Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 9 novembre 2023 à 14h30
Immigration et intégration — Article 9, amendement 631

Gérald Darmanin :

La seule disposition proposée par le Gouvernement, qu’elle soit ou non modifiée par les amendements des rapporteurs, permettrait déjà d’atteindre près de 4 000 mesures d’expulsion par an, alors que nous en enregistrons aujourd’hui à peine 400 à 500.

Je rappelle que l’arrivée avant l’âge de 13 ans sur le territoire national représente 69 % des cas dans lesquels l’expulsion n’est pas possible. Vient ensuite la protection des conjoints de Français, pour 22 %. Nous tranchons là le nœud gordien en matière d’expulsion des étrangers délinquants.

Je le précise, l’article 9 concerne des personnes qui auraient été définitivement condamnées à plus de cinq ans de prison ferme, de façon définitive et après l’épuisement de tout appel. Il s’agit donc bien de délinquants ou de criminels notoires.

Le Gouvernement avait imaginé de fixer le seuil à dix ans de prison et cinq ans en cas de récidive. La commission des lois propose un seuil à cinq ans. Nous allons la suivre.

Je rejoins Bruno Retailleau. Certaines situations sont difficilement compréhensibles pour les Français.

Je prends l’exemple de deux frères de nationalité étrangère nés l’un en 1991, l’autre en 1995. Arrivés en France en 2003, ils ont toujours été en situation régulière. Le premier a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour viol sur personne vulnérable, et le second à sept ans d’emprisonnement pour proxénétisme aggravé sur mineur de moins de 15 ans.

Or les deux frères bénéficient de la protection de la loi : ils sont arrivés en France avant l’âge de 13 ans et chacun peut se prévaloir de son lien familial avec l’autre. §Un certain nombre de dispositions – le législateur pourrait s’en convaincre – sont, de toute évidence, absurdes.

Monsieur Retailleau, je comprends tout à fait l’esprit dans lequel vous présentez votre amendement. Je ne peux pas y souscrire, et je ne pourrai émettre sur ce dernier qu’un avis défavorable, non pas pour vous être désagréable, mais parce que je tiens, comme M. le rapporteur, à l’avancée du texte.

Je souhaite notamment qu’il soit validé par le Conseil constitutionnel. En effet, je ne saurais me passer des 3 600 arrêtés ministériels d’expulsion (AME) que ce texte pourrait me permettre d’obtenir.

Ces mesures sont, me semble-t-il, bien plus importantes que les autres dispositions que nous avons longuement évoquées.

La seule question à nous poser est de nous demander quelles mesures sont constitutionnelles et lesquelles ne le sont pas.

Je comprends bien que des considérations politiques puissent conduire à pousser dans un certain sens. Je pense néanmoins que nous allons déjà assez loin, dans le respect de la Constitution.

Je souhaite d’ailleurs rappeler un élément, pour la clarté de nos débats : le Conseil d’État considère que le fait d’excepter des protections prévues des étrangers qui continuent de menacer gravement l’ordre public « ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, dès lors que les décisions d’expulsion sont soumises au respect du principe de nécessité et de proportionnalité et de l’article 8 de la CEDH, et qu’elles sont placées sous le contrôle du juge ».

Le Conseil d’État ayant – il faut le souligner – validé notre dispositif, nous pensons que ce dernier est constitutionnel.

Monsieur Retailleau, votre amendement va plus loin. Non seulement vous proposez de lever toutes les protections – nous souhaitons les lever uniquement pour les personnes condamnées à plus de cinq ans de prison ferme –, mais vous ajoutez des dispositions tendant à infliger des peines d’ITF automatiques.

Vous engagez le juge à prononcer des peines automatiques, ce qui est contraire, vous le savez, à la Constitution, comme au principe de la libre individualisation des peines par les magistrats.

Par ailleurs, vous aggravez les peines encourues d’une manière que nous jugeons disproportionnée. Cela peut s’entendre politiquement, mais nécessite une réforme constitutionnelle, qui ne serait peut-être même pas suffisante pour apporter les garanties souhaitées ; nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle que vous avez déposée.

Monsieur Retailleau, après cet échange, je vous invite à retirer votre amendement, pour le bien du texte, qui est conforme à la Constitution et qui va suffisamment loin.

Cela ne signifie pas que nous avons épuisé le débat sur les questions constitutionnelles et conventionnelles. Mais, en l’occurrence, nous sommes en train d’élaborer la loi ordinaire.

À défaut d’un retrait, je serais contraint d’émettre un avis défavorable sur votre amendement.

J’aurai l’occasion d’émettre un avis similaire sur un certain nombre d’amendements, à l’exception de l’amendement n° 631, sur lequel l’avis du Gouvernement sera favorable.

Vous l’avez compris, ce n’est pas un désaccord de principe que j’exprime ici. Je souhaite simplement sauver ce texte, qui est très important pour la sécurité de nos compatriotes.

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