Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 13 novembre 2023 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2024 — Discussion générale

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je citerai deux chiffres en exergue de mon propos : 509 milliards d’euros et 647 milliards d’euros. Ils correspondent respectivement aux dépenses réalisées en 2019 et à celles qui sont prévues en 2024 pour les régimes obligatoires de sécurité sociale, soit plus de 130 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en cinq ans !

Durant ces années de crise sanitaire, nous avons déployé des moyens inédits pour protéger les Français, qu’il s’agisse de leur pouvoir d’achat ou de leur santé, « quoi qu’il en coûte ». Mais cette politique a bel et bien un coût, que je viens de rappeler brutalement.

Or « notre responsabilité est d’assurer la pérennité de notre modèle social », avez-vous indiqué, monsieur le ministre – vous avez raison. L’examen de ce PLFSS me laisse néanmoins perplexe.

Certes, ce texte traduit un effort d’amélioration des rémunérations des personnels de santé en établissement ou en ville et renforce les effectifs des Ehpad comme de l’aide à domicile. Nous saluons ces avancées, ainsi que votre volonté de mettre fin au tout T2A à l’hôpital et de lutter contre les pénuries de médicaments.

Le texte amorce également un virage encore un peu timide en faveur de la prévention. Ma collègue Jocelyne Guidez commentera plus précisément l’ensemble de ces mesures, qui sont nécessaires, mais qui n’effacent pas nos doutes quant à la soutenabilité à long terme du système.

Je m’attacherai, quant à moi, à vous proposer des solutions à la hauteur des déficits récurrents des branches maladie et vieillesse, plus ambitieuses, donc, que celles qui figurent dans ce projet de loi.

Concernant l’assurance maladie, vous comptez économiser 3, 5 milliards d’euros, notamment sur les médicaments et les produits de santé, les soins dentaires, la biologie et même les indemnités journalières, qui ont beaucoup progressé. Nous y sommes favorables, comme nous soutenons le principe de revenir sur certaines exonérations de cotisation pour les salaires compris entre 2, 5 et 3, 5 Smic.

Pour autant, le pilotage des comptes sociaux ne saurait se limiter à augmenter ou à réduire les dépenses.

Vous faites de la lutte contre la fraude sociale un chantier prioritaire – je m’en réjouis. Nous vous approuvons sur ce point, mais les objectifs que vous fixez me paraissent insuffisants.

Ainsi, pour l’assurance maladie, la fraude se situe entre 5 et 10 milliards d’euros, selon les estimations, d’ailleurs toujours incomplètes, de la Caisse nationale de l’assurance maladie – nous attendons impatiemment leur mise à jour. Avec 500 millions d’euros détectés, nous sommes très loin du compte.

En matière de cotisations et de contributions, la Cour des comptes estime le montant de la fraude entre 6 et 8 milliards d’euros ; votre objectif est d’atteindre 5 milliards d’euros d’ici à 2027.

Quant aux fraudes aux prestations familiales et vieillesse, les clichés ont la vie dure, mais elles sont les mieux connues et les mieux combattues.

Pour autant, la vigilance reste de mise, car les fraudeurs, aux méthodes de plus en plus sophistiquées, profitent souvent de nos outils lacunaires, ainsi que Nathalie Goulet l’a souvent démontré. N’oublions pas que la lutte contre la fraude sociale est un puissant levier de réduction des déficits.

Sur le même thème, il m’est difficile de ne pas évoquer l’indispensable travail à poursuivre sur la pertinence des soins. Il ne s’agit pas de nous lancer dans une chasse aux sorcières, mais l’OCDE évalue à 20 % – soit 50 milliards d’euros ! – le montant des dépenses d’assurance maladie concernant des actes inutiles ou redondants.

Nous bénéficions de ces actes en tant que patients, souvent en radiologie ou en biologie, mais ils n’en constituent pas moins des pratiques abusives et surtout délétères pour les comptes sociaux.

La contrainte et la fermeté ne semblent pas caractériser la démarche de votre gouvernement sur ce point : les guides de bonne pratique ne suffiront pas, sauf à s’appuyer réellement sur le dossier médical partagé (DMP), qu’il faut généraliser sans tarder.

Un mot également sur la trésorerie de l’Acoss – l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, devenue Urssaf Caisse nationale – laquelle, sans transfert vers la Cades de ses déficits cumulés, se trouverait en tension extrême. Or la Cades ne pouvant recevoir que 8, 8 milliards d’euros de dette supplémentaire, il convient de réviser son plafond, ainsi que le calendrier de remboursement.

Abordons la branche vieillesse. Vous avez tenté de récupérer 1 milliard d’euros à l’Agirc-Arrco au titre de la réforme ; à mon sens, votre méthode n’était pas la bonne.

Je vous suggère plutôt de négocier avec les partenaires sociaux un swap, d’un montant à déterminer, entre les cotisations des employeurs à la retraite complémentaire et leurs cotisations à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav).

En outre, pourquoi ne pas confier aux partenaires sociaux, excellents gestionnaires d’une Agirc-Arrco aux 68 milliards d’euros de réserve, la gouvernance et la gestion de la Cnav ? Il s’agirait en quelque sorte d’un retour aux sources.

Avant de conclure, je souhaite vous alerter sur la cinquième branche. La trajectoire financière est bonne : nous sommes à mi-chemin, avec le transfert de 0, 15 point de CSG depuis la Cades, mais la quasi-totalité des Ehpad et tous les services autonomie à domicile (SAD) et Ssiad sont – vous le savez – au bord du gouffre.

À ce titre, le fonds de 100 millions d’euros est insuffisant, il en faut au moins cinq à dix fois plus, et immédiatement, madame la ministre.

Pour conclure, à l’instar du professeur Bizard et de quelques-uns de mes collègues, dont Alain Milon, je vous propose de mettre fin au double étage assurantiel. En passant à un assureur unique par prestation de santé ou pour l’ensemble des prestations, nous basculerions dans un modèle vertueux de maîtrise des dépenses de santé, nous permettant de réinjecter plusieurs milliards d’euros dans les caisses et d’améliorer ainsi la santé des Français. Cela reviendrait, au fond, à assurer la mission essentielle de la sécurité sociale !

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