La séance est ouverte à quinze heures cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement m'a informé qu'il modifiait l'ordre du jour des séances du mardi 20 décembre, après-midi et soir, et du jeudi 22 décembre.
L'ordre du jour des prochaines séances s'établit donc comme suit :
Demain, jeudi 15 décembre, matin, après-midi, après les questions d'actualité, et le soir :
- Projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
Vendredi 16 décembre, le matin :
- Suite du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
L'après-midi et le soir :
- Projet de loi de programme pour la recherche.
Lundi 19 décembre, matin, après-midi et soir :
- Projet de loi de finances rectificative pour 2005.
Mardi 20 décembre, l'après-midi, le matin étant consacré aux questions orales :
- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2005 ;
- Suite du projet de loi de programme pour la recherche.
Mardi 20 décembre, le soir :
- Commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2006 ;
- Suite de l'ordre du jour de l'après-midi.
Mercredi 21 décembre, matin, après-midi et soir :
- Suite du projet de loi de programme pour la recherche.
Jeudi 22 décembre, matin, après-midi et, éventuellement, le soir :
- Commissions mixtes paritaires sur les projets de loi suivants :
- projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports ;
- projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ;
- projet de loi d'orientation agricole ;
- projet de loi de finances rectificative pour 2005 ;
- Suite du projet de loi de programme pour la recherche.
Acte est donné de cette communication.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, mon rappel au règlement concerne l'organisation de nos travaux, dont nous venons d'avoir eu partiellement connaissance.
De toute évidence, l'ordre du jour fixé par le Gouvernement ne permet pas, depuis plusieurs semaines, un examen serein et approfondi des projets de loi soumis au Parlement.
Le chevauchement inédit de deux débats très importants, à savoir l'examen du projet de loi portant engagement national pour le logement et l'examen du projet de loi de finances pour 2006, témoigne d'une désorganisation du travail parlementaire, qui nuit au principe de séparation des pouvoirs.
Comment ne pas déplorer le fait que, dans le cadre de la discussion budgétaire, le débat - attendu - sur l'impôt de solidarité sur la fortune ait eu lieu un lundi matin ? Comment ne pas regretter encore que l'examen du fameux « bouclier fiscal » ait eu lieu un samedi après-midi, les débats s'étant même poursuivis un dimanche, l'après-midi et le soir ?
Au cours de la dernière conférence des présidents, plusieurs voix de l'opposition, dont la mienne, s'étaient élevées contre cette manière de faire et contre la densification excessive des travaux d'ici au 23 décembre, ...
... densification qui nuit, je le répète, à la qualité du travail d'élaboration de la loi.
Cette même conférence des présidents avait d'ailleurs rejeté l'idée de prévoir, ce mercredi soir, une séance consacrée à l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. Or non seulement le Gouvernement n'a pas respecté ce souhait, mais, surtout, il a décidé, comme cela vient de nous être annoncé, d'avancer la discussion à dix-sept heures.
Le 16 décembre, nous devons commencer l'examen du projet de loi de programme pour la recherche. Or, le 19 décembre, au beau milieu de ce débat, nous devrions débuter l'examen du collectif budgétaire de 2005 et ne reprendre l'examen du projet de loi de programme pour la recherche que le mardi 20 décembre, après une séance constitutionnellement consacrée à des questions orales sans débat.
De toute évidence, ce calendrier osé - c'est le moins que l'on puisse dire ! - ne sera pas tenu, et le mois de décembre se terminera, comme on pouvait le craindre, dans la précipitation, la confusion, et certainement, malheureusement, dans l'indifférence de nos concitoyens.
Monsieur le président, je souhaite donc que la prochaine conférence des présidents, qui ne se tiendra que mardi prochain, puisse être informée de manière précise de l'organisation de nos travaux futurs, ... et peut-être même pourrions-nous engager une réflexion sur nos travaux passés.
J'insiste également sur le maintien, mardi matin, de la séance de questions orales sans débat, outil important d'expression des parlementaires, de l'opposition en particulier.
Monsieur le président, j'interroge tout autant la présidence que le Gouvernement, et je souhaiterais obtenir des réponses précises.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Je confirme que la conférence des présidents se réunira mardi 20 décembre à onze heures. Elle nous permettra de fixer le nouvel ordre du jour et, éventuellement, de commenter l'ordre du jour des séances passées.
