Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est à la fois très technique, mais aussi éminemment politique.
Le sujet est complexe parce que l'épargne salariale met en jeu des questions aussi diverses que la motivation des salariés, leur droit de participer aux bénéfices ou à l'enrichissement patrimonial des entreprises, les formes nouvelles de management, l'organisation du pouvoir dans l'entreprise, le droit de chacun d'utiliser cette épargne de manière variée, ou encore le financement des entreprises.
Le sujet est politique parce l'on peut concevoir l'épargne salariale d'au moins deux façons différentes.
Soit on peut y voir une méthode pour faire mieux fonctionner les mécanismes de marché en introduisant des formes nouvelles de flexibilité des rémunérations et d'incitation à la performance. Le but poursuivi relève alors essentiellement de l'optimisation économique.
Soit on peut s'attacher à construire une conception régulationniste et négociée de l'épargne salariale, conçue comme un élément important d'un nouveau contrat social axé sur la recherche d'une performance globale, à la fois économique et sociale.
Enfin et surtout, dans le contexte actuel, le sujet est d'importance car il s'agit de faire face à un triple défi : celui du pouvoir d'achat des ménages, des relations du travail et de la mutation du capitalisme. Sur ces trois sujets, les réponses qu'apporte ce projet de loi me semblent contestables. C'est ce que je m'emploierai à vous démontrer.
Le Gouvernement et la majorité, se référant à l'héritage gaulliste, nous parlent d'un projet de société. C'en est un, certainement. Mais pour ce projet de société, vous avez choisi une conception étroite de l'épargne salariale, celle qui, au nom de la performance économique, s'appuie sur la précarisation du salariat. Depuis 2002, vous avez beaucoup fait en la matière, qu'il s'agisse de l'organisation du travail ou du contrat de travail. Aujourd'hui, vous vous attaquez à une nouvelle cible : le salaire.
Depuis une vingtaine d'années, le salariat connaît une désarticulation et une fragmentation progressive : sa valorisation économique décline, son unité sociale est de plus en plus problématique et ses capacités d'action sont affaiblies. Dans le contexte actuel de croissance modérée, il subit de plein fouet la fragilité de l'emploi, la stagnation des salaires et l'érosion du pouvoir d'achat.
Dans ce contexte, la diffusion de l'épargne et de l'actionnariat salarié n'est pas, contrairement à ce que vous prétendez, la panacée sociale. Aujourd'hui, les dispositifs d'épargne salariale font partie intégrante des politiques salariales dans un contexte de décentralisation des négociations salariales à l'oeuvre depuis les années quatre-vingt. La participation financière est ainsi devenue l'un des vecteurs d'individualisation et de diversification croissante des formes de rémunération.
Il ne s'agit bien évidemment pas de rejeter en bloc le principe de la participation et de l'intéressement. L'idée originelle, qui était d'encourager une certaine synergie entre capital et travail, est toujours d'actualité.
Néanmoins, la logique actuelle, également à l'oeuvre dans ce texte, consiste plus à flexibiliser les salaires qu'à améliorer le pouvoir d'achat des salariés et à promouvoir de nouvelles relations au sein de l'entreprise.
En effet, les dispositifs d'épargne et d'actionnariat salarié favorisent le rapprochement des logiques et des stratégies entre marché financier, entreprises et salariés. La tendance actuelle, qui consiste à accentuer la part du profit dans les rémunérations, a pour conséquence de rendre les politiques salariales dépendantes de la Bourse et de la finance.
Ainsi, le principe du partage des risques devient une composante essentielle de l'emploi et du salaire. C'est ce qu'illustre parfaitement l'introduction dans ce texte de la notion de dividende du travail, qui n'a d'autre objet que de créer une part de salaire complémentaire aléatoire, laquelle se substitue à une véritable hausse du salaire et donc du pouvoir d'achat.
Sans compter que le développement de l'actionnariat salarié, par le biais des actions gratuites ou des stock-options, autres dispositions de ce texte, a tendance à peser fortement sur les choix stratégiques des dirigeants d'entreprises qui font de la rentabilité financière leur objectif unique, bien souvent au détriment de la croissance et de l'emploi dans les investissements.
En fait, les dispositifs qui concourent à faire dépendre la rémunération du travail des résultats de l'entreprise, dans le contexte actuel de maximation de la valeur pour les actionnaires, ont pour résultat, non un partage a posteriori des richesses, mais une rupture avec la garantie statutaire constitutive du salariat, en faisant porter l'ajustement sur les revenus salariaux.
Pour nous, socialistes, la rémunération du travail passe avant tout par le salaire, et non par l'allocation de dividendes. Le risque financier ne peut pas reposer sur les épaules des salariés ;...