Ce texte a fait les frais de la guerre fratricide à laquelle le Gouvernement et la majorité sénatoriale se sont livrés.
D’un côté, certains dans cet hémicycle ont choisi ce sujet pour se démarquer de la majorité présidentielle : ils se sont donc déplacés sur leur droite, sans complexe.
De l’autre, le Gouvernement, ne voulant pas paraître moins-disant sur la « fermeté » affichée, a émis de nombreux avis favorables, par exemple sur le rétablissement du délit de séjour irrégulier ou sur les restrictions au regroupement familial, y compris pour les conjoints de Français. Il a ainsi accepté maintes aggravations, alors que le texte initial était déjà exagérément sécuritaire.
Les deux camps revendiquent aujourd’hui une victoire politique sur le dos non seulement des migrants, mais aussi des valeurs rassembleuses de notre démocratie. Même les centristes du Sénat revendiquent une victoire sur l’article 3, renommé article 4 bis et vidé de toute sa substance.
L’instauration d’un droit à la régularisation de certains travailleurs sans-papiers n’aura pas lieu si le texte qui nous est présenté aujourd’hui est voté.
Oubliée, aussi, la possibilité de travail immédiat pour les demandeurs d’asile avec le rejet de l’article 4 ; pourtant, quel que soit le devenir ou la vocation à rester sur notre territoire, l’accès au travail, c’est le début de l’autonomisation et de l’intégration.
Mes chers collègues, vous ne pouvez pas accepter ces abandons cyniques.
Ce texte, initialement très déséquilibré, est devenu un infâme repoussoir. Dans toute la gestion de ce projet de loi, actuelle et future, la cohérence d’une vision réfléchie et constructive de l’intégration et de l’arrivée des étrangers en France a été sacrifiée à des jeux de rapports de force politique. La politisation outrancière de la question migratoire est un piège qui ne profite à personne, sauf à une certaine frange de notre spectre politique. Les quelques amendements identiques de la droite et de l’extrême droite votés ici nous le démontrent.
La société ne sort pas indemne d’une libération de la parole qui fait apparaître l’étranger comme un danger. La xénophobie est une haine de l’autre. Contre tous les racismes, toutes les discriminations, notre lutte doit être sans connivence, sans calculs, sans arrière-pensées. Tel ne fut pas le cas pendant nos travaux.
Peut-être un futur référendum présidentiel ménagera-t-il, comme la majorité de cet hémicycle l’a fait, les pauvres propriétaires anglais, désormais exemptés de visa, car il est difficile de solliciter un permis de séjour ou un visa, une procédure longue et complexifiée par de nombreux aléas techniques. Mais pourquoi eux seulement ? Il est insupportable de ne pas individualiser les parcours d’immigration et de faire des catégories de bons étrangers et de bons travailleurs !
Nous avons vu s’accumuler nombre de dispositions – enfin, plutôt des marqueurs électoralistes, revendiqués comme tels - basées sur l’idée que l’étranger était un danger ou une charge, dont il faudrait se protéger en évitant tout appel d’air. Pourtant, cela n’a jamais été observé, jamais corroboré ou jamais démontré par quelque étude chiffrée que ce soit.
Vous avez préféré le récit inlassable, la légende et la croyance, plutôt que l’analyse réaliste, les chiffres, l’humanité, la vie des gens.