Intervention de Aurélien Rousseau

Réunion du 13 novembre 2023 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2024 — Discussion d'un projet de loi

Aurélien Rousseau :

Il convient également de rappeler qu’un budget est indissociable de son contexte. Si celui-ci, nous le savons tous, est réellement difficile – loin de moi l’idée de le nier –, il est également contrasté.

Je mesure les obstacles, parfois désespérants, auxquels est encore confronté un très grand nombre de nos concitoyens en matière d’accès aux soins. Je connais les difficultés des soignants mobilisés au quotidien pour accompagner les Françaises et les Français.

Si je n’entends pas tout repeindre en rose, tant l’hétérogénéité est grande dans nos territoires, il faut toutefois reconnaître que le cadre d’action que j’ai décrit est soutenu par les moyens très importants déployés depuis plusieurs années, ainsi que par les efforts consentis par les assurés sociaux et les cotisants eux-mêmes.

On le voit, par exemple, à la reprise de l’activité hospitalière, mais surtout à celle des recrutements hospitaliers, qui nous permettront, d’ici à la fin de l’année, de rouvrir plusieurs milliers de lits hospitaliers.

C’est l’un des effets des investissements massifs qui ont été consentis dans cadre du Ségur de la santé et qui continuent à être décaissés pour construire ou rénover nos établissements de santé, même s’il faut reconnaître que l’inflation est telle qu’elle nous oblige parfois à revoir certains de ces projets.

Dans chacune de ces démarches, nous sommes guidés par l’idée de renforcer notre système de santé, afin de protéger toujours mieux les Français et de répondre aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Car, oui, des difficultés existent et des fragilités redoutables persistent. Le contexte macroéconomique sera marqué cette année encore par la pression inflationniste et par une dégradation des comptes de la sécurité sociale, notamment ceux de la branche maladie, même si nous sommes passés à un déficit de 9 milliards d’euros en 2023, contre 22 milliards d’euros l’année précédente.

Cette inflation touche notamment les établissements de santé. Plusieurs d’entre vous m’ont fait part de leurs inquiétudes concernant les hôpitaux de leur département, et toutes les fédérations hospitalières ont eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet.

Comme je l’ai déjà indiqué, je puis vous assurer que le Gouvernement est particulièrement attentif à la situation de ces établissements et qu’il ne les laissera pas dans l’impasse, y compris d’ici à la fin de l’année.

Je m’en suis ouvert très directement auprès de la totalité des fédérations d’établissements de santé, qui tirent la sonnette d’alarme. Grâce à un travail conjoint, le Gouvernement et ces fédérations ont établi une estimation commune des coûts et des effets de l’inflation.

Je le répète, le déficit de la branche maladie s’élève donc cette année à environ 9 milliards d’euros. Bien qu’il soit en baisse par rapport au déficit constaté en 2022, il reste très important, notamment du fait du fort dynamisme des dépenses de santé, en particulier en ville, qui rend urgente la recherche de soutenabilité.

Telle est la condition incontournable de la pérennité de notre modèle social et de son ambition, fondée sur un modèle assurantiel et, partant, sur la solidarité.

Pour répondre à cette double exigence d’ambition et de soutenabilité, le Gouvernement vous propose en premier lieu dans ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, de rectifier l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2023, à hauteur de 8 milliards d’euros. Cette rectification permet principalement d’intégrer les revalorisations salariales et la dynamique des soins de ville.

Je connais vos préoccupations à ce sujet et je souhaite que nous puissions progressivement refaire de l’Ondam un outil non plus de constatation de la dépense, mais de pilotage. Il nous revient en effet d’améliorer la conduite, le suivi et la maîtrise de la dépense.

Le Gouvernement présente en second lieu un Ondam pour 2024 en hausse de 3, 2 % hors dépenses liées à la crise sanitaire, ce qui, contrairement à ce que j’entends parfois, est bien supérieur à l’inflation prévisionnelle. Les moyens hors covid progresseront donc de 8 milliards d’euros en 2024, un montant équivalant, rappelons-le, à celui du budget du ministère de la justice il y a deux ans.

