Ainsi, si 40 % des demandeurs d’asile enregistrés à l’Ofpra ont déposé leur demande d’asile dans un autre pays que leur pays d’arrivée, c’est bien le signe que quelque chose ne va pas. Soit les demandeurs d’asile multiplient les demandes partout en Europe, et vous savez que ce n’est pas possible eu égard à leurs conditions de vie, soit ils trouvent en France un intérêt linguistique – ils rejoignent une communauté qu’ils connaissent, par exemple –, ce qui est possible, soit ils rejoignent leur famille – ce qui explique qu’une partie d’entre eux vont en Grande-Bretagne, où se trouvent plus d’un million d’irréguliers, pour retrouver leur père, leur mère, leur fiancé ou leurs enfants –, soit ils trouvent en France des moyens de travailler non officiellement – le texte vise justement à lutter contre cet écosystème irrégulier –, soit, enfin, ils y voient une attractivité sociale. Et cela n’est pas péjoratif dans ma bouche, je ferais exactement la même chose à leur place. Simplement, nous devons avoir à cet égard la même position que l’ensemble des pays européens. De fait, le jour où nous aurons une politique sociale analogue, il n’y aura plus de comparaison possible entre pays.
Ainsi, si ce que vous dites est juste dans certains cas, permettez-moi de dire également qu’il y a quand même une partie de ces personnes qui viennent en France pour y trouver des avantages que l’on ne trouve pas dans d’autres pays. Encore une fois, ce n’est nullement un jugement moral, c’est un constat ; ensuite, qu’on l’assume ou non, cela relève de la décision politique.
En revanche – il faut le dire clairement, tâchons d’être honnêtes –, si je ne suis pas tout à fait certain que les gens viennent en France pour notre modèle social, je suis au contraire à peu près sûr que c’est pour celui-ci qu’ils y restent, ce qui est assez différent. Je ne suis pas sûr que l’on vise spécifiquement la France après un voyage long et difficile, même si – je n’en disconviens pas et il faut en effet y remédier – il peut exister des filières de passeurs qui promeuvent le modèle français, mais il est certain – c’est en tout cas ce que je constate depuis que j’ai pris mes fonctions comme ministre de l’intérieur il y a trois ans et demi – que les gens restent parce que notre système n’incite pas suffisamment les personnes à repartir.
Une personne faisant l’objet d’une OQTF confirmée par la justice, qui a donc passé un certain temps sur le territoire national, peut toujours travailler, peut créer sa boîte d’autoentrepreneur sans qu’on lui demande ses papiers d’identité pour livrer des repas ou conduire des personnes dans des voitures. En effet, en l’état du droit, on peut créer son autoentreprise sans avoir à fournir ses papiers d’identité. Une vraie machine à créer de l’irrégularité ! C’est pourtant conforme à la loi française ; d’où la nécessité de ce projet de loi.
Bref, on peut venir irrégulièrement sur le territoire national et, même quand ses demandes de titre de séjour et d’asile ont été refusées, on peut tout de même créer son entreprise – on paie d’ailleurs des impôts et des charges sociales, sans bénéficier de la protection sociale –, on peut accéder à un logement, notamment à un logement social, et on peut accéder à la santé, notamment dans le cadre de l’AME. On bénéficie même, via ce dispositif, d’une couverture à 100 % au bout de neuf mois, pour des raisons que nous pourrons d’ailleurs évoquer lors du débat.
L’AME n’est pas totémique pour moi, ni dans le sens de son maintien ni dans celui de sa suppression, il faut simplement étudier les choses calmement, sereinement, et en discuter.
Il faut évidemment soigner toutes les personnes qui se présentent devant le système français, mais c’est un fait que l’on est plus couvert après neuf mois d’irrégularité qu’avant. Enfin, on peut tout à fait vivre, on l’a évoqué, en ne partageant en aucune manière les valeurs de la République et sans même parler français.
Tout cela n’incite pas les gens à quitter notre pays. En effet, les OQTF reposent pour l’essentiel sur des départs volontaires : je remets un arrêté de reconduite à la frontière à quelqu’un, qui doit l’exécuter lui-même. Le nombre d’OQTF avec départ forcé, prévoyant un accompagnement policier à l’aéroport, est très faible. Il faut que nous tirions les conclusions du fait d’avoir dit non, définitivement, à quelqu’un.