Ordre du jour réservé
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005.
Avant de donner la parole à M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, je me félicite avec vous tous, mes chers collègues, qu'un débat préalable au Conseil européen soit organisé dans notre assemblée, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale.
C'est une demande que nous avions formulée depuis fort longtemps et, pour la deuxième fois, elle reçoit satisfaction.
Vous savez combien nous avons insisté, les uns et les autres, au nom du Sénat, pour que le Parlement puisse débattre en amont des grands enjeux des Conseils européens, de telle manière que les commissions, la délégation du Sénat à l'Union européenne et les groupes puissent exprimer leurs points de vue et dialoguer avec le Gouvernement. Ainsi, celui-ci, mieux informé, pourra participer aux débats européens de manière plus efficace encore.
Sur l'initiative de M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, ce voeu se réalise une fois encore aujourd'hui, après le premier débat qui s'est tenu ici même le 15 juin dernier.
Je me réjouis que s'établisse ainsi une coutume permettant d'associer toujours plus étroitement le Parlement aux différentes étapes de la construction européenne. J'observe d'ailleurs que cette consultation en amont est devenue une tradition chez nombre de nos partenaires européens.
Comme nous le savons tous, le sommet qui se tiendra demain et après-demain sera décisif pour tracer les perspectives d'avenir de l'Union européenne et définir les grandes enveloppes financières de son action dans les prochaines années. Il revêtira une dimension particulière au regard tant des conséquences de l'élargissement que de l'avenir, notamment de la politique agricole commune, si essentielle pour notre pays.
Le calendrier de nos travaux, particulièrement contraint par l'examen du projet de loi de finances et des autres textes inscrits à l'ordre du jour, et les dates mêmes du Conseil européen ne nous ont pas offert d'autre choix que d'entendre cette déclaration du Gouvernement en ce jour réservé à l'initiative parlementaire.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué tout à l'heure que, lors de la prochaine conférence des présidents, certains seront sans doute amenés à commenter l'ordre du jour d'aujourd'hui, pour en tirer quelque enseignement.
Monsieur le ministre, la conférence des présidents a accepté d'inscrire ce débat aujourd'hui à son ordre du jour, dans l'intérêt de l'information du Sénat tout entier. Pour autant, je souhaite que cela ne constitue pas un précédent et que nous prenions par la suite le temps nécessaire pour débattre des sujets européens, qui sont particulièrement importants !
La parole est à M. le ministre.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, le Premier ministre m'a demandé d'ouvrir ce débat aujourd'hui, à la veille du Conseil européen qui marquera la fin de la présidence britannique et qui constitue, vous le savez, un rendez-vous décisif pour l'avenir immédiat de l'Union européenne.
Dès le lendemain du vote du 29 mai dernier, le Premier ministre avait tenu à ce qu'un débat soit organisé avant chaque Conseil européen. Ce rendez-vous est devenu l'un des moments forts des relations entre le Gouvernement et le Parlement, ce dont je me réjouis. En effet, la représentation nationale - j'en ai la conviction profonde - doit être mieux associée au processus de décision européen.
Le Premier ministre a pris un certain nombre de décisions qui vont dans ce sens. Il a demandé aux ministres de rendre compte, devant les commissions parlementaires compétentes, des enjeux et des résultats des conseils des ministres de l'Union européenne. Catherine Colonna et moi-même veillons à nous exprimer aussi régulièrement que possible devant les commissions parlementaires et à y préciser le contenu des négociations communautaires qui ont lieu à Bruxelles.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a à peine six mois, une majorité de Français a rejeté le projet de Constitution. Ma conviction est qu'ils n'ont pas dit non à l'idée européenne, mais qu'ils ont refusé l'absence de visibilité sur l'évolution du projet européen. Les Français veulent savoir où va l'Europe, et ce que nous voulons pour elle.
Certes, l'Europe continue à fonctionner, mais nos concitoyens ne voient souvent plus quel est notre horizon collectif. Malgré des réussites indéniables, telles Galileo, les Européens, les jeunes notamment, ne se reconnaissent pas dans une ambition commune pour l'Europe.
Il faut donc redoubler d'efforts et travailler avec nos partenaires, d'abord pour une Europe dynamique qui renoue avec la croissance et l'emploi, ensuite pour une Europe capable de défendre son modèle social fondé sur la solidarité - c'est l'esprit même du projet européen -, enfin pour une Europe à la pointe de l'innovation, de la recherche et des nouvelles technologies.
