Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 16 novembre 2023 à 10h30
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Vote sur l'ensemble

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon l’Insee, l’inflation s’élevait à 4 % en moyenne sur l’année. Celle-ci résulte, entre autres, de la hausse des prix alimentaires : en mars, cette augmentation a atteint 15, 9 % sur un an ; pis, en septembre, selon le baromètre NielsenIQ, la France figurait parmi les moins bons élèves d’Europe occidentale avec une hausse de 9, 5 % du prix de ses produits de grande consommation – seule la Belgique faisait moins bien.

Cette pression inflationniste frappe de plein fouet les ménages, dont les travailleurs pauvres, et accentue une dégradation bien plus ancienne du partage de la valeur.

De fait, depuis 1990, la part des salaires dans la valeur ajoutée brute des sociétés non financières a reculé de 5 points.

L’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) pointe également une tendance de long terme : jusqu’en 2017, les salaires bruts réels ont accusé une baisse moyenne de 0, 1 % par an. À partir de 2017, toujours selon l’Ires, en six ans à peine donc, on a constaté une rupture et un décrochage brutal des salaires réels bruts, qui accusent une baisse de 7 %.

En 2021, selon l’Insee, 9 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 545 000 de plus qu’en 2017. Travailler ne protège pas de la pauvreté. Ainsi, 25 % des ménages insérés sur le marché du travail sont en situation de pauvreté.

La France se singularise aussi par un taux inégalé de personnes en situation de privation matérielle et sociale : 14 % ! Dans son dernier rapport particulièrement documenté, le Secours catholique a estimé que la pauvreté s’étendait, s’aggravait et se féminisait.

Face à cette paupérisation, aggravée par vos politiques et réformes antisociales, face à la déflation salariale qui règne depuis quarante ans, et alors que la boucle prix-profit dope les taux de marge et les dividendes des grandes multinationales, la priorité était, monsieur le ministre, d’infléchir cette politique sociale et salariale et de prendre des mesures audacieuses.

D’abord, il aurait fallu ouvrir une conférence sociale sur les salaires pour enfin rééquilibrer le partage des richesses, car le réel partage de la valeur, le partage premier de la valeur, celui qui compte in fine, dépend de la part des salaires dans la richesse produite.

En guise de solution, ce texte fait la part belle à un dispositif de primes ponctuelles, potentiellement versées deux fois par an, qui prolonge celui de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), qui se voulait initialement « exceptionnelle », mais dont l’effet substitutif a déjà été évalué à près de 30 % par l’Insee. Il s’agit de fait d’une forme dégradée de dispositif de partage de la valeur, notamment par rapport aux mécanismes de participation.

Le Gouvernement prétend que ce texte est une reprise intégrale de l’ANI. C’est inexact, puisque certaines dispositions ont disparu quand d’autres ont été ajoutées.

Surtout, l’exécutif loue une négociation sociale qu’il a piétinée lors de la contre-réforme des retraites. Il oublie de préciser le cadre contraignant qu’il a lui-même posé et dans lequel ont dû se tenir les discussions entre partenaires sociaux, un cadre contraint, qui a certes été accepté par la suite par les parlementaires, mais que nous critiquions.

Ce cadre a conduit à un projet de loi encourageant les éléments de rémunération désocialisés et défiscalisés, asséchant les ressources de la protection sociale au moment où le Parlement discute d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale en deçà des besoins.

Le texte promeut en outre une prime désocialisée qui, par définition, prive le salarié de la part socialisée du salaire.

Si l’un des articles de l’ANI réaffirme le principe de non-substitution des salaires, le législateur n’en garantit pas l’effectivité – c’est pourtant son rôle –, et ce malgré la demande des organisations syndicales qui défendent une séparation des temps de négociation. L’un de nos amendements tendait à combler ce manque, mais il n’a pas été adopté.

On peut en revanche se réjouir que la commission mixte paritaire ait rétabli l’article, supprimé par le Sénat, prévoyant un bilan de l’action des branches en faveur de la promotion et de l’amélioration de la mixité des emplois.

Il faut aussi saluer le rétablissement de l’article 9 bis, que nous avions souhaité voir maintenu en première lecture, et qui garantit un nouveau calcul du montant de la participation des salariés en cas de rectification de la déclaration des résultats d’un exercice.

Mais force est de constater que ce texte est très loin de répondre aux enjeux, notamment celui d’une plus juste répartition des richesses.

En favorisant l’accès à certains dispositifs de partage de la valeur, on réduira certes – quoique à la marge – la concentration du recours à ces mécanismes par quelques salariés et dans quelques entreprises, mais on n’apportera aucune solution macroéconomique à la problématique du décrochage des salaires dans le partage de la valeur ajoutée.

En conséquence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur ce texte.

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