Une telle progression, en contradiction totale avec le reproche, parfois avancé, selon lequel ce serait un Ondam d’austérité, permet en particulier de compléter de près de 1, 5 milliard d’euros les revalorisations engagées par le Ségur de la santé, afin de mieux reconnaître et de mieux rémunérer de manière pérenne l’engagement des professionnels des établissements sanitaires et médico-sociaux – Aurore Bergé y reviendra –, qui travaillent la nuit, le week-end et les jours fériés.

Le Gouvernement continue ainsi d’investir avec ambition dans l’avenir du système de santé et dans les ressources humaines.

Cette augmentation des moyens doit toutefois être gagée en partie par de nouvelles mesures de maîtrise de la tendance de progression de la dépense publique. L’objectif est de l’ordre de 3, 5 milliards d’euros de maîtrise sur le tendanciel de dépenses. J’estime en effet que le terme d’efficience ne doit pas être tabou.

La ligne de crête, ténue, n’est pas facile à tenir. C’est dire combien est fausse l’idée, exprimée par certains, selon laquelle ce gouvernement laisserait filer les dépenses sans se fixer d’objectif de maîtrise de la dépense publique.

Nous atteindrons cet objectif ambitieux tout d’abord par des efforts de modération des volumes et des baisses des prix des produits de santé, qui permettront de freiner la hausse de ce poste de dépense.

Le Gouvernement présentera notamment un amendement visant à encourager la substitution par les pharmaciens de médicaments biologiques par leurs biosimilaires. De manière générale, je ne doute pas que le débat parlementaire permettra d’enrichir ce texte.

Nous atteindrons cet objectif de maîtrise de la dépense ensuite par les efforts d’efficience et de pertinence qui sont prévus dans ce texte et qui seront au cœur de la négociation conventionnelle – la lettre de cadrage que j’ai adressée au directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) le mentionnait très explicitement.

Nous l’atteindrons, enfin, grâce à des efforts de responsabilisation des assurés, notamment par des mesures de régulation des arrêts de travail et une plus forte association des mutuelles, notamment pour les soins dentaires.

La question des franchises et de la participation forfaitaire a déjà été évoquée à l’Assemblée nationale. Nous poursuivrons, ensemble, cette réflexion au Sénat.

Le texte comporte enfin des mesures relatives à la lutte contre la fraude, un enjeu de soutenabilité autant que de justice sociale et un point d’attention prioritaire pour le Sénat – M. Jean-Marie Vanlerenberghe a eu l’occasion de le rappeler avec force lors des travaux de la commission, et Thomas Cazenave y reviendra dans un instant.

Je tiens à souligner que, dans toutes ces démarches, une attention particulière a été portée aux plus fragiles, qui ne doivent pas être pénalisés. C’est notamment pour cela que, en matière d’arrêt de travail, le Gouvernement vous présentera un amendement tendant à apporter des garanties supplémentaires pour les patients atteints d’une affection de longue durée (ALD).

Je veux être très clair : par « responsabilisation », il ne s’agit pas de pointer la responsabilité de tel ou tel, des patients, des médecins ou des entreprises, mais de rappeler que la soutenabilité globale de ce patrimoine inouï qu’est notre système de protection sociale appartient à tous.

Ces efforts ne doivent pas nous empêcher de continuer à faire avancer notre système de santé vers une modernisation indispensable, notamment vers davantage de prévention et un accès facilité aux soins. Sans vouloir être exhaustif dans le cadre de ce propos liminaire, permettez-moi de revenir rapidement sur certains éléments.

Le premier est la modernisation du fonctionnement de notre système de santé, pour améliorer l’accès aux soins et répondre au mieux aux besoins de santé de nos concitoyens.

Moderniser notre système de santé implique tout d’abord de faire évoluer le financement des établissements de santé, pierre angulaire de notre organisation.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale traduit l’ambition fixée par le Président de la République de mettre fin au caractère central de la tarification à l’activité. La réforme proposée mettra ainsi en place une rémunération partiellement structurée selon des objectifs de santé publique négociés à l’échelle des territoires, ce qui permettra de rétribuer de manière effective les missions réalisées par chacun.