Nous relèverons tous ces défis tout en défendant une Europe des projets, qui avance sur la base de décisions et de résultats réalistes et concrets. C'est un impératif si nous voulons montrer aux Français que l'Europe les protège et qu'elle garantit leur avenir.
Rien de tout cela ne sera possible si nous ne parvenons pas, dans l'immédiat, à régler la question du financement de l'Union après 2006. C'est l'enjeu central du Conseil européen qui s'ouvre demain à Bruxelles.
Autant le dire, la négociation sera difficile. Nous avons pris connaissance voilà une heure des dernières propositions britanniques et, malheureusement, elles ne fournissent pas une base pour un accord acceptable par tous.
Nous sommes déterminés à parvenir vendredi soir à un accord entre les vingt-cinq États membres sur ce qui constitue le premier budget pluriannuel de l'Union depuis le dernier élargissement. Un accord est, en effet, indispensable pour permettre la mise en oeuvre des politiques communes pour la période 2007-2013.
C'est important pour la France, pour nos régions, pour nos centres de recherche, pour nos agriculteurs, pour toutes celles et tous ceux qui bénéficient d'un appui financier de l'Union.
C'est important pour les nouveaux États membres de l'Union, dont la priorité est le rattrapage économique et social grâce au soutien de la politique régionale. Ce rattrapage, je le rappelle, aura de nombreux effets positifs sur l'économie française : il réduira notamment au sein de l'Union les possibilités de dumping social, qui inquiètent nos concitoyens.
Les pays de l'Union, en particulier les nouveaux États membres, ont besoin de connaître au plus vite le montant des fonds structurels qui leur seront alloués, afin de programmer les projets qui devront être mis en oeuvre dès 2007.
C'est donc dans un esprit de responsabilité que la France abordera demain le Conseil européen.
Après l'échec du Conseil européen du mois de juin dernier, il est d'autant plus important que nous trouvions un accord dès cette semaine. La France est prête, naturellement, à négocier, comme elle l'avait fait lors du dernier Conseil européen. Pour autant, elle n'acceptera pas un accord à n'importe quel prix.
Chaque pays doit faire face à ses responsabilités pour parvenir à un partage à la fois juste et équitable du financement de l'élargissement. La présidence britannique a, cela va sans dire, une responsabilité toute particulière. Nous attendons donc du Royaume-Uni qu'il accomplisse sa part du chemin, ce qu'il refuse toujours de faire.
Comme Catherine Colonna et moi-même l'avons rappelé à chaque Conseil Affaires Générales et comme le Président de la République le redira avec force cette semaine à Bruxelles, le budget de l'Union doit impérativement respecter trois principes : solidarité, équité, fidélité à la parole donnée.
Le principe de solidarité est au coeur de l'idée européenne et, plus que jamais, au coeur du budget, puisque c'est l'intégration économique et sociale des nouveaux États membres qui est en jeu.
La présidence britannique a proposé la semaine dernière une réduction de 8 % des fonds structurels à destination de ces pays : nous ne l'avons pas accepté. Elle suggère aujourd'hui une augmentation légère de ces crédits : ceux-ci ne sont toujours pas à la hauteur de l'enjeu.
S'agissant du principe d'équité, vous savez que la France a accepté, au mois de juin dernier, d'augmenter de 11 milliards d'euros sa contribution au budget européen pour la période 2007-2013. Elle a également accepté une réduction substantielle de ses retours sur les fonds européens.
Il s'agit d'un effort important, c'est un geste fort, mais l'effort doit être partagé par l'ensemble des pays riches de l'Union. Chacun doit prendre sa part du fardeau.
Or, jusqu'à présent, qu'a proposé la présidence britannique ?
Le Royaume-Uni a refusé obstinément de réviser le montant et le système du chèque britannique, alors même qu'il n'est plus dans la situation économique et sociale d'il y a vingt ans et que son chèque est devenu, de fait, une anomalie historique.
La question du rabais britannique est bien au coeur de la discussion. Elle l'est pour tous les États membres, pas seulement pour la France, même si notre pays, ne l'oublions pas, paie près de 30 % de ce rabais. Le maintien en l'état du rabais britannique signifierait, ni plus ni moins, une exemption du Royaume-Uni de sa contribution financière à l'élargissement, avec un transfert de charges principalement vers trois pays : la France, l'Italie et l'Espagne. C'est évidemment inacceptable, et la France ne l'acceptera pas.
