Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, après une année 2023 marquée par un excédent record de 1, 9 milliard d’euros, la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) connaîtra de nouveau une situation excédentaire en 2024.
Malgré la baisse des taux de cotisation pour la branche, actée lors de la réforme des retraites afin de garantir la neutralité financière pour les employeurs d’une hausse symétrique des taux pour la branche vieillesse, les 17, 1 milliards d’euros de recettes prévisionnelles pour 2024 seront suffisants pour couvrir l’objectif de dépenses de la branche, fixé à 16 milliards d’euros, que je vous inviterai à adopter.
L’excédent structurel de la branche AT-MP peut paraître confortable, voire enviable, au regard de la situation financière d’autres branches.
Je l’entends, mais ce serait méconnaître un principe essentiel : une branche n’a pas davantage vocation à être excédentaire qu’à être déficitaire. Cet excédent structurel est en fait le signe d’une déconnexion à long terme entre les besoins de financement de la branche et ses recettes, illustrée par l’excédent cumulé toujours croissant de la branche, qui atteindra – rendez-vous compte ! – 12, 5 milliards d’euros à l’horizon 2027. Ce sont là autant de contributions réclamées à l’employeur qui ne servent pas leur destination originelle : lutter contre les risques professionnels et indemniser les victimes.
Et pourtant, malgré cette situation structurellement excédentaire, force est de constater que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est, une fois de plus, indigent pour ce qui concerne la branche AT-MP.
Alors que le renforcement de la prévention est au cœur de toutes les revendications, tant chez les organisations patronales que syndicales, le Gouvernement n’a pas jugé bon d’inclure la moindre mesure en la matière dans le texte initial.
Nous attendions – et nous continuerons malheureusement d’attendre… – un changement de paradigme sur la manière dont la prévention est envisagée par la branche.
Croyez-vous, monsieur le ministre, que les spots télévisuels déployés depuis un mois soient suffisants, alors que près d’un million de sinistres restent à déplorer chaque année et que les dépenses de prévention dépassent péniblement 2 % des dépenses de la branche ?
Que faut-il attendre pour que soit mis en œuvre un véritable accompagnement des entreprises en matière de prévention ?
Le succès indéniable des programmes s’inscrivant dans une démarche d’« aller vers », comme TMS-Pros, devrait pourtant conduire à encourager, étendre et développer de telles initiatives.
Pas de prévention donc, mais, à la place, des prélèvements pesant toujours plus sur la branche AT-MP. Il semblerait qu’il soit normal que la branche, parce qu’elle est excédentaire, voie ses ressources siphonnées. Naturellement, la commission s’y oppose et elle propose de revoir à la baisse le transfert de crédits à la branche maladie au titre de la sous-déclaration.
Elle a également déploré le fait que, bien que l’État soit responsable du scandale de l’amiante, le Gouvernement laisse la branche AT-MP augmenter de 50 % en 2024 sa dotation au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) sans avancer lui-même un centime de plus.
Dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, c’est toutefois une autre mesure qui a concentré tous les débats, mais aussi, et surtout, toutes les critiques. Le Gouvernement était très attendu sur l’article 39, qui devait engager une réforme ambitieuse de la rente AT-MP et transposer un accord national interprofessionnel (ANI) signé à l’unanimité des partenaires sociaux.
Le résultat est décevant, puisque les partenaires sociaux ne se reconnaissent pas dans les modalités de transcription retenues. En court-circuitant le dialogue social, en réclamant un chèque en blanc au Parlement sur une réforme dont tout rester à déterminer, en ignorant les associations, le résultat est là : un article qui, en définitive, ne satisfait quasiment personne et est mal compris et inapplicable en l’état.
L’article 39 a exacerbé les tensions entre partenaires sociaux. En l’absence de consensus, il a été supprimé du texte qui nous a été transmis – et je vous inviterai naturellement à vous prononcer pour la confirmation de cette suppression.
L’ANI doit maintenant faire l’objet, si un consensus venait à être trouvé, d’une transcription intégrale dans un projet de loi ad hoc. Il est possible de retravailler le texte et d’adopter une réforme plus équilibrée sans retarder excessivement le calendrier de mise en œuvre initialement prévu pour l’article 39, fixé à fin 2024, ce qui permettra de répondre ainsi aux inquiétudes des organisations patronales auditionnées. Cette réforme devra convenir à toutes les parties, y compris aux associations de défense des victimes.
Les trois autres articles comportent des mesures utiles, à n’en pas douter, mais dont les répercussions financières sur l’équilibre de la branche AT-MP devraient être modestes : je vous invite à adopter ces mesures, mais à les améliorer en votant les amendements de la commission.
L’article 26 prévoit que les médecins du travail puissent déléguer à des infirmiers qualifiés en santé au travail, dans la limite de leurs compétences et dans un cadre sécurisé par la commission, certains actes du renouvellement périodique de l’examen médical d’aptitude des salariés agricoles bénéficiaires du suivi individuel renforcé. En ce sens, il accroîtra l’accessibilité aux médecins du travail et renforcera l’attractivité des services de santé et de sécurité au travail des caisses de la Mutualité sociale agricole.
L’article 39 bis sécurisera, pour le passé et pour l’avenir, le versement de deux prestations relevant du régime des marins, tandis que l’article 39 ter offrira de nouveaux outils au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante pour lutter contre un non-recours alarmant, qui avoisinerait les 50 % pour les victimes de mésothéliome.