Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de nos débats sur le projet de loi de transposition de l’ANI relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, nous nous sommes réjouis de constater que les partenaires sociaux avaient renoué avec leur rôle premier, celui de la négociation. Grâce à cet accord, ils ont acté un certain nombre d’avancées au profit des salariés pour favoriser le partage de la valeur dans l’entreprise.
Nous avions également exprimé nos réserves sur ce texte, rappelant qu’il témoigne d’un paritarisme qui s’exerce de manière de plus en plus contrainte dans notre pays. Ces réserves n’ont pas disparu. Elles sont liées aux conséquences de l’encadrement du dialogue social sur la rétribution du travail et sur les protections sociales qui l’accompagnent.
Si les partenaires sociaux parviennent par esprit de responsabilité à s’accorder autant que possible sur les sujets soumis à leur délibération, l’encadrement de leurs négociations a un effet dommageable sur les conclusions communes auxquelles ils aboutissent.
Les discussions dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 l’ont encore démontré, mardi dernier. En effet, lors de certains échanges, nous nous sommes opposés à un ministre dans le déni. Ce dernier a refusé de reconnaître l’intention du Gouvernement d’ouvrir la possibilité d’une ponction des réserves de l’Agirc-Arrco sans solliciter l’avis de cette structure.
À l’Assemblée nationale, ce choix avait suscité un tollé, forçant l’exécutif à reculer. Pour se justifier, outre la bonne santé de l’Agirc-Arrco, le Gouvernement avait invoqué la signature de l’accord national interprofessionnel par les partenaires sociaux en octobre 2023. Celui-ci prévoyait en effet la revalorisation des pensions de 4, 9 % au 1er novembre pour les 13 millions de pensionnés du régime et actait la fin du malus temporaire mis en place par l’Agirc-Arrco pour consolider ses réserves.
Et c’est ainsi que l’exécutif pensait pouvoir inscrire dans la loi la possibilité de récupérer, sans concertation, dans les poches des salariés du privé, l’argent destiné à servir sa politique en matière de retraites.
Le protocole d’accord définissant les conditions d’indemnisation des chômeurs à compter du 1er janvier 2024, établi le 10 novembre dernier par les partenaires sociaux, nous a également confortés dans notre inquiétude quant au sort réservé au paritarisme par l’exécutif.
Si, là aussi, nous nous réjouissons que le dialogue social fonctionne, nous n’oublions pas qu’une fois encore le Gouvernement a étroitement encadré les débats dans le document envoyé aux syndicats et au patronat, au début du mois d’août dernier.
Dans les négociations ainsi ouvertes, il n’était pas question de revenir sur les réformes imposées en 2019 et 2023 par le Gouvernement sur l’assurance chômage. Pour mémoire, ces réformes ont conduit au durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et d’indemnisation des chômeurs.
Le projet d’accord annoncé vendredi dernier n’a d’ailleurs pas reçu l’aval de la CGT ni de la CFE-CGC, pour des raisons certes différentes.
Enfin, nous n’oublions pas que le Gouvernement a refusé d’accéder à la demande formulée depuis des mois par les syndicats de tenir une négociation sur les salaires.
La préférence de l’exécutif pour un certain type de partage de la valeur prive l’Unédic des rentrées financières nécessaires à la garantie des droits sociaux des travailleurs en matière d’assurance chômage.
J’observe d’ailleurs que cette structure, créée par les partenaires sociaux pour gérer le régime d’assurance chômage, est particulièrement maltraitée en ce moment. Les coups de boutoir portés par l’exécutif contre l’Unédic sont même signalés dans le projet d’accord définissant les conditions d’indemnisation des chômeurs à compter du 1er janvier 2024, que j’ai déjà mentionné.
En effet, les partenaires sociaux s’y inquiètent de la volonté du Gouvernement de prélever 2 milliards d’euros dès 2023 sur les excédents de l’Unédic, puis 2, 5 milliards d’euros de nouveau en 2024, à travers le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances dont le Parlement débat en ce moment.
Ces fonds seraient destinés à financer les mesures d’accompagnement et de formation des chômeurs, ce qui pose une double difficulté, liée d’une part à une question de principe, d’autre part au souci pratique de se conformer à l’objectif de désendettement de l’Unédic.
Le réflexe qui consiste à assécher les réserves constituées par les travailleurs, en passant par-dessus la tête des partenaires sociaux, est une constante de la politique du Gouvernement. Cela dit beaucoup de cet exécutif et de la place qu’il donne à la valeur travail. Je le redirai jusqu’à ce que nous soyons entendus : cette valeur se jauge au niveau de la rémunération que l’on attribue au travail et aux protections sociales que celui-ci garantit.
Alors que nous subissons une hausse du taux de pauvreté en France, qui a progressé selon l’Insee pour s’établir en 2021 à 14, 5 % de la population, nous aurions aimé que le Gouvernement écoute vraiment les partenaires sociaux et les laisse s’entendre sur la question des salaires.
Le groupe SER s’abstiendra sur ce texte.