Ce message, nous l'avons fait passer clairement aux autorités britanniques en espérant qu'elles en tiendraient compte. Or nous venons de prendre connaissance de la nouvelle proposition de la présidence britannique : cette nouvelle boîte de négociation démontre malheureusement que le Royaume-Uni n'est toujours pas prêt à assumer sa juste part du fardeau financier. Les nouvelles propositions sur le rabais britannique sont en effet identiques aux propositions précédentes, alors même que nous avions souligné que celles-ci ne pouvaient constituer une base de négociation.
La nouvelle boîte de négociation est donc inacceptable pour la France dès lors qu'elle refuse de réviser de manière durable et pérenne le mode de calcul du rabais britannique.
Nous voulons espérer que les autorités britanniques n'ont pas dit leur dernier mot à ce sujet et qu'elles comprendront la nécessité de s'engager enfin dans la voie d'un réexamen en profondeur du mécanisme du chèque britannique. En l'absence d'un tel changement de la part de Londres, il ne faut pas attendre de la France qu'elle adopte une autre position.
Sur ce sujet, le Gouvernement compte donc sur le soutien du Parlement.
Vous êtes appelés, mesdames, messieurs les sénateurs, à voter chaque année, dans le cadre du projet de loi de finances, le montant de notre contribution au budget de l'Union européenne. Toute modification des modalités de financement de l'Union européenne nécessitera votre accord. Plus nous serons unis pour défendre nos positions, mieux nous pourrons convaincre nos partenaires.
Le principe de fidélité à la parole donnée concerne plus particulièrement la politique agricole commune, la PAC, à laquelle nous sommes tous attachés.
Aujourd'hui, nos partenaires britanniques mettent en question l'avenir de la PAC, alors que son financement a fait l'objet d'un accord qui vaut jusqu'en 2013.
L'accord conclu - à l'unanimité, je le rappelle - en 2002 est donc doublement menacé.
D'une part, cet accord est menacé par les propositions britanniques, qui prévoient une nouvelle baisse pour les dépenses de marché de la PAC - de l'ordre de 2 milliards d'euros dans les propositions datant de la semaine dernière - par rapport à la proposition luxembourgeois du mois de juin dernier. Cette baisse est maintenue dans les dernières propositions dont nous avons eu connaissance voilà une heure.
D'autre part, cet accord est menacé parce que certains, nous le voyons bien, sont tentés de faire de l'agriculture la variable d'ajustement des négociations à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.
La France a clairement dit au commissaire au commerce extérieur, M. Peter Mandelson, et au président de la Commission, M. José Manuel Barroso, qu'elle s'opposerait à tout accord partiel sur l'agriculture. Nous voulons un accord global et équilibré, qui prenne en compte les intérêts de l'Europe dans l'industrie et les services et qui soit également bénéfique aux pays en voie de développement, notamment aux plus pauvres. N'oublions que le cycle de Doha est avant tout le cycle du développement !
S'agissant du budget européen, le Gouvernement est disposé à discuter dès avant 2013 d'une large réforme du budget, qui devra porter sur toutes les dépenses et sur toutes les ressources. Il s'agit d'amplifier, pour l'après-2013, la modernisation du budget de l'Union, notamment pour les politiques de recherche, qui, je le rappelle, augmenteront de près de 30 % dès 2007 si l'on s'en tient aux propositions luxembourgeoises du mois de juin dernier.
La réforme du budget de 2014 devra être préparée avec minutie. Elle ne saurait remettre en cause la stabilité dont ont besoin les régions, les ménages, les entreprises, les chercheurs, les agriculteurs européens. Elle ne devra donc produire ses effets qu'après 2013.
Le Gouvernement n'acceptera aucune remise en cause de la PAC avant cette échéance. La PAC connaît d'ores et déjà une profonde réforme, dont la dernière en date, celle de 2003, ne produira totalement ses effets qu'en 2008.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, le budget de l'Union pour la période 2007-2013 devra préserver la PAC en garantissant le maintien du montant des aides directes versées à nos agriculteurs jusqu'en 2013.
Même si la question du budget doit occuper l'essentiel du Conseil européen, les chefs d'État et de gouvernement doivent aussi prendre des décisions sur trois autres sujets importants.
