Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 8 novembre 2006 à 15h00
Participation et actionnariat salarié — Article 1er A

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

L'article 1er A, introduit par l'Assemblée nationale, instaure le « dividende du travail ».

Or ces deux mots sont pour nous parfaitement antinomiques. Le nouveau dispositif vise délibérément à créer une confusion entre deux sources de revenus différentes, pour ne pas dire contradictoires. Il y a en effet trop souvent conflit d'intérêts entre l'actionnaire, qui voit son revenu augmenter, et le salarié, qui voit le sien stagner, voire diminuer en valeur absolue, ce qui permet de majorer encore plus les profits.

Le dividende est attaché au titre boursier. Le travail procure une rémunération, qui change d'ailleurs de dénomination selon les cas tant le vocabulaire est vaste dans ce domaine : pour les fonctionnaires, le traitement ; pour les militaires, la solde ; pour les professions libérales, les honoraires ; et, pour quelques millions de salariés, le salaire, tout simplement !

Pourquoi, alors, instaurer une telle confusion sémantique ? Est-ce à dire que l'actionnariat salarié est appelé à prendre tellement d'importance qu'il devrait progressivement devenir une part importante de la rémunération du salarié ? D'ores et déjà, le rapport entre les sommes consacrées à l'intéressement et à l'épargne salariale, d'une part, et la masse salariale, d'autre part, est de un à quatre ; et il est en augmentation constante.

Bien entendu, chacun connaît les nombreux avantages fiscaux et les diverses exonérations de cotisations sociales qui sont attachés au dispositif de l'épargne salariale. Toutefois, je tiens à le rappeler, ce sont surtout les employeurs qui en profitent !

Mieux vaut donc, diront certains, être rémunérés en épargne salariale plutôt qu'en salaire. Qu'on en juge : le salarié qui obtient une augmentation de salaire verra son gain amputé de 22 % par les cotisations sociales, mais seulement de 8 % s'il bénéficie d'un abondement. L'augmentation de salaire entre dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, mais pas l'abondement, à condition qu'il reste immobilisé durant cinq ans sur un plan d'épargne d'entreprise.

Ce qui n'est pas dit, c'est que les sommes épargnées et abondées sont mises entre les mains de fonds de gestion et placées en bourse, ce qui implique un risque important. Ce qui n'est pas dit non plus, c'est que cet argent est littéralement « mis sous tutelle ». Le salarié n'en dispose pas à sa guise : il voit ce supplément de rémunération géré par d'autres et ne peut le mobiliser, s'il en a besoin, qu'en un nombre de circonstances limitativement énumérées. Toute une partie de sa rémunération est ainsi bloquée : c'est ce qui s'appelle un complément de rémunération différé, sachant que ce complément est variable et aléatoire.

Vous en conviendrez, mes chers collègues, il y a donc plusieurs différences fondamentales entre le dividende et le salaire.

Par ailleurs, le dividende, au sens habituel de celui qui est attribué à l'actionnaire, est perçu immédiatement et son usage est libre. L'actionnaire est considéré comme responsable et capable de décider à sa guise de la manière dont il utilisera son argent. Même dans le cadre d'un PEA, l'actionnaire se voit crédité de dividendes qu'il peut ensuite réinvestir ou garder en numéraire sur son compte ; et c'est lui seul qui décide ou non d'alimenter son compte-titres.

En est-il de même pour le « dividende du travail » ? Une lecture attentive non seulement de cet article, mais aussi de l'ensemble du texte, nous montre qu'il n'en est rien. En réalité, le dividende du travail repose sur l'utilisation de plusieurs instruments financiers : le supplément d'intéressement ou de participation ; les transferts des droits inscrits sur un compte épargne-temps, autrement dit du temps de repos « financiarisé » ; l'attribution de dividendes d'actions, voire d'actions gratuites, les sommes ainsi récupérées étant placées sous la forme d'épargne pour la retraite.

En définitive, derrière cette déclaration de principe, derrière les exonérations fiscales et sociales annoncées, se cachent le changement de structure du financement de la protection sociale et la destruction organisée de notre solidarité nationale au profit d'une illusoire protection individuelle.

Ce n'est pas l'intéressement ou la participation qui est ici en cause, mais ce qui en est fait. Les salariés entendent souvent aujourd'hui qu'il leur faut travailler plus pour gagner plus. Certes, mais pour gagner quoi et comment ?

Pour l'immense majorité des salariés, le fait que, dans la rémunération, la part variable, ou plutôt aléatoire, ne soit pas, par définition, un élément stable du revenu pose problème. Si l'on y ajoute le fait que cette part variable peut être composée de sommes non perçues - par exemple, des heures supplémentaires non majorées placées sur un compte épargne-temps lui-même financiarisé et placé en épargne salariale -, on se trouve devant une véritable « tuyauterie » permettant aux gestionnaires de fonds de pension de récupérer, pour le compte de leurs actionnaires, une partie de la rémunération des salariés et de l'utiliser dans le grand jeu spéculatif qui s'opère à l'échelle de la planète tout entière.

Or tout cela se fait au nom de la préparation de la retraite, mais de manière individuelle, bien entendu, sauf en ce qui concerne les risques, qui, eux, demeurent bien collectifs pour les salariés dépourvus de contrôle sur le devenir de leur rémunération virtuelle !

L'expression « dividende du travail » a une charge symbolique forte et démontre clairement le mécanisme d'altération de la relation salariale et de dévoiement de la participation qui est à l'oeuvre.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de cet article.

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