Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 20 novembre 2023 à 16h00
Loi de finances de fin de gestion pour 2023 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous inaugurons aujourd’hui le premier projet de loi de finances de fin de gestion, tel qu’il résulte de la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021.

Ce texte consacre en droit la pratique des dernières années, mais ne comporte aucune disposition d’ordre fiscal, ce dont je me félicite, parce que cela clarifie nettement le débat parlementaire, alors que nous commencerons à discuter au Sénat, cette semaine même, du projet de loi de finances pour 2024 qui comporte, pour sa part, cent cinquante articles de première partie…

Ainsi, l’objectif de ce PLF de fin de gestion pour 2023 consiste essentiellement à procéder à des ajustements, ouvertures et annulations de crédits, sur le budget de l’État.

Je souhaite tout d’abord dire quelques mots du scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement. Monsieur le ministre, je le qualifie de crédible : vous le voyez, je ne suis pas partisan de la critique systématique du Gouvernement. Si votre hypothèse de 1 % de croissance pour 2023 est crédible, c’est parce qu’elle est conforme aux dernières données de l’Insee sur la croissance des premier et deuxième trimestres et en ligne avec les principales prévisions institutionnelles aussi bien qu’avec le consensus des économistes.

Toutefois, ne nous y trompons pas : ce n’est pas parce que votre prévision pour 2023 se réalise que celle qui porte sur 2024 – beaucoup plus optimiste ! – se réalisera.

Surtout, ce qui m’inquiète, monsieur le ministre, c’est que, malgré la réalisation de vos prévisions de croissance pour 2023, la situation générale des finances publiques est encore extrêmement grave. Le déficit attendu s’élève à 4, 9 % du PIB. Il serait donc plus élevé en 2023 qu’en 2022, alors même que nous sommes censés être en sortie de crise ! Quand les autres pays européens redressent leurs finances publiques, la France laisse dériver ses dépenses, ses déficits et sa dette. Nous sommes à contretemps ; le « en même temps » est manifestement dépassé…

La preuve : le déficit budgétaire revient en 2023 aux niveaux extrêmes atteints en 2020 et 2021 pendant la crise sanitaire. Il est supérieur à 170 milliards d’euros ; c’est presque deux fois plus que la moyenne des déficits d’avant la crise – environ 90 milliards d’euros par an –, que l’on jugeait déjà excessifs… Ce déficit budgétaire a en outre dérivé : il s’établira à près de 7 milliards d’euros de plus que les prévisions de la loi de finances initiale.

Votre principal problème, monsieur le ministre, c’est l’incapacité du Gouvernement à maîtriser les dépenses. Les ouvertures de crédits, dans ce projet de loi, sont très importantes, puisqu’elles sont de 9 milliards d’euros hors remboursements et dégrèvements. Si ces ouvertures massives pouvaient se comprendre en 2020 en raison de la crise sanitaire, on peut s’interroger sur la pertinence de leur persistance en cette fin d’année 2023.

En parallèle, vous n’annulez que 5, 2 milliards d’euros de crédits sur le budget général, soit des ouvertures nettes de 3, 8 milliards d’euros. N’y avait-il pas déjà suffisamment de milliards dans la loi de finances initiale, avec un déficit prévu de 165 milliards d’euros ?

En outre, monsieur le ministre, les moindres dépenses que vous proposez correspondent en réalité largement à des sous-consommations naturelles d’enveloppes de crise qui n’ont pas été dépensées. Il n’y a ici, encore une fois, aucune économie budgétaire. On constate plutôt la pratique, devenue habituelle, d’ouvrir des réserves de financement pour des montants astronomiques – plusieurs milliards d’euros ! – qui ne sont ensuite pas consommées, quitte à annuler ou à reporter les crédits au détriment de la transparence et de l’information du Parlement. J’attends, monsieur le ministre, que vous me prouviez le contraire !

Le Gouvernement ne cesse de communiquer sur un budget construit et exécuté « à l’euro près », mais c’est tout l’inverse qui se passe : les gestionnaires publics sont déresponsabilisés par l’ouverture systématique d’enveloppes de crédits importantes, qui sont parfois consommées, mais qui, si elles ne le sont pas, font croire que l’argent coule à flots. C’est une espèce de puits sans fond !

En plus du niveau historique de déficit, je tiens à signaler, monsieur le ministre, qu’il reste, à un peu plus d’un mois de la fin de gestion, des facteurs très importants d’incertitudes : si le versement européen de 10, 9 milliards d’euros attendu au titre du plan de relance n’arrivait pas avant la fin de l’année, ce sont autant de recettes qui manqueraient sur cet exercice et un déficit qui serait aggravé d’autant. Peut-être pourrez-vous nous rassurer sur ce point ?

De manière générale, la commission des finances a relevé la détérioration de la qualité des prévisions budgétaires du Gouvernement.

