Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat consacré à la gendarmerie, je souhaite évoquer l’épineuse question de la liberté d’expression des chercheurs gendarmes.
Cette question a pris un relief particulier ces dernières semaines, puisqu’un militaire de carrière, que je ne nomme pas mais dont tout le monde ici a entendu parler, par ailleurs chercheur reconnu pour la qualité de ses travaux universitaires, a fait l’objet d’une mesure grave de radiation des cadres, en raison de propos qu’il a tenus dans les médias, notamment dans la presse écrite.
Je ne m’attarderai pas sur cette affaire, qui est en cours d’instruction devant le Conseil d’État, mais elle me donne l’occasion de soulever un point délicat de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, qui pose justement les fondements et les limites de la liberté d’expression des militaires chercheurs, question ô combien passionnante.
Cette loi pose un principe simple : « Les opinions et croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec les réserves exigées par l’état militaire. »
Par ailleurs, cette loi précise qu’un militaire chercheur est soumis aux règles pénales relatives à la violation du secret de la défense nationale et du secret professionnel.
Elle affirme, enfin, l’obligation de discrétion des militaires pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
On le voit bien, cette loi est d’inspiration libérale : elle a été présentée comme apportant de nouveaux droits aux militaires, notamment une liberté d’expression accrue. En effet, et c’est une nouveauté de cette loi, les militaires peuvent désormais librement s’exprimer, sans autorisation préalable, pour évoquer, dans le cadre de conférences, exposés ou articles de presse, des sujets politiques ou des questions internationales militaires non couverts par le secret.
On comprend donc que le statut de chercheur n’est pas incompatible avec celui de militaire sur le terrain de la liberté d’expression. En conséquence, le statut de militaire ne constitue pas en soi une entrave à la liberté d’expression des militaires dès lors que le secret défense ou des informations confidentielles ne sont pas en jeu.
Ma question est simple : un militaire chercheur, sous réserve bien évidemment de respecter le secret défense, peut-il critiquer, en sa qualité de chercheur, l’institution à laquelle il appartient ?
La Cour européenne des droits de l’homme a récemment apporté un commencement de réponse à cette question. Aux termes de l’arrêt rendu, la liberté universitaire d’un chercheur comprend notamment la liberté d’exprimer son avis au sujet de l’institution au sein de laquelle il travaille, de diffuser des connaissances et de répandre la vérité sans restriction.
Le statut militaire n’est donc pas un obstacle à la liberté d’expression du militaire chercheur. Cette liberté d’expression doit même être sauvegardée, car elle est saine et peut permettre à l’institution de s’interroger sur son mode de fonctionnement et, ainsi, d’évoluer.
Il s’agit non pas de laisser un militaire jeter l’opprobre sur l’institution à laquelle il appartient, mais de lui permettre d’assumer un statut hybride, celui de militaire chercheur, en lui laissant une marge de manœuvre nécessairement plus large que celle qui est accordée à un militaire n’ayant aucune activité universitaire.
J’ajoute que, lorsque les propos d’un militaire sont issus de recherches scientifiques, ils doivent être libres. Dans une démocratie, la recherche ne peut être la cause de sanctions du seul fait qu’elle a été réalisée par un militaire et qu’elle exprime une « prétendue » désapprobation de la politique conduite par le Gouvernement.
Cinq années après l’entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2005, il est nécessaire de clarifier le statut de gendarme chercheur afin de répondre aux exigences inhérentes à ces deux fonctions.
Il convient aujourd’hui de trouver un nouvel équilibre entre, d’une part, la liberté d’expression et de recherche du militaire, d’autre part, la protection du secret défense. Cet équilibre est subtil, je le reconnais et nous en convenons tous. Cependant, nous sommes prêts à réfléchir ensemble aux moyens d’assurer aux militaires chercheurs un cadre clair et transparent qui leur permettra de connaître à l’avance les limites de leur liberté d’expression.