D'abord, le statut de l'ancienne République yougoslave de Macédoine : la Commission européenne a recommandé le 9 novembre dernier que ce pays reçoive le statut de candidat à l'Union.
La France abordera cette question avec une double exigence.
La première, c'est la stabilité des Balkans, qui repose aujourd'hui en grande partie sur la perspective européenne, avec trois étapes distinctes : d'abord, la signature d'accords de stabilisation et d'association - tous les pays de la région en ont signé ou ont entamé les négociations pour y parvenir - ; ensuite, l'octroi du statut de candidat que demande aujourd'hui l'ancienne République yougoslave de Macédoine ; enfin, l'ouverture de négociations d'adhésion, comme cela a été décidé le 3 octobre dernier pour la Croatie.
Tout cela devrait nous permettre d'ancrer la paix dans cette région de l'Europe trop souvent instable et d'y garantir, dans le même temps, le respect des droits de l'homme et des minorités.
La seconde exigence, c'est de préserver l'adhésion des citoyens européens à l'Union. Or, nous le savons, les derniers élargissements n'ont pas toujours été compris : les Français ont le sentiment d'être entraînés dans une fuite en avant, un processus irréversible où l'élargissement n'aurait pas de fin, et ce alors même que l'approfondissement politique de l'Europe marque le pas.
Pour la Macédoine, comme pour l'ensemble des pays candidats à l'entrée dans l'Union, nous disposons d'un certain nombre de garanties.
La Commission l'a rappelé : l'octroi du statut de candidat à la Macédoine ne signifie en aucune manière l'ouverture des négociations.
Par ailleurs, les critères d'adhésion ont été complétés : la capacité d'absorption par l'Union sera désormais un critère essentiel pour l'ouverture et la conduite des négociations d'adhésion.
Enfin, en tout état de cause, vous le savez, nos concitoyens auront le dernier mot : cette exigence est désormais inscrite dans la Constitution.
Le Conseil européen devra aussi se prononcer sur la question de la TVA à taux réduit. La France est déterminée à obtenir, dans ce domaine, un résultat concret.
Nous voulons pérenniser la TVA à taux réduit qui s'applique aujourd'hui aux services d'aide à la personne et aux travaux à domicile dans le secteur du bâtiment. Dans ces secteurs, la TVA à 5, 5 % a créé plus de 40 000 emplois et a fait reculer le travail illégal. Il est important d'assurer aux professionnels de ces secteurs la visibilité dont ils auront besoin au-delà du 1er janvier 2006, pour établir leurs devis et assurer leurs commandes.
Par ailleurs, nous allons tout faire pour étendre la TVA à taux réduit à la restauration, le Premier ministre l'a redit hier : c'est une mesure nécessaire si nous voulons créer des emplois dans ce secteur important pour notre économie.
Enfin, le Conseil européen devrait évoquer également - c'est le dernier sujet important - la révision de la directive « Temps de travail ».
Le Conseil des ministres de l'Union européenne en charge de l'emploi du 8 décembre dernier n'est pas parvenu à trouver un accord sur la révision de cette directive de 1993.
La France souhaite la disparition progressive de la clause d'exemption de cette directive, parce qu'elle permet trop souvent aux États membres de s'exonérer de la durée du travail hebdomadaire maximale autorisée dans l'Union.
Bien entendu, cette norme européenne ne pourra pas être appliquée uniformément dans tous les secteurs ou dans tous les États : nous avons besoin, avant tout, d'une approche flexible et progressive.
Je rappelle que la directive n'empêche pas, bien sûr, les États qui le souhaitent d'appliquer une législation plus protectrice pour les salariés : la législation française n'est donc ni menacée ni modifiée par le contenu de la directive.
Enfin, nous souhaitons sécuriser notre système de décompte forfaitaire du temps de garde, notamment dans les hôpitaux et le secteur médico-social. Sur une question qui préoccupe tant nos compatriotes, il est essentiel que nous puissions parvenir à un accord.
Pour terminer, je veux évoquer plus brièvement deux autres sujets inscrits à l'ordre du jour de ce Conseil européen.
Il s'agit en premier lieu de la lutte contre l'immigration clandestine, qui concerne l'ensemble des pays membres de l'Union. Chacun a en mémoire les événements dramatiques survenus à Ceuta, il y a quelques mois.
Sur l'initiative de la France et de l'Espagne, l'Union européenne se mobilise, et la Commission proposera bientôt les premières lignes d'un partenariat européen en trois volets.