Avant le covid-19, l’écart entre le déficit budgétaire prévu par la loi de finances rectificative de fin d’année et celui qui était réellement exécuté était d’environ 3 milliards d’euros. L’année du covid-19, en 2020, il a été de 45 milliards d’euros – cela pouvait se comprendre –, mais l’année dernière, il était de près de 20 milliards d’euros. Qu’en sera-t-il cette année ?

Notre commission a déjà souligné la difficulté grandissante à prévoir le niveau des recettes.

L’État a abandonné plus de la moitié du produit de la TVA, une ressource pourtant importante et stable. Il est aujourd’hui tributaire des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) qui sont extrêmement volatiles en fonction de la conjoncture et des pratiques de report des entreprises. En 2023, on compte 6 milliards d’euros de recettes d’IS de plus que prévu. Mais le retournement de la conjoncture économique aura sur ces recettes un impact probablement difficile à absorber pour le budget de l’État.

L’autre principale augmentation de recettes est celle du produit prévisionnel de TVA, qui résulte pour l’essentiel de votre décision, prise cet été, de ponctionner 2 milliards d’euros sur les ressources de l’Unédic. Acculés que nous sommes, en fin de gestion, à devoir limiter la dégradation du déficit budgétaire, nous n’avons pas souhaité y revenir, mais est-ce de bonne pratique, monsieur le ministre ?

Cette volatilité des recettes face à des dépenses qui ne cessent de progresser n’augure rien de bon pour les budgets à venir. Là encore, nous sommes à contretemps !

Quelques mots sur les ajustements de crédits.

Votre texte, monsieur le ministre est riche, voire opulent : cent trois programmes du budget général, soit les deux tiers d’entre eux, font l’objet d’ouvertures ou d’annulations de crédits.

La commission des finances ne peut que prendre acte des principales ouvertures que vous proposez : la charge de la dette, qui est réévaluée de 3, 8 milliards d’euros, et la mission « Défense », à hauteur de 2, 1 milliards d’euros ; la loi de programmation militaire 2024-2030 n’a pas encore commencé à être exécutée, mais on peut comprendre les effets qu’ont la guerre en Ukraine ou l’inflation. Je pourrais noter de nombreuses autres ouvertures de crédits, en particulier sur le budget de l’agriculture, secteur dans lequel les crises exceptionnelles se succèdent, ou sur celui de l’hébergement d’urgence, pour lequel le Gouvernement semble toujours courir après l’urgence…

En ce qui concerne les annulations de crédits, elles portent, je l’ai déjà dit, sur des sous-consommations de crédits d’urgence, comme les 400 millions d’euros annulés sur les guichets d’aides aux entreprises, qui s’ajoutent aux 4 milliards d’euros déjà annulés par décret le 18 septembre dernier.

Le dispositif MaPrimeRénov’ fait également l’objet d’une annulation, à hauteur de 800 millions d’euros – excusez du peu ! –, car les résultats ne sont pas au rendez-vous : l’objectif de rénovations dans le parc de logements privés n’est pas atteint.

Enfin, ce texte nous donne raison également au sujet de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles, que le Sénat avait tenté de réduire sur l’initiative de nos rapporteurs spéciaux Albéric de Montgolfier et Claude Nougein : elle n’a pas du tout été consommée et fait l’objet d’une annulation de 100 millions d’euros, après une première annulation de 700 millions d’euros par décret.

Vous l’aurez compris, si la commission des finances est très critique de la trajectoire budgétaire du pays, elle prend acte des dispositions prévues dans le présent projet de loi. Celui-ci consiste en réalité, pour l’essentiel, à ouvrir des crédits nécessaires et à tirer les conséquences de l’exécution budgétaire de l’année.

La commission a toutefois souhaité y ajouter une série d’amendements qui proposent des ouvertures de crédits sur des sujets qui nous semblent importants et urgents : la voirie et les ouvrages d’art des collectivités territoriales ; la réouverture d’une ligne ferroviaire d’équilibre du territoire ; la rénovation de nos réseaux d’eau potable ; le soutien à des populations particulières qui connaissent des situations difficiles, je pense aux réfugiés arméniens ou, plus près de nous, aux plus démunis de nos concitoyens, pour lesquels nous proposons un abondement supplémentaire des crédits de l’aide alimentaire.

Alors, bien sûr, vous me direz que ces amendements coûtent, mais il est bien difficile en fin de gestion de proposer des économies pour financer ces dépenses urgentes. Je vous propose d’ailleurs d’avoir cet échange à partir de jeudi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, au cours duquel vous verrez que ce ne sont pas des millions, mais des milliards d’euros d’économies que la commission des finances vous proposera. Nous serons au rendez-vous de la responsabilité !

Pour conclure, mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce projet de loi de finances de fin de gestion, sous réserve de l’adoption des amendements de la commission, qui ont été approuvés à une très large majorité, voire, pour beaucoup, à l’unanimité.

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