Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous saurons à la fin de la semaine si l'Union européenne a pu trouver un accord sur les perspectives financières 2007-2013, ce qui revient à dire que nous saurons alors si l'Union a pu se redonner des perspectives tout court. Car, à travers les choix financiers qu'elle décide, c'est bien l'ensemble de ses progrès politiques, de ses orientations et de sa stratégie qui est en cause. Or certaines de ces perspectives semblent bien incertaines.
Ses perspectives institutionnelles, d'abord. La dynamique qui s'était installée ces deux dernières années a été brisée net après les votes français et néerlandais, témoignant de ce que certains peuples, dont le nôtre, semblent ne plus reconnaître leur espérance dans cette Europe qu'ils comprennent mal.
Ses perspectives géographiques, ensuite. Nous voyons bien aujourd'hui que les perspectives de nouveaux élargissements de l'Union, au-delà des pays avec lesquels des négociations sont engagées ou prévisibles, sont désormais confuses.
Après l'obligation historique qui a fondé la vague d'élargissement - qui n'est pas encore achevée - au profit des pays de l'Europe centrale et orientale, après la délicate gestion de la candidature turque, la sagesse recommande sans aucun doute une pause dans les élargissements, mais cette attitude, on le sait, n'est pas partagée par tous nos partenaires.
En ce qui concerne, en particulier, l'Europe balkanique, dont certains des pays attendent aux portes de l'Union - je pense à la Macédoine -, nous savons qu'il faudra, là encore, trouver un compromis difficile entre, d'une part, l'invitation faite à ses peuples de progresser rapidement vers la réconciliation, la réforme, la démocratie, en échange d'une intégration promise à terme et, d'autre part, le rythme souhaitable et réaliste de futurs élargissements.
Les perspectives sont incertaines, enfin, sur l'identité ultime de l'Union entre deux modèles concurrents, celui d'un grand marché d'un côté, celui de l'union politique de l'autre, pour lequel la France a toujours oeuvré et que le projet de traité institutionnel permettait de conforter.
C'est dans ce climat de doute, d'incertitude et d'inquiétude que s'inscrit la négociation sur les perspectives financières.
La querelle budgétaire est désormais un « classique » du débat européen ; elle suit un cycle bien connu de rebondissements et de crispations, et nous sommes aujourd'hui au coeur d'une crise qui devra nécessairement trouver son dénouement au plus tard au début de l'année 2006.
Cette fois, cependant, l'exercice semble bien difficile, et même périlleux, après l'échec du projet luxembourgeois en juin et avec la nature même des propositions britanniques dont la dernière version, semble-t-il, ne modifie pas l'économie générale.
Pour des raisons de calendrier, d'abord, il importe d'aboutir à un accord sous présidence britannique afin de dénouer rapidement cette crise qui pèse lourdement sur le fonctionnement de l'Union.
Mais un accord rapide est aussi et surtout nécessaire pour des raisons qui tiennent aux objectifs mêmes de l'Union. Au-delà du débat sur le poids financier de telle ou telle politique, c'est bien la capacité et la légitimité de l'Union à mener des politiques communes qui est en question.
Entre les lignes des propositions britanniques que décèle-t-on ? Il y aurait, d'un côté, les partisans de la « modernité », qui voudraient la remise à plat des politiques de l'Union et, de l'autre, ceux de la « tradition », par principe opposés aux réformes. La réalité n'est pas celle-là !
L'ambition qui anime les Européens, c'est de construire l'Europe comme un espace de paix et de prospérité à même de faire valoir des intérêts communs.
Cette ambition repose sur des règles communes, mais aussi sur l'exercice de solidarités quotidiennes qui sont l'essence même des politiques communes. La politique agricole et la politique régionale traduisent concrètement ce modèle original d'intégration.
Plus récemment, la stratégie de Lisbonne a défini des objectifs de croissance et d'emploi pour redonner un élan aux économies des États membres. Dans un contexte où les Européens, singulièrement les Français, ne semblent plus percevoir les bénéfices de la construction européenne, une action dans ces domaines est plus que jamais nécessaire.
Le financement des infrastructures, l'objectif de croissance et d'emploi, la promotion de la recherche et de la compétitivité font naître de nouveaux besoins. Ces ambitions pour l'Europe appellent un financement équitable.
La politique agricole commune est aujourd'hui au coeur d'une double pression : celle de la présidence britannique, mais aussi, au même moment, celle de la négociation de l'OMC. Or la PAC n'a rien de ce monstre immobile qui serait à l'origine de tous nos maux.
