Intervention de Aurélien Rousseau

Réunion du 16 novembre 2023 à 10h30
Financement de la sécurité sociale pour 2024 — Avant l'article 27

Aurélien Rousseau, ministre :

En tout cas, ce n'est pas le sujet.

Ensuite, je précise pour lever toute ambiguïté que la dépense supplémentaire serait en moyenne de 17 euros sur l'année.

De plus, je ne vous autorise pas à laisser entendre que je n'aurais aucune idée de ce que représentent ces 17 euros pour nos concitoyens, et je le dis clairement. Vous avez parfaitement le droit d'être en désaccord politique avec moi sans que cela laisse cours à de tels sous-entendus. J'ai l'expérience de la vie, tout comme vous, et je sais ce que représente une dépense de 17 euros.

En outre, je ne peux pas accepter l'argument qui consiste à dire que cette mesure serait présentée de manière détournée et à laisser entendre que vous auriez débusqué quelque chose de mystérieux.

Il se trouve que j'ai été le premier à parler de la hausse des franchises, le 22 juillet dernier, alors que j'étais ministre depuis deux jours. Pourquoi l'ai-je fait ? Parce que la mesure figurait dans les tablettes de la direction de la sécurité sociale au moment où l'on préparait le budget. J'ai donc dit que le doublement des franchises faisait partie des options possibles et que je me battrais, si la mesure devait être retenue, pour que l'on ne touche pas au plafond.

Il semble qu'il y ait parmi vous des apprentis détectives qui auraient découvert un projet secret du Gouvernement... En réalité, c'est moi, en tant que ministre de la santé, qui ai installé ce sujet dans le paysage.

Par ailleurs, pour reprendre ce que vous avez évoqué, madame la sénatrice Poncet Monge, la question est double. Il y a d'abord celle des recettes, qui ne fait aucun doute, ensuite celle qui consiste à savoir si la mesure peut produire un effet, dans un sens ou dans un autre, sur le comportement de nos concitoyens en matière de consommation de médicaments, le terme n'ayant rien de péjoratif.

Je réponds très simplement que ce sera le cas, selon moi, et que l'effet s'exercera sur la plupart de nos concitoyens. Il ne s'agit pas de m'en réjouir ou de m'en attrister. Il est toujours compliqué d'expliquer pourquoi l'on choisit tel ou tel moment pour revoir les franchises, notamment à ceux qui ont une mutuelle. D'ailleurs, le recouvrement des franchises est un sujet en soi.

Nos concitoyens doivent-ils changer de comportement par rapport aux médicaments ? Il ne fait aucun doute que oui. La consommation de médicaments a progressé de 7, 7 % en volume en 2021. J'ai entendu, précédemment, certaines interventions très émouvantes sur les risques liés à la surconsommation de médicaments, dont l'antibiorésistance.

Donc, oui, je considère que nous devons ouvrir une réflexion sur notre consommation de médicaments, y compris pour des raisons écologiques – il ne s'agit pas là d'un clin d'œil qui serait ridicule.

Celle-ci ne pourra pas être menée de manière isolée : la consommation d'antidépresseurs, par exemple, est révélatrice de l'état de la société et nous ramène au sujet de la santé mentale.

Le parcours pédestre ou automobile d'une personne qui sort de chez le médecin est assez prévisible. Généralement, elle se rendra directement à la pharmacie après la consultation, où elle achètera ses médicaments qui seront remboursés en moyenne à 82 % par l'assurance maladie obligatoire et à 14 % par les complémentaires, puis elle rentrera chez elle. C'est du moins ce que je fais : j'habite dans le XIXe arrondissement de Paris et je ne repasse pas par chez moi avant d'aller à la pharmacie. Ainsi, quand j'arrive chez moi, j'ai le Pivalone dont j'ai besoin pour soigner mes enfants.

L'enjeu pourrait donc se résumer à cette question, que j'assume de formuler ainsi : est-ce que l'éventuel doublement des franchises médicales est un élément de modification des comportements en matière de consommation ou d'accès aux médicaments ? La réponse peut aller dans les deux sens. Certains considéreront que les franchises restent en grande partie invisibles de sorte que leur doublement ne changerait rien ; d'autres verront dans cette mesure un moyen de signaler que le médicament n'est pas un bien de consommation comme les autres. La question reste ouverte.

