelle présentation intégrale. Je reviendrai seulement sur deux points qu’il me paraît important de préciser : le nouveau mécanisme de calcul du point de départ de la prescription et la possibilité laissée aux signataires d’un contrat d’aménager la durée de la prescription.

Le délai de droit commun est fixé à cinq ans. Il est encadré par un point de départ « glissant » et un délai butoir. C’est là un nouveau mécanisme.

Le délai de prescription de cinq ans s’impose pour plusieurs raisons. D’abord, il est respectueux des droits de chacun et source de sécurité pour tous. Il est suffisant pour permettre à un créancier d’engager une action ; il écarte toute action tardive, renforçant par là la sécurité juridique. Ensuite, il s’inscrit dans la moyenne européenne. Ces nouvelles dispositions favoriseront donc le rayonnement du droit français.

Ce délai est encadré par un nouveau mécanisme, le point de départ « glissant », qui est la consécration de la jurisprudence actuelle. Il fait partir le délai de prescription du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Il s’agit donc d’un délai utile : à partir du moment où l’intéressé aura connaissance des faits litigieux, il disposera de cinq ans pour réunir les éléments de preuve, se renseigner et prendre la décision d’une éventuelle action en justice. En cas de conciliation ou de médiation, le délai est suspendu.

Compte tenu de ce point de départ « glissant », le délai pour agir est largement suffisant.

Pour autant, ce point de départ fluctuant ne doit pas rendre les actions imprescriptibles. Ce serait contraire aux objectifs de cette réforme. C’est la raison pour laquelle un délai butoir a été mis en place. Quelles que soient les raisons de report des effets de la prescription, l’action sera prescrite vingt ans après le fait générateur.

Cette disposition existe notamment en droit allemand, belge et écossais. Elle vient renforcer la sécurité juridique. Le mécanisme du délai butoir existe déjà en droit français. C’est le cas, par exemple, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

Vous le voyez, c’est un mécanisme novateur qui modernise en profondeur le droit de la prescription.

L’autre grande nouveauté de ce texte, c’est la possibilité d’un aménagement contractuel de la prescription.

Les parties peuvent d’un commun accord : soit allonger la durée de la prescription dans la limite de dix ans, soit la réduire dans la limite de un an. Elles peuvent également ajouter des causes d’interruption ou de suspension.

Ce souci d’étendre la liberté contractuelle vient conforter le rôle de la volonté des parties. La jurisprudence avait déjà consacré la possibilité pour les parties de réduire les délais. Cette disposition existe en droit espagnol ou suédois. Elle est aussi préconisée par l’organisation internationale Unidroit. Elle introduit la souplesse que nombre de professionnels revendiquent. Elle répond à leurs besoins concrets et sera pour eux un atout supplémentaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais une nouvelle fois à féliciter la Haute Assemblée pour la qualité et la modernité de cette proposition de loi. Le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur du texte, M. Laurent Béteille, ont réalisé un travail remarquable.

Cette proposition de loi montre tout l’intérêt qu’il y a à accroître le rôle du Parlement dans notre système institutionnel. Le Parlement est une force de proposition et de réforme. Il faut lui donner davantage les moyens d’agir. C’est un débat que nous aurons dans quelques jours.

Ce renforcement va dans l’intérêt de la représentation nationale, et donc de la démocratie et des Français.

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