Organisée en trois compartiments, la nouvelle tarification se déploiera entre 2024 et 2026, en articulation avec les nouveaux protocoles pluriannuels de financement des établissements de santé auxquels le Gouvernement travaillera avec les acteurs dans le courant de l’année 2024.

J’entends parfois dire que cette évolution n’est pas assez substantielle, mais ceux qui, sans doute nombreux, ont été parmi vous présidents de conseils d’administration ou de conseils de surveillance d’établissement savent ce que représente quelque évolution de la tarification que ce soit.

Moderniser notre système de santé, c’est aussi s’appuyer sur les expérimentations et les initiatives locales. Le texte prévoit ainsi de généraliser certaines expérimentations en créant un forfait qui permettra de financer solidairement des équipes de soins sans être tenu à la rémunération à l’activité.

Ces mesures sont autant d’outils que nous mettons entre les mains des acteurs de santé, qui pourront s’en saisir pour appuyer les solutions les mieux adaptées aux réalités locales.

Je sais combien vous êtes investis, mesdames, messieurs les sénateurs, pour faire vivre ces collectifs dans chacun de vos territoires, y compris et surtout là où la tension en matière de démographie médicale est la plus forte. Je salue à ce titre l’engagement de Mme la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, au sein de la commission des affaires sociales, mais aussi dans son territoire, en Mayenne.

Je ne le dirai jamais assez, il faut continuer de faire confiance aux acteurs de terrain et leur donner tous les moyens pour libérer les énergies. C’est à nous, la puissance publique, de nous adapter à la situation, sans forcer les différents acteurs à entrer dans des cases préétablies.

Mes déplacements m’offrent souvent l’occasion de constater combien la réalité est contrastée. Je repense régulièrement à une visite que j’ai effectuée très peu de temps après ma prise de fonction à Lannoy, en Dordogne. Avec la sénatrice Marie-Claude Varaillas, qui m’accompagnait, j’ai pu mesurer combien la compétence conjuguée des différents professionnels de santé pouvait être une très puissante réponse à une situation difficile.

Dans la continuité des travaux menés au Parlement ces dernières années, nous avançons par exemple sur l’extension des compétences des pharmaciens en matière de prescription d’antibiotiques, sur les parcours de prise en charge de la dépression post-partum, ou encore sur l’élargissement à la médecine scolaire des possibilités d’adressage vers le dispositif « Mon soutien psy ».

Le second pilier de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est l’accélération du virage de la prévention, de manière que le tournant pris soit irréversible.

Je le dis souvent, la prévention n’est pas un supplément d’âme. Ce n’est pas ce que l’on fera quand on aura réglé tous les autres problèmes. J’envisage au contraire la rupture, dans les pratiques comme dans les mentalités, avec un système historiquement tourné vers le « tout curatif » comme une transformation absolument essentielle.

J’en suis convaincu, sans une politique de prévention suffisamment exhaustive et développée, aucun pays, quelle que soit la qualité de son système de soins, ne peut durablement faire face aux défis sanitaires et sociaux que sont notamment le vieillissement démographique et le poids croissant des maladies chroniques.

Telle sera notre grande ambition pour les prochaines années. Si celle-ci prend déjà corps grâce aux opérations de dépistage et de santé publique en cours, elle devra s’incarner plus largement dans toutes nos politiques publiques, comme l’ont du reste souligné plusieurs travaux et rapports de votre commission des affaires sociales ces dernières années.

J’estime que le travail d’élaboration du PLFSS pour 2025 devra commencer très rapidement, y compris avec les deux assemblées. On ne peut pas se contenter de lancer une salve de concertations à quelques semaines du PLFSS. Je pense en particulier à plusieurs sujets qui me tiennent à cœur et pour lesquels j’estime que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout dans le présent PLFSS, comme la santé des femmes ou la prise en compte des spécificités de l’outre-mer.

La campagne de vaccination contre les infections liées au papillomavirus est un bon exemple. Nous avons lancé une dynamique inédite, mais l’Assemblée nationale nous a légitimement invités à élargir aux établissements accueillant des enfants en situation de handicap, ce que nous ferons.

Nous devrons également étudier, après l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS), les modalités d’instauration d’un dépistage précoce systématique des situations de handicap pouvant être induites par la contraction du cytomégalovirus pendant le premier trimestre de la grossesse.

