Le texte que nous examinons a pour objet de créer une nouvelle catégorie d’entreprises publiques, un nouvel instrument au service des collectivités territoriales, à savoir les sociétés publiques locales. Cette proposition de loi de notre collègue Daniel Raoul est très similaire à celles qu’ont déposées respectivement notre collègue Jean-Léonce Dupont et le député Jean-Pierre Schosteck.
Les collectivités territoriales, qui génèrent les trois quarts de l’investissement public, doivent pouvoir recourir aux services de tiers dans des conditions compétitives et juridiquement simples, dans le respect du droit communautaire de la concurrence. Si l’instrument des sociétés d’économie mixte, ou SEM, n’était plus adapté à ces exigences, c’est parce que leur capital est en partie privé. Il fallait donc créer des sociétés publiques locales à capital entièrement public émanant de nos collectivités territoriales.
En première lecture, cette proposition de loi a été votée à l’unanimité, tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale, avec quelques améliorations qui ne remettent pas en cause l’équilibre général.
Le statut de ces sociétés publiques locales résulte tout à la fois de la réglementation des sociétés anonymes, des dispositions particulières applicables aux sociétés d’économie mixte, en raison de la présence des collectivités locales dans l’actionnariat, et des règles spécifiques découlant de l’article 1er de cette proposition de loi.
L’Assemblée nationale a ajouté un article 1er bis A, aux termes duquel la délégation de service public par une collectivité territoriale à une société publique locale dont elle est membre s’effectuera sans mise en concurrence, comme c’est déjà le cas pour les établissements publics. Nos collègues députés ont ajouté l’obligation pour l’assemblée délibérante de se prononcer sur le principe de délégation de service public à la société publique locale.
L’exonération de la mise en concurrence ressortit à la nature de l’entreprise, qui est le prolongement de la collectivité.
Comme l’a rappelé M. le secrétaire d'État, il faut deux conditions cumulatives selon les critères du « in house » et de la jurisprudence européenne résultant de l’arrêt Teckal, de novembre 1999, et de l’arrêt Coditel Brabant, de novembre 2008 : l’autorité publique doit exercer sur la société publique locale un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services – c’est la définition du droit européen – et la société publique locale doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent.
Le dispositif qui en résultera sera sécurisé : société anonyme avec application des dispositions spécifiques prévues pour les sociétés d’économie mixte ; capital avec au moins deux actionnaires, ainsi que le Sénat en avait exprimé la volonté lors de la première lecture ; capital entièrement détenu par les collectivités territoriales et leurs groupements ; une activité pour le compte exclusif des actionnaires ; un cantonnement au territoire de ces collectivités.
Ainsi, nous avons tout fait pour que ce texte apporte un maximum de sécurité juridique.
Les sociétés publiques locales d’aménagement, depuis leur création, en 2006, n’avaient pas connu un très grand succès en raison de la contrainte qui leur était imposée de compter au moins sept actionnaires. Pour leur permettre de se développer, nous avons décidé de réduire ce chiffre à deux.
Ces outils d’aménagement conformes à la jurisprudence européenne sont très utiles pour nos collectivités. Il ne s’agit aucunement de restreindre l’activité du secteur privé, en particulier du secteur du bâtiment et des travaux publics, qui, au contraire, a tout intérêt à ce que nos collectivités territoriales disposent des meilleurs instruments pour développer l’investissement. Là est le message et il importe de le faire partager.
Ces évolutions facilitent la réintégration au sein d’une seule entité de diverses activités aujourd’hui dissociées et permettent, par exemple, de doter les intercommunalités d’un outil de mutualisation dans le champ du « in house ».
Cette mutualisation, monsieur le secrétaire d'État, me paraît participer à l’effort nécessaire pour réaliser un maximum d’économies.
Des auditions que nous avons menées, il ressort que la Fédération des entreprises publiques locales et l’ensemble des associations d’élus émettent un avis très favorable sur cette proposition de loi, le MEDEF et la Fédération française du bâtiment ayant, quant à eux, exprimé leur inquiétude.
Au-delà de toute caricature, soulignons encore une fois que ce texte n’a pas pour objet de permettre aux élus de faire n’importe quoi. Alors qu’il leur est souvent reproché de ne jamais être d’accord sur rien, saluons l’unanimité avec laquelle les élus accueillent ce texte, signe qu’une vraie volonté se manifeste en faveur de nos collectivités territoriales.
Je pense que les élus des collectivités locales, en ces temps d’errements financiers, montrent quotidiennement leur capacité à gérer ces collectivités. D’ailleurs, les sociétés d’économie mixte qui en dépendent servent souvent l’intérêt général de façon exemplaire.
J’en viens aux articles qui composent ce texte.
L’article 1er est consacré aux dispositions concernant le régime juridique de cette nouvelle catégorie d’entreprises. Je rappelle que nous avons tous fait le maximum en vue d’une sécurisation juridique : à travers le contrôle de légalité, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État ; mais aussi à travers l’approbation par les assemblées délibérantes de toute modification des éléments constitutifs de la société ; la compétence, que vous avez également rappelée, de la chambre régionale des comptes ; et les règles spécifiques aux SPL sur l’objet social, la composition du capital et les règles encadrant leur activité prévues par le présent article.