Premier volet, un meilleur contrôle des frontières de l'Europe : c'est la vocation de l'Agence européenne qui se met en place à Varsovie, avec pour objectif de parvenir à une police européenne des frontières.
Deuxième volet, l'amélioration de la mise en oeuvre des accords de réadmission avec les pays tiers.
Troisième volet, la mise en oeuvre d'une politique de co-développement plus ambitieuse, indispensable si nous voulons répondre aux raisons de fond qui sont à l'origine de l'immigration. On ne traitera pas le problème de l'immigration clandestine uniquement en plaçant des policiers aux frontières, on le règlera par le développement et le co-développement, d'où l'idée d'un outil financier bancaire euro-méditerranéen.
La France rappellera demain l'importance d'une relance du processus euro-méditerranéen pour répondre notamment à ces défis.
Enfin, le Conseil européen doit adopter une « Stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afrique ».
Cette stratégie préfigure le sommet Europe-Afrique qui devrait avoir lieu en 2006. C'est une nouvelle étape dans les relations avec l'Afrique, après les engagements pris par le Conseil européen de juin dernier.
L'aide publique au développement devrait être augmentée collectivement à hauteur de 0, 7 % du revenu national brut d'ici à 2015. La moitié de cette augmentation sera réservée à l'Afrique, soit l'équivalent de 23 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici à 2015.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tous les enjeux que je viens de rappeler exigent une Europe forte, ambitieuse et solidaire.
Avec le Premier ministre, je formule le voeu que le Conseil européen des 15 et 16 décembre nous donne les moyens de cette ambition.
Les négociations risquent d'être extraordinairement difficiles au regard des dernières propositions britanniques et du refus persistant de Londres d'accepter de payer sa simple part du financement de l'élargissement.
Le Président de la République, qui conduira les négociations pour la France, est néanmoins déterminé à tout faire pour que ce Conseil européen soit un succès.
Au-delà du Conseil européen de demain, un travail de longue haleine sera indispensable pour restaurer la confiance. La France prendra toute sa part dans cet effort. Nous le ferons, Catherine Colonna et moi-même, en proposant des avancées concrètes, des projets pragmatiques et réalistes, qui répondent aux aspirations des citoyens de l'Union.
C'est indispensable : l'Europe doit à nouveau démontrer aujourd'hui qu'elle est efficace, qu'elle agit au quotidien et que le projet européen est plus que jamais une grande ambition pour le XXIe siècle.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous saurons à la fin de la semaine si l'Union européenne a pu trouver un accord sur les perspectives financières 2007-2013, ce qui revient à dire que nous saurons alors si l'Union a pu se redonner des perspectives tout court. Car, à travers les choix financiers qu'elle décide, c'est bien l'ensemble de ses progrès politiques, de ses orientations et de sa stratégie qui est en cause. Or certaines de ces perspectives semblent bien incertaines.
Ses perspectives institutionnelles, d'abord. La dynamique qui s'était installée ces deux dernières années a été brisée net après les votes français et néerlandais, témoignant de ce que certains peuples, dont le nôtre, semblent ne plus reconnaître leur espérance dans cette Europe qu'ils comprennent mal.
Ses perspectives géographiques, ensuite. Nous voyons bien aujourd'hui que les perspectives de nouveaux élargissements de l'Union, au-delà des pays avec lesquels des négociations sont engagées ou prévisibles, sont désormais confuses.
Après l'obligation historique qui a fondé la vague d'élargissement - qui n'est pas encore achevée - au profit des pays de l'Europe centrale et orientale, après la délicate gestion de la candidature turque, la sagesse recommande sans aucun doute une pause dans les élargissements, mais cette attitude, on le sait, n'est pas partagée par tous nos partenaires.
En ce qui concerne, en particulier, l'Europe balkanique, dont certains des pays attendent aux portes de l'Union - je pense à la Macédoine -, nous savons qu'il faudra, là encore, trouver un compromis difficile entre, d'une part, l'invitation faite à ses peuples de progresser rapidement vers la réconciliation, la réforme, la démocratie, en échange d'une intégration promise à terme et, d'autre part, le rythme souhaitable et réaliste de futurs élargissements.