La PAC a en effet été réformée à plusieurs reprises. En vingt-cinq ans, sa part dans le budget européen est passée de 90 % à 43 %. En octobre 2002, dans la perspective de l'élargissement, les Quinze se sont accordés sur le plafonnement des dépenses agricoles au niveau de 2006 sur la durée des prochaines perspectives financières. À vingt-cinq États membres, les dépenses agricoles ne seront pas supérieures à ce qu'elles représentaient pour quinze.
Après cette réforme, nous pouvions légitimement penser que cette question de la politique agricole commune était réglée, au moins pour un temps. Cela ne doit pas nous empêcher de commencer à réfléchir ensemble, dès maintenant, à l'après-2013 et à ce que pourraient être les contours techniques, politiques et financiers d'un nouveau compromis agricole pour l'Europe.
Faut-il rappeler, en revanche, que le « rabais » britannique, instauré en 1984, il y a plus de vingt ans et sans limitation de durée, n'a été réexaminé qu'une seule fois, en 1999, par un mécanisme complexe destiné à en limiter le coût pour les principaux contributeurs ?
La France en finance désormais le tiers mais, surtout, cette « taxation » touche aussi les États membres dont le revenu national est inférieur, et ce alors même que les écarts de richesse se sont accrus au sein de l'Union après l'élargissement et que le revenu national britannique a notablement progressé.
C'est bien dans la réduction du rabais britannique, ou à tout le moins dans son plafonnement, que se situe aujourd'hui la véritable réforme.
Faut-il aller vers une correction des soldes de tous les contributeurs nets, comme le proposent certains ? Je ne le pense pas.
En effet, à moyen terme, la réduction des écarts de richesse entre les États membres est dans l'intérêt même de l'Union. C'est dans cet esprit que nous avons dit aux Français qu'il ne fallait pas craindre l'élargissement ni l'afflux massif de travailleurs venus d'Europe centrale et orientale. Forts des exemples irlandais, espagnol et portugais, nous avons démontré que ces États pouvaient gérer des transitions douloureuses et assurer leur croissance, dans l'intérêt d'une Europe plus forte, plus cohérente et plus harmonieuse.
Cette solidarité a un prix. Il revient aux États les plus riches de l'assumer équitablement. Or c'est sur les nouveaux membres que les propositions britanniques font porter l'effort, au risque de perpétuer une fracture entre anciens et nouveaux membres.
La présidence a certes fait valoir que les conditions d'octroi des aides régionales pourraient être assouplies par l'abaissement de la part nationale des cofinancements, par l'inclusion de la TVA dans ces cofinancements et par la possibilité d'utiliser les fonds sur une plus longue période.
Une telle perspective pourrait conduire les nouveaux membres à accepter une réduction des aides, qu'ils avaient d'ailleurs eux-mêmes proposée en juin dernier, en contrepartie de la certitude d'une mise en place rapide. Mais, reconnaissons-le, la symbolique est désastreuse.
Si un compromis devait être trouvé sur ces bases, ce serait au détriment d'une véritable réforme du financement de l'Union. La réduction du rabais britannique ne serait que la contrepartie mécanique d'une réduction des dépenses : un tel compromis n'est pas acceptable.
J'observe aussi, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, que les difficultés que rencontre l'Union pour financer son élargissement témoignent de la pertinence de la condition qu'a toujours posé notre pays à de nouvelles adhésions : celle de sa capacité à absorber de nouveaux États.
Alors que certains de nos partenaires soutiennent l'ouverture de nouvelles négociations, je crois que ce serait tromper à la fois ces candidats, mais aussi nous-mêmes, que de considérer que l'Union a la capacité financière, mais surtout politique, de s'élargir toujours plus. C'est pourquoi, en toute logique, il importe de développer, mais surtout de préciser une politique de voisinage ambitieuse et dynamique afin de lever des ambiguïtés encore trop présentes quant aux objectifs ultimes de notre partenariat avec les États voisins.
J'évoquais tout à l'heure les perspectives incertaines de l'Union. Je ne voudrais pas omettre ses nombreuses réalités, parmi lesquelles je mentionnerai plus spécialement la défense commune ainsi que la politique étrangère et de sécurité.
Je prendrai un seul exemple : vue de Paris, la mission qui vient d'être confiée à l'Union pour le contrôle de la frontière entre Gaza et l'Égypte peut paraître modeste. En réalité, elle ne l'est pas sur le terrain, où la vie de milliers de Palestiniens commence à changer. Mais c'est une avancée qui est aussi un symbole lourd de sens : elle illustre qu'au moment où elle se débat dans une négociation interne difficile l'Europe représente une forte espérance hors de ses frontières. Je forme des voeux pour qu'elle en redevienne une, et vite, pour ses propres citoyens.