Ainsi, ce statut fixe des règles strictes justifiant la dispense de l’obligation de mise en concurrence. L’Assemblée nationale a retenu ce dispositif, avec deux précisions rédactionnelles opportunes. Votre commission propose donc d’adopter l’article 1er sans modification.
Dans l’article 1er bis A, introduit par l’Assemblée nationale, il s’agit simplement, par coordination avec l’institution des SPL, de compléter le régime des délégations de service public pour délimiter le domaine d’application des règles concurrentielles. Ainsi, avec ce nouvel article, la délégation de service public par une collectivité territoriale à une SPL dont elle est membre s’effectuera sans mise en concurrence.
Je rappelle qu’une telle exemption existe déjà au profit d’établissements publics. Nous arrivons à une situation où il est nécessaire de requérir de la personne publique qu’elle « exerce un contrôle comparable à celui qu’elle exerce sur ses propres services » – cela, c’est la déclinaison du droit communautaire – et qu’elle bénéficie de l’essentiel des activités de l’établissement. En outre, dans le respect du principe de spécialité qui régit les établissements publics, les statuts doivent prévoir expressément l’activité déléguée.
L’Assemblée nationale a étendu ces dispositions aux SPL en tenant compte, pour mesurer leur activité au regard du second critère du « in house », de l’ensemble des actionnaires. Il s’agit donc, très clairement, de la transposition de la jurisprudence de la Cour européenne, qui apprécie globalement l’activité de la société en cause, c’est-à-dire au niveau de l’ensemble des personnes publiques détentrices de la société, et non pour chacune d’entre elles. Cela est bien conforme à l’arrêt Carbotermo de 2006.
Nos collègues députés ont renforcé dans ce cas le contrôle préalable des élus en prévoyant une délibération sur le principe de toute délégation de service public à une SPL.
Votre commission des lois a approuvé ces harmonisations utiles, ce verrou supplémentaire que constitue l’intervention de l’assemblée délibérante, qui conforte tout autant le contrôle exercé sur la société que la démocratie locale.
La commission vous propose par conséquent d’adopter l’article 1er bis A sans modification.
L’article 1er bis porte sur la pérennisation des sociétés publiques locales d’aménagement. Là aussi, notre collègue Daniel Raoul avait déposé un amendement qui a été retenu pour pérenniser ces SPLA en étendant leur champ d’action. L’Assemblée nationale a modifié la rédaction du premier alinéa de l’article L. 327-1 du code de l’urbanisme pour l’aligner parfaitement sur les dispositions introduites dans le code général des collectivités territoriales. Aussi, votre commission a adopté cet article sans modification.
Plus généralement, ces SPLA, dont le nombre a augmenté au cours de la dernière année, vont certainement connaître un développement relativement important. L’intérêt récent pour cet instrument est dû, je l’ai rappelé tout à l’heure, à l’abaissement à deux du nombre minimal d’actionnaires. Nous vous proposons d’adopter également l’article 2 sans modification.
Monsieur le secrétaire d’État, pour répondre aux objections et aux inquiétudes sur lesquelles vous avez attiré l’attention de notre assemblée, il me semble utile de rappeler, pour qu’il n’existe aucune ambiguïté, que les SPL représentent 80 % des 16 000 entreprises publiques locales en activité dans les autres pays européens, ce qui n’empêche pas les entreprises privées – et notamment les groupes français – d’y gagner des parts de marché significatives.
Comme les quelque 1 100 SEM en activité, les SPL se consacreront principalement à des missions de coordination et d’impulsion, et ne seront aucunement destinées à concurrencer les entreprises privées. Elles auront un rôle « pilote » d’entraînement sur les territoires, ce qui aura des retombées sur les entreprises en termes de commandes, directes ou indirectes.
Nous avons donc veillé, je le rappelle encore une fois, à ce que les futures SPL « collent » à la définition la plus rigoureuse du « in house » bâtie par la jurisprudence communautaire.
En ce qui concerne les logements sociaux, qui ont fait l’objet de quelques inquiétudes, il convient de préciser que les SPL n’auront pas, en l’état, la possibilité d’en réaliser.
En effet, sans modification de la réglementation, les SPL n’auront accès ni aux subventions de l’État, ni aux prêts de la CDC pour la construction de logements locatifs sociaux.
L’article R. 331-14 du code de la construction et de l’habitation liste de manière exhaustive les organismes qui peuvent avoir accès à ces subventions et à ces prêts. Les SPL n’en font pas partie : je crois qu’il convenait de rappeler cet élément, notamment pour rassurer l’Union sociale de l’habitat.
De plus, les SPL n’auront la possibilité d’exercer leurs activités que pour le compte de leurs actionnaires.
Monsieur le secrétaire d’État, si des collectivités locales souhaitent à l’avenir que des SPL soient autorisées à construire des logements sociaux, il conviendra éventuellement de le prévoir par des dispositions ultérieures, après discussion avec les pouvoirs publics, et de modifier les textes en conséquence.
Pour conclure, la commission a considéré à l’unanimité qu’il convenait d’adopter conforme ce texte, car il paraît tout à fait sécurisé quant à l’application du droit communautaire, tout en donnant à nos collectivités un instrument d’action supplémentaire pour développer encore l’investissement, ce qui est tout à fait primordial, en particulier en ces temps difficiles.