Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, soit un budget de 640 milliards d’euros, nous avons une pensée pour nos collègues députés qui n’ont pas pu en débattre. Une fois de plus, vous avez préféré un passage en force.
En ayant recours à votre sacro-saint article 49, alinéa 3, de la Constitution pour l’adoption des parties recettes et dépenses, seuls neuf articles sur les cinquante que compte le texte ont finalement été discutés par les députés.
L’absence de majorité parlementaire favorable au Gouvernement ne doit pas masquer la gravité de la situation de la sécurité sociale, victime de vingt ans de privations, d’étatisation, de désinvestissement et de réduction d’effectifs.
Le débat que nous entamons sur le budget de la sécurité sociale pour 2024 sera l’occasion de confronter nos visions de notre modèle social.
Lors de la réunion de la commission des affaires sociales, l’ensemble des groupes politiques, dans leur diversité, ont indiqué qu’il était impossible de continuer ainsi, sans réforme structurelle de la sécurité sociale.
L’hôpital public va mal, la médecine de ville est en crise, les difficultés d’accès aux soins progressent. Pourtant, les dépenses augmentent, se sont étonnés naïvement certains de nos collègues – nous pensons néanmoins qu’ils voteront le PLFSS…
Les gouvernements successifs, qui ont tenté de compresser les dépenses pour satisfaire aux exigences de Bruxelles, ont sous-estimé les conséquences de l’austérité sur notre protection sociale.
Les personnels du secteur sanitaire, médico-social et social, qui acceptaient, depuis des années, des conditions de travail dégradées et des rémunérations insuffisantes, ont craqué. Or, lorsque les personnels n’en peuvent plus, c’est tout un système qui s’effondre.
Ils ont craqué, car leur attachement au service public et le sens de l’intérêt général, qui les faisaient se lever chaque matin, ne suffisaient plus face à la mise en danger des patients.
La violence institutionnelle qui s’exerce sur les personnels qui refusent de continuer de subir une telle surcharge et de telles conditions de travail entraîne des démissions massives. On parle de 15 000 postes vacants chez les praticiens hospitaliers et d’autant pour les infirmières.
Selon la Fédération hospitalière de France, pour améliorer le recrutement, les capacités de formation devraient être augmentées de 20 %, s’agissant des médecins, et de 25 %, pour les personnels paramédicaux.
Quand prendrez-vous de véritables mesures pour pallier ces manques ?
Nous le savons : il faut, entre autres, améliorer les rémunérations, la qualité de vie et les conditions de travail – sans cela, c’est peine perdue ! Ce sont les seules véritables conditions qui permettront de retenir celles et ceux qui exercent aujourd’hui.
Je pense par exemple à Marie-Pierre, 27 ans, infirmière qui a quitté les urgences pédiatriques de l’hôpital Necker, car elle était arrivée à saturation et ne supportait plus la manière dont les patients étaient traités.
Ce témoignage sur le travail à l’hôpital, je l’ai également entendu dans les services médico-sociaux, dans les Ehpad et dans l’ensemble des services sociaux.
Toutefois, comment faire pour améliorer les conditions de travail sans moyens supplémentaires ? Est-ce alors sérieux de laisser miroiter que cela ira mieux demain ?
Les personnels n’en peuvent plus et le Gouvernement, d’un côté, agite le Ségur de l’investissement et, de l’autre, réduit de 500 millions d’euros les dépenses des hôpitaux.
En ajoutant à tout cela le coût de l’énergie et l’inflation, les hôpitaux sont au bord de l’implosion.
Le « en même temps » n’est pas une manière de gouverner, l’entre-deux en matière de santé n’est plus possible : l’austérité ou l’investissement, il faut choisir !
Le Président de la République, qui s’est déclaré favorable à l’organisation de référendums dans notre pays, devrait poser la question directement à nos concitoyennes et à nos concitoyens.
Devons-nous poursuivre les politiques d’austérité et de compression des dépenses de santé, en acceptant de patienter des jours, parfois des semaines, avant d’obtenir un rendez-vous chez un médecin, en acceptant des fermetures de services d’urgence les week-ends, en acceptant d’y attendre des heures entières sur des brancards ?
Ou devons-nous financer les dépenses de santé à la hauteur des besoins, en revalorisant l’Ondam de 10 milliards d’euros net, déduction faite de l’inflation ?
