Il s’agit d’un texte équilibré, mais les travaux menés à l’Assemblée nationale ont montré que certains points restaient à préciser. Je rappelle que le groupe socialiste l’avait voté en première lecture, mais nous sommes heureux de saisir l’occasion de cette nouvelle discussion pour y revenir.
Ce texte a l’avantage de donner de la cohérence à notre droit de la prescription civile tout en lui apportant une meilleure lisibilité. Il simplifie le décompte des délais de prescription tout en offrant des garanties aux justiciables.
Je veux redire qu’il s’agit d’un bon compromis entre, d’une part, les propositions du groupe de travail présidé par M. Weber, qui préconisait de fixer un délai de droit commun de dix ans pour la prescription extinctive, et, d’autre part, les propositions de l’avant-projet de réforme élaboré par MM. Malaurie et Catala, qui recommandaient de fixer un délai de trois ans.
À mes yeux, ce texte a un mérite supplémentaire essentiel : il constitue un grand pas en avant vers l’harmonisation des délais à l’échelon communautaire.
Comme cela a été souligné, la majorité des pays prévoient un délai de prescription de cinq ans ou six ans. Le fait de le fixer à cinq ans chez nous nous rapproche de pays tels que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. C’est ainsi que se construit progressivement l’harmonisation difficile du droit dans ces domaines…
La présente proposition de loi répond au besoin de sécurité juridique qui doit permettre aux victimes de faire valoir leurs droits pendant un délai raisonnable. Je comprends que la réduction assez brutale du délai commun de trente ans à cinq ans suscite une certaine émotion, mais il en est toujours ainsi lorsque l’on modifie les choses.
Au demeurant, il faut le rappeler, certaines dispositions particulières et dérogatoires continueront d’être applicables à un bon nombre de situations. Je pense notamment à l’action en responsabilité civile lorsque les victimes sont mineures et ont subi, par exemple, des actes de torture ou de barbarie, ou des violences. Dans ce cas, le délai applicable restera égal à vingt ans.
J’aborderai maintenant un point sujet à controverse, à savoir l’instauration d’un délai butoir égal à vingt ans et au terme duquel aucune action tendant à la reconnaissance d’un droit ne pourra plus être engagée.
Je rappelle que la création de ce délai est rendue nécessaire par l’assouplissement des règles relatives au point de départ et aux causes de suspension. Par ailleurs, il est important de préciser que ce délai ne s’appliquera pas à l’ensemble des prescriptions. Le cas concernant les victimes mineures sera notamment exempté.
La possibilité d’aménager contractuellement la prescription extinctive a également fait débat. Cependant, je rappelle que des garde-fous ont été introduits en première lecture. Grâce à un amendement présenté par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, l’aménagement contractuel ne pourra pas s’appliquer aux créances périodiques telles que les salaires, les fermages, les loyers et charges locatives afférents à des baux d’habitation.
Cette disposition est de nature à protéger la partie la plus faible du contrat. Ainsi, les employeurs ne pourront pas imposer à leurs salariés un délai de l’action en paiement ou en répétition des salaires d’un an. À l’inverse, les bailleurs professionnels ne pourront pas imposer à leurs locataires une durée de prescription de dix ans de l’action en paiement ou en répétition des loyers.
Comme M. le rapporteur l’a souligné, l’Assemblée nationale a adopté sans modification majeure la plupart des dispositions proposées par le Sénat, y compris la suppression de l’article 18 relatif à la compensation des conséquences financières. Elle a, par ailleurs, adopté des amendements visant à insérer des articles additionnels, tel l’article tendant, par exemple, à réduire de dix ans à cinq ans le délai de prescription des actions en responsabilité civile engagées à l’occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires de meuble aux enchères publiques à compter de l’adjudication ou de la prisée.
Toutefois, ce texte équilibré nécessite encore quelques précisions. Même si je comprends le souci de M. le rapporteur de ne pas vouloir le modifier en engageant de nouveaux débats, j’estime que la deuxième lecture est faite pour répondre aux interrogations qui demeurent et améliorer encore la rédaction.
Par ailleurs, je souhaiterais aborder l’aspect le plus polémique de la proposition de loi, ses implications en matière de lutte contre les discriminations salariales.
Près de quatre mois après la première lecture, des syndicats, des associations de lutte contre les discriminations, ainsi que la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ont vivement réagi, exprimant des inquiétudes tout à fait légitimes. Cela dit, il eût été préférable qu’ils se manifestent avant, car cela nous aurait permis d’agir plus tôt.
Selon eux, l’application de l’article 2224 du code civil entraînerait une réduction de l’indemnisation des victimes, laquelle ne réparerait que le préjudice subi pendant les cinq dernières années. Or telle n’était pas notre intention, et je puis témoigner de la bonne foi de la commission et de son président. Mais peut-être n’avons-nous pas su détecter les répercussions éventuelles de ce texte technique…
En mars dernier, Jean-Jacques Hyest, Laurent Béteille et moi-même avons rencontré des représentants du collectif en question, qui, à l’issue de la réunion, nous ont dit être plutôt rassérénés, voire rassurés.
Afin de dissiper ce malentendu, des dispositions ont été incluses dans le code du travail et le statut des fonctionnaires lors de la discussion, au mois d’avril dernier, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Ces dispositions prévoient la réparation intégrale du préjudice : les dommages et intérêts alloués à la victime d’une discrimination répareront l’intégralité du préjudice subi, pendant toute sa durée. Tel est le sens des deux amendements identiques qui avaient alors été adoptés par le Sénat et dont le contenu a été repris dans ce texte par l’Assemblée nationale.
Au vu des longs débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale sur le point de départ de la prescription, j’estime que cette question mérite encore réflexion. Il serait, à mon avis, souhaitable d’intégrer dans la loi la définition retenue par la jurisprudence de la Cour de cassation, et je déposerai un amendement en ce sens, car il n’y a aucune ambiguïté entre nous sur cette question.
Enfin, on vient d’attirer notre attention sur la garantie décennale en matière de responsabilité des constructeurs d’ouvrage telle qu’elle est prévue par le nouvel article 1792-4-3 du code civil, qui, semble-t-il, ne s’appliquerait pas à tous les professionnels de la construction. Cette disposition viserait à créer un déséquilibre entre les assimilés constructeurs, tels que les vendeurs d’immeuble à rénover ou les contrôleurs techniques, qui pourraient être responsables, eux, pendant les vingt années suivant la date de livraison de l’ouvrage, et les entreprises réalisant effectivement les travaux, qui conserveraient, quant à elles, le bénéfice de la jurisprudence actuelle, c’est-à-dire dix ans.