Le texte comporte enfin plusieurs dispositions importantes relatives à l’accès aux médicaments, un sujet auquel je sais le Sénat très attentif et qui, alors que nous entrons dans la période hivernale, constitue un sujet de préoccupation pour nos concitoyens.

En effet, loin de se limiter à des enjeux techniques, la politique du médicament fait partie de ces politiques publiques qui ont une traduction concrète et presque quotidienne dans la vie des Français. La régulation et le financement des produits de santé sont également au croisement des enjeux majeurs d’attractivité, d’innovation et de souveraineté.

C’est pour cela qu’une partie significative de ce projet de loi est consacrée à ces questions, à commencer par la réforme du mode de calcul de la clause de sauvegarde. Celle-ci a de plus été réduite pour 2023 et 2024, afin de donner plus de visibilité aux secteurs en contrepartie d’engagements visant réciproquement à donner plus de visibilité à la puissance publique.

La question de la lutte contre les pénuries fait également l’objet de travaux approfondis.

Ces dernières années, de nombreux acteurs se sont penchés sur cette question, notamment le Sénat, dont je salue très sincèrement le rapport de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments. Les travaux menés par Sonia de La Provôté et Laurence Cohen, avec lesquelles j’ai échangé, m’ont notamment été très précieux dans le cadre de la réunion que j’ai tenue vendredi dernier avec tous les professionnels du secteur.

Le Gouvernement est mobilisé au quotidien pour assurer le suivi des stocks des médicaments les plus cruciaux.

Comme je l’indiquais, j’ai d’ailleurs fait le point avec les professionnels vendredi dernier. Une charte de bonne pratique sera établie sous dix jours, afin de remédier, non plus à une pénurie, comme celle à laquelle nous avons dû fait face l’an dernier, mais à la totale dérégulation entre les différents acteurs industriels – grossistes, répartiteurs et pharmaciens – que nous connaissons actuellement. Les patients et assurés sociaux ne peuvent pas être la variable d’ajustement entre les différents acteurs du secteur du médicament.

Cette charte sera d’ailleurs coordonnée, à ma demande, sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de la présidente de l’ordre national des pharmaciens, qui a accepté cette mission.

Par ailleurs, pour faire face aux difficultés d’approvisionnement plus structurelles, je présenterai prochainement avec Roland Lescure, ministre chargé de l’industrie, une feuille de route actualisée de lutte contre les pénuries de médicaments.

Sans attendre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale complète nos outils de gestion des tensions, notamment par la limitation des prescriptions par téléconsultation lors des situations les plus tendues, ou encore par la dispensation à l’unité, au sujet de laquelle je sais que des questions se posent, mais dont je suis convaincu qu’elle est une partie de la réponse aux difficultés observées.

Les débats nous permettront d’approfondir ce point et de revenir, au-delà de la gestion des situations de tension, sur les dispositions que nous prévoyons pour améliorer structurellement l’accès aux médicaments et aux actes de diagnostic innovants, un sujet qui, je le sais, est cher à nombre d’entre vous, notamment à M. le sénateur Alain Milon.

Le PLFSS instaure par exemple une procédure d’inscription directe des actes de diagnostic innovants, afin de faciliter l’accès au marché et d’en réduire les délais.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous efforçons de répondre par ce texte à des besoins urgents grâce à des mesures d’application directe, tout en préparant et en consolidant l’avenir du système de santé.

Le cadrage général du PLFSS répond à la double exigence d’ambition et de soutenabilité qui doit irriguer l’ensemble de l’action publique. Je crois profondément qu’il constituera un socle solide sur lequel nous pourrons continuer de construire avec réalisme et détermination.

Nous n’allons bien évidemment pas tout régler avec ce texte, et ce n’est en aucun cas ce que je prétends faire.

Les sujets sont vastes et les enjeux immenses : il nous faut par exemple intensifier le combat contre le cancer, continuer de soutenir et de faire prospérer la recherche française, lutter contre la financiarisation du système de santé ou encore renforcer notre politique en matière de santé mentale ou de santé des femmes. Nous y reviendrons, j’en suis sûr, au cours des débats.

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