Cette politique n’est pas utopiste ; c’est un choix de société qui repose sur des choix de solidarité et de financement.
Pour financer notre système de sécurité sociale à la hauteur des besoins, nous proposons de revenir sur les exonérations de cotisations.
En 2024, le Gouvernement prévoit d’exonérer les entreprises de 87, 9 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’il y a dix ans ; 87, 9 milliards d’euros, c’est autant d’argent public perdu pour les recettes de l’État ; 87, 9 milliards d’euros, c’est autant d’argent supplémentaire pour les patrons et les actionnaires qui n’est consacré ni à des recrutements supplémentaires ni à l’augmentation des salaires.
Le directeur de recherche du CNRS, Bruno Palier, a des mots particulièrement durs sur les politiques d’exonération de cotisations sociales et d’aides aux entreprises. Selon lui, les politiques de baisse du coût du travail se sont révélées inefficaces en matière d’emploi et délétères pour le travail et, depuis 1993, les plans généraux de baisse des cotisations sociales, les allégements Fillon, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi de François Hollande ont eu pour effets de dévaloriser, d’intensifier et d’abîmer le travail en France.
Il faut ajouter à cela un transfert de financement : des cotisations patronales sont remplacées par des compensations partielles de la part de l’État via des fractions de recettes de TVA.
Ainsi, les entreprises ne participent plus au financement de la sécurité sociale en dessous de 3, 5 Smic, tandis que nos concitoyennes et nos concitoyens qui achètent leur baguette de pain financent leur retraite et leur hôpital.
Cette incongruité pourrait nous amener à sourire si, en creux, elle ne remettait pas en cause le pacte social de la nation. Les besoins augmentent et les dépenses continueront inexorablement à progresser avec le vieillissement de la société.
Pour réussir à financer notre système de sécurité sociale, il faut mettre à contribution les revenus financiers des entreprises et moduler leurs cotisations selon les politiques sociales et environnementales qu’elles mettent ou non en place.
Plutôt que de chercher de nouvelles recettes, le Gouvernement réduit les dépenses, en faisant les poches des malades au travers de son projet de doublement des franchises médicales. Selon un sondage Elabe du 2 novembre, 63 % des Français estiment que le doublement de la franchise sur les médicaments n’est pas acceptable et que cela contribuerait à détériorer l’accès à la santé.
Face au risque politique, le Gouvernement recule, mais il ne renonce pas à augmenter le reste à charge des malades par la publication d’un décret dans quelques semaines, ce qui lui évite un débat devant le Parlement…
Cet été, le ministre de l’économie avait dénoncé l’augmentation des dépenses d’indemnités journalières maladie au cours des dernières années. Si la proposition d’augmenter les délais de carence en cas d’arrêt maladie ne figure pas dans le PLFSS 2024, le débat pourrait être rouvert par voie d’amendement, cette année ou l’an prochain.
Ce PLFSS prévoit plusieurs mesures de culpabilisation et de stigmatisation des patients.
Je pense à la limitation à trois jours de la durée des arrêts de travail prescrits lors d’une téléconsultation, alors que six millions de Français n’ont pas de médecin traitant.
Je pense surtout à la suspension du versement des indemnités journalières après un rapport du médecin contrôleur jugeant un arrêt injustifié.
Cette suspension automatique des indemnités journalières versées par la sécurité sociale, à la suite du contrôle mandaté par l’employeur, est scandaleuse. Elle résulte de l’idée selon laquelle la hausse des dépenses d’indemnités journalières serait due à des médecins trop généreux ou à des travailleurs abuseurs.
En réalité, l’augmentation des indemnités journalières s’explique par le vieillissement de la population active. Cette progression perdurera du fait du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
Le contrôle des arrêts maladie indemnisés par l’assurance maladie doit rester l’apanage de cette dernière, avec des garanties de débat et de recours. Le risque de dérive vers une privatisation du contrôle de l’assuré social et l’instrumentalisation par l’employeur de cette procédure à l’égard de salariés en position de fragilité est intolérable.
Pour financer la réforme qui crée France Travail, le Gouvernement prévoit d’effectuer une ponction de 2, 7 milliards d’euros sur les excédents de l’Unédic.