Les perspectives sont incertaines, enfin, sur l'identité ultime de l'Union entre deux modèles concurrents, celui d'un grand marché d'un côté, celui de l'union politique de l'autre, pour lequel la France a toujours oeuvré et que le projet de traité institutionnel permettait de conforter.
C'est dans ce climat de doute, d'incertitude et d'inquiétude que s'inscrit la négociation sur les perspectives financières.
La querelle budgétaire est désormais un « classique » du débat européen ; elle suit un cycle bien connu de rebondissements et de crispations, et nous sommes aujourd'hui au coeur d'une crise qui devra nécessairement trouver son dénouement au plus tard au début de l'année 2006.
Cette fois, cependant, l'exercice semble bien difficile, et même périlleux, après l'échec du projet luxembourgeois en juin et avec la nature même des propositions britanniques dont la dernière version, semble-t-il, ne modifie pas l'économie générale.
Pour des raisons de calendrier, d'abord, il importe d'aboutir à un accord sous présidence britannique afin de dénouer rapidement cette crise qui pèse lourdement sur le fonctionnement de l'Union.
Mais un accord rapide est aussi et surtout nécessaire pour des raisons qui tiennent aux objectifs mêmes de l'Union. Au-delà du débat sur le poids financier de telle ou telle politique, c'est bien la capacité et la légitimité de l'Union à mener des politiques communes qui est en question.
Entre les lignes des propositions britanniques que décèle-t-on ? Il y aurait, d'un côté, les partisans de la « modernité », qui voudraient la remise à plat des politiques de l'Union et, de l'autre, ceux de la « tradition », par principe opposés aux réformes. La réalité n'est pas celle-là !
L'ambition qui anime les Européens, c'est de construire l'Europe comme un espace de paix et de prospérité à même de faire valoir des intérêts communs.
Cette ambition repose sur des règles communes, mais aussi sur l'exercice de solidarités quotidiennes qui sont l'essence même des politiques communes. La politique agricole et la politique régionale traduisent concrètement ce modèle original d'intégration.
Plus récemment, la stratégie de Lisbonne a défini des objectifs de croissance et d'emploi pour redonner un élan aux économies des États membres. Dans un contexte où les Européens, singulièrement les Français, ne semblent plus percevoir les bénéfices de la construction européenne, une action dans ces domaines est plus que jamais nécessaire.
Le financement des infrastructures, l'objectif de croissance et d'emploi, la promotion de la recherche et de la compétitivité font naître de nouveaux besoins. Ces ambitions pour l'Europe appellent un financement équitable.
La politique agricole commune est aujourd'hui au coeur d'une double pression : celle de la présidence britannique, mais aussi, au même moment, celle de la négociation de l'OMC. Or la PAC n'a rien de ce monstre immobile qui serait à l'origine de tous nos maux.
La PAC a en effet été réformée à plusieurs reprises. En vingt-cinq ans, sa part dans le budget européen est passée de 90 % à 43 %. En octobre 2002, dans la perspective de l'élargissement, les Quinze se sont accordés sur le plafonnement des dépenses agricoles au niveau de 2006 sur la durée des prochaines perspectives financières. À vingt-cinq États membres, les dépenses agricoles ne seront pas supérieures à ce qu'elles représentaient pour quinze.
Après cette réforme, nous pouvions légitimement penser que cette question de la politique agricole commune était réglée, au moins pour un temps. Cela ne doit pas nous empêcher de commencer à réfléchir ensemble, dès maintenant, à l'après-2013 et à ce que pourraient être les contours techniques, politiques et financiers d'un nouveau compromis agricole pour l'Europe.
Faut-il rappeler, en revanche, que le « rabais » britannique, instauré en 1984, il y a plus de vingt ans et sans limitation de durée, n'a été réexaminé qu'une seule fois, en 1999, par un mécanisme complexe destiné à en limiter le coût pour les principaux contributeurs ?
La France en finance désormais le tiers mais, surtout, cette « taxation » touche aussi les États membres dont le revenu national est inférieur, et ce alors même que les écarts de richesse se sont accrus au sein de l'Union après l'élargissement et que le revenu national britannique a notablement progressé.
C'est bien dans la réduction du rabais britannique, ou à tout le moins dans son plafonnement, que se situe aujourd'hui la véritable réforme.
Faut-il aller vers une correction des soldes de tous les contributeurs nets, comme le proposent certains ? Je ne le pense pas.
