Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 6 novembre 2023 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion générale

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières décennies, notre hémicycle a plutôt eu l’habitude légitime de se plaindre du millefeuille administratif, face à la prolifération des strates d’administrations locales. Le menu de cette semaine ne s’en éloigne finalement pas tellement, puisque nous allons nous pencher sur un autre millefeuille – mais celui-ci change de saveur : il est législatif !

Depuis le début des années 1980, le Parlement a déjà voté près de trente lois sur l’immigration, soit environ une tous les dix-sept mois.

Ces chiffres à l’esprit, on s’interroge forcément sur la nécessité d’un nouveau texte, alors même que nous n’avons pas encore tiré tous les enseignements de la loi Collomb, qui nourrissait pourtant des ambitions assez similaires à celle du projet que nous examinons. Il est vrai que le monde change et qu’il faut s’adapter, mais inspirons-nous des leçons des expériences précédentes.

Toutefois, en découvrant le texte dans sa version initiale, nous avons d’abord été plutôt surpris. Il comprenait des mesures auxquelles nous étions favorables, et celles qui nous contrariaient le plus restaient malgré tout tempérées.

Parmi les mesures positives, il y avait évidemment les articles 3 et 4. Nous sommes absolument favorables à l’idée de sortir les travailleurs immigrés d’une situation de précarité difficile, marquée par des emplois instables, une faible rémunération et l’absence de tout dispositif de protection sociale. Il n’y a pas de doute que l’intégration par le travail soit efficace et valorisante. Au sein de cet hémicycle, qui n’a pas reçu dans son département l’appel d’un chef d’entreprise devant se séparer de son employé pour non-régularisation de sa situation ?

Parmi les mesures qui nous paraissaient négatives, je pense à la réforme du contentieux des étrangers. Certes, nos administrations et nos juridictions font face à de réelles difficultés, liées à l’engorgement et à la complexité juridique. Pour autant, ces difficultés juridiques et le manque de moyens humains ne sauraient être compensés par le renoncement à nos principes fondamentaux, notamment la collégialité des juridictions et la publicité des débats.

Il s’agit là de principes que nous défendons systématiquement, à chaque réforme du contentieux ou des institutions.

Il aurait peut-être été plus judicieux de réformer le fond du droit, en le simplifiant et en le clarifiant : les résultats d’une telle démarche sur la célérité et l’efficacité de la justice seraient sans doute plus probants. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles et des amendements.

Toujours est-il que, dans sa première mouture, le texte aurait pu convenir à notre groupe, sous réserve de quelques aménagements, mais sans modification en profondeur.

Puis est venu l’examen du texte par notre commission des lois – là, ce projet de loi sur l’immigration a pris une tournure radicale, parfois même brutale.

Je m’attarderai seulement sur quelques exemples, car nous aurons le temps de détailler nos positions durant cette semaine d’examen.

D’abord, l’article 1er I, qui prévoit de substituer à l’aide médicale de l’État une aide médicale d’urgence, est symptomatique d’un état d’esprit – celui-là même qui a donné au projet de loi une tournure éloignant tout espoir de consensus.

En effet, cet article ajouté par notre commission est révélateur d’un parti pris sur l’immigration, car rien ne le justifie, ni dans les faits ni d’un point de vue économique ou sanitaire.

D’abord, certains décrivent ce dispositif comme générateur d’un appel d’air. Or, d’une part, toutes les personnes éligibles à l’AME n’en bénéficient pas réellement, et cela, même lorsqu’elles déclarent souffrir de maladies nécessitant des soins ; d’autre part, moins de 10 % des étrangers en situation irrégulière invoquent la santé comme motif de venue en France. J’ai du mal à y voir un usage abusif.

D’un point de vue économique et sanitaire, ensuite, nous sortons d’une pandémie qui a rappelé les impératifs les plus fondamentaux en matière de santé publique : que se passera-t-il lorsque, dans notre pays, nous ne soignerons plus une partie de la population pour défaut de titre de séjour ? Quelle sera la réaction des médecins ? Nous le savons tous très bien : cette suppression idéologique pourrait avoir de graves conséquences pour le système de santé français et constitue un non-sens économique. En effet, les pathologies hospitalières prises en charge tardivement sont particulièrement coûteuses.

Parmi les autres dispositifs préoccupants et ajoutés par le Sénat, les articles 2 bis et 2 ter marquent un recul très net du droit du sol, exigeant des mineurs une manifestation de volonté – et, pour le dire simplement, un casier judiciaire vierge – pour acquérir la nationalité française. Alors que notre assemblée s’attache le plus souvent à défendre les droits des enfants et de la jeunesse, j’ai du mal à comprendre que ce sujet soit encore débattu.

S’agissant de la manifestation de volonté, je veux bien y voir un intérêt symbolique, mais, en pratique, ce ne sera qu’une démarche administrative de plus sans efficacité concrète.

Ensuite, concernant l’exclusion du bénéfice de l’acquisition de la nationalité par droit du sol des mineurs condamnés à une peine de six mois d’emprisonnement, ces jeunes n’auraient donc plus le droit à l’erreur, alors même que notre Parlement peine, par exemple, à adopter une mesure de cette nature pour les élus.

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