Pour en revenir au sujet de l'honnêteté, je veux bien accepter qu'il s'agisse de celle du Gouvernement. Je le dis d'autant plus tranquillement que vous l'avez laissé entendre dans votre propos, madame la sénatrice Brulin.

Si cette mesure n'est vécue que comme une manœuvre pour faire les fonds de poche déjà pas très remplis des Français et qu'elle ne change rien aux comportements en matière de consommation des médicaments, nous aurons en effet tout raté. Si l'on ne voit dans cette mesure que le fait qu'elle pèse sur le pouvoir d'achat, nous aurons également tout raté.

En effet, le doublement des franchises ne peut avoir de sens que si l'on réalise, parallèlement, un travail extrêmement poussé sur la pertinence de la délivrance des médicaments et de la prescription des actes. Or ces sujets constituent précisément l'axe majeur de la mission que j'ai confiée à l'assurance maladie dans la négociation avec les médecins.

Oui, je pense que la consommation de médicaments est un enjeu majeur dans ce pays et qu'il n'est pas soutenable – au moins au sens économique du terme – qu'elle augmente de 7 % par an. Il faut donc réduire cette dépense.

Nous pouvons le faire dans le cadre des négociations avec les industriels et nous pourrons avoir un débat sur l'intensité de la charge qu'il convient de faire peser sur eux, car ils sont nombreux à fournir de l'emploi dans notre pays.

Toutefois, quand je parle de responsabilisation, je ne veux pas dire culpabilisation du patient qui doit prendre des médicaments prescrits par son médecin.

Il n'empêche que ce pays figure parmi les plus gros consommateurs de médicaments : nous étions ainsi le quatrième consommateur d'antibiotiques en Europe et nous remontons dans le classement.

Je redis donc que la situation est préoccupante. Pour traiter le sujet, il faudra prendre en compte non seulement les patients, mais aussi les médecins, sans doute les pharmaciens, ainsi que les visiteurs médicaux – on ne les appelle plus ainsi –, dont nous avons déjà parlé. Le sujet est global.

Je considère, à titre personnel, que dans la situation où nous sommes – nous l'avons déjà évoquée – nous devons faire des efforts pour renforcer notre hôpital public et pour développer l'attractivité des professions de santé.

Si donc j'étais seul à décider, j'assumerais de porter cette mesure devant les Français, car elle permettrait de dégager 800 millions d'euros que nous pourrions utiliser pour revaloriser la rémunération des soignants. N'y voyez pas de démagogie : ce montant équivaut au coût que représente l'augmentation de 25 % dont doivent bénéficier les soignants pour leur travail de nuit. Je le dis tel que je le pense.

La différence entre le PLFSS et le projet de loi de finances (PLF), c'est que les 800 millions d'euros de recettes potentielles ne serviront pas à financer une part d'un sous-marin nucléaire, mais resteront dans les frontières du champ de la sécurité sociale, de sorte qu'ils bénéficieront à celle-ci.

Enfin, la question est bien, en effet, de savoir si cette mesure sera finalement un point de cristallisation et de colère – j'ose dire le mot, il n'a pas été prononcé, mais cette mesure pourrait provoquer la colère des Français.

Or je préfère – et j'assume cette position – que nous finissions l'examen des textes financiers et que les Français soient éclairés sur les mesures qui affecteront leur pouvoir d'achat, dans un sens ou dans l'autre – elles sont nombreuses dans le PLF à pouvoir avoir un effet aussi bien positif que négatif –, avant de prendre une décision concernant cette mesure sur le doublement des franchises.

Tel est le sens du temps que nous nous donnons avant la décision. Ce temps n'est pas celui de la dissimulation, mais celui de la réflexion et de l'analyse politique, que viennent nourrir aussi – pardon de le rappeler – les réactions qui se manifestent au Parlement ainsi qu'au sein de la population, quant à cette mesure.

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