En effet, à moyen terme, la réduction des écarts de richesse entre les États membres est dans l'intérêt même de l'Union. C'est dans cet esprit que nous avons dit aux Français qu'il ne fallait pas craindre l'élargissement ni l'afflux massif de travailleurs venus d'Europe centrale et orientale. Forts des exemples irlandais, espagnol et portugais, nous avons démontré que ces États pouvaient gérer des transitions douloureuses et assurer leur croissance, dans l'intérêt d'une Europe plus forte, plus cohérente et plus harmonieuse.
Cette solidarité a un prix. Il revient aux États les plus riches de l'assumer équitablement. Or c'est sur les nouveaux membres que les propositions britanniques font porter l'effort, au risque de perpétuer une fracture entre anciens et nouveaux membres.
La présidence a certes fait valoir que les conditions d'octroi des aides régionales pourraient être assouplies par l'abaissement de la part nationale des cofinancements, par l'inclusion de la TVA dans ces cofinancements et par la possibilité d'utiliser les fonds sur une plus longue période.
Une telle perspective pourrait conduire les nouveaux membres à accepter une réduction des aides, qu'ils avaient d'ailleurs eux-mêmes proposée en juin dernier, en contrepartie de la certitude d'une mise en place rapide. Mais, reconnaissons-le, la symbolique est désastreuse.
Si un compromis devait être trouvé sur ces bases, ce serait au détriment d'une véritable réforme du financement de l'Union. La réduction du rabais britannique ne serait que la contrepartie mécanique d'une réduction des dépenses : un tel compromis n'est pas acceptable.
J'observe aussi, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, que les difficultés que rencontre l'Union pour financer son élargissement témoignent de la pertinence de la condition qu'a toujours posé notre pays à de nouvelles adhésions : celle de sa capacité à absorber de nouveaux États.
Alors que certains de nos partenaires soutiennent l'ouverture de nouvelles négociations, je crois que ce serait tromper à la fois ces candidats, mais aussi nous-mêmes, que de considérer que l'Union a la capacité financière, mais surtout politique, de s'élargir toujours plus. C'est pourquoi, en toute logique, il importe de développer, mais surtout de préciser une politique de voisinage ambitieuse et dynamique afin de lever des ambiguïtés encore trop présentes quant aux objectifs ultimes de notre partenariat avec les États voisins.
J'évoquais tout à l'heure les perspectives incertaines de l'Union. Je ne voudrais pas omettre ses nombreuses réalités, parmi lesquelles je mentionnerai plus spécialement la défense commune ainsi que la politique étrangère et de sécurité.
Je prendrai un seul exemple : vue de Paris, la mission qui vient d'être confiée à l'Union pour le contrôle de la frontière entre Gaza et l'Égypte peut paraître modeste. En réalité, elle ne l'est pas sur le terrain, où la vie de milliers de Palestiniens commence à changer. Mais c'est une avancée qui est aussi un symbole lourd de sens : elle illustre qu'au moment où elle se débat dans une négociation interne difficile l'Europe représente une forte espérance hors de ses frontières. Je forme des voeux pour qu'elle en redevienne une, et vite, pour ses propres citoyens.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, les sujets à traiter lors du Conseil européen sous présidence britannique illustrent assez bien, malheureusement, ce qui ne va pas aujourd'hui en Europe.
Je commencerai par le plus petit de ces sujets - ce qui ne veut pas dire qu'il soit sans importance - à savoir la TVA à taux réduit.
Tout d'abord, est-il normal que les taux de TVA sur la restauration ou sur les travaux dans l'habitat ancien relèvent d'une décision européenne ? À l'évidence, la réponse est non, trois fois non !
En effet, il n'y a pas d'incidence transfrontière, pas de distorsion de concurrence possible. Si l'on avait respecté le principe de subsidiarité, l'Europe aurait laissé chaque État membre statuer dans de tels domaines. Et, aujourd'hui, nous n'aurions pas besoin d'une décision à l'unanimité des vingt-cinq États membres pour régler un problème particulier qui n'a rien d'européen.
Ensuite, est-il normal que cette question doive être traitée par le Conseil européen ? La réponse est non, trois fois non !
Le traité sur l'Union européenne, dans son article 4, définit le rôle du Conseil européen de la manière suivante : « Le Conseil européen donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations politiques générales. »
Peut-on sérieusement dire que le taux réduit de la TVA entre dans ce cadre ? Non ! Seulement voilà, lorsque le