D'autant plus que le pouvoir d'achat que ce texte prétend leur donner est différé et hypothétique.
Du fait même qu'ils sont employés par une entreprise, le sort des salariés est déjà étroitement lié à celui de leur société, que ce soit en matière de rémunération, de carrière ou de pérennité de l'emploi.
Obliger un salarié à détenir en plus une part significative de son épargne personnelle sous la forme d'actions de cette même entreprise relève d'une grande imprudence. La diversification des placements est normalement un principe de base des investisseurs économiques.
L'épargne et l'actionnariat salarié, ce n'est pas non plus la panacée en matière de patriotisme économique. Le capital des grandes entreprises françaises est très dispersé et plus dépendant d'investisseurs étrangers que celui des firmes équivalentes dans la plupart des autres pays industrialisés.
Cela pose effectivement un problème. La proximité géographique et culturelle entre investisseurs et entreprises facilite incontestablement la stabilité du capital et le déploiement de stratégies industrielles plus ambitieuses et de long terme, car elle rend plus aisé l'établissement de relations dans la durée et permet une compréhension plus fine des objectifs poursuivis.
Pour autant, la solution à ce problème ne peut pas être recherchée seulement du côté de l'actionnariat des salariés eux-mêmes. Elle ne peut venir que d'une mobilisation accrue de l'épargne des autres habitants de notre pays, aujourd'hui prioritairement tournée vers des investissements « sans risque ».
Quant au pouvoir des salariés dans les entreprises, il s'agit, en réalité, d'un faux-semblant : quelles que soient les règles qui encadrent la gestion de l'actionnariat salarié, en pratique, ce sont toujours les directions qui gardent le contrôle.
D'ailleurs, les représentants du patronat que nous avons auditionnés ont d'ores et déjà annoncé qu'ils limiteraient l'actionnariat salarié à 2, 99 % pour éviter la présence des représentants des salariés actionnaires dans leur conseil d'administration. On ne peut pas mieux dire !
Si on veut réellement, comme c'est effectivement indispensable, accroître le pouvoir des salariés eux-mêmes, notamment en cas d'OPA, il faut accroître les pouvoirs des instances de représentation du personnel et leur donner, comme en Allemagne, un pouvoir de « codétermination » sur un certain nombre de questions, par exemple, et non plus seulement un rôle subalterne d'information et de consultation, comme c'est le cas aujourd'hui.
Il faut également prévoir la représentation des salariés dans les conseils d'administration - représentation des salariés en tant que tels, et non seulement en tant qu'actionnaires salariés. C'est ce qui est déjà prévu dans la moitié des pays européens.
D'ailleurs, je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi il est possible de nommer dans ces conseils d'administration et autres conseils de surveillance des personnalités extérieures, selon l'expression des personnalités dites « qualifiées », et pas les salariés tout aussi « qualifiés » de cette entreprise ! Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire que ces personnalités extérieures soient vraiment neutres puisque, de fait, elles sont cooptées par les administrateurs en place.
Un autre danger de l'épargne salariale est de « patrimonialiser » le salariat, c'est-à-dire de confier une partie des fonctions de l'État-providence, notamment les retraites et les cotisations vieillesse, à des instances d'accumulation d'épargne où, par définition, les plus modestes pourront consacrer proportionnellement moins.
C'est exactement ce que fait ce texte : plusieurs dispositions, notamment les articles 11 et 12, organisent le détournement de l'épargne salariale vers l'épargne retraite et, pourquoi pas, demain, vers l'épargne santé, voire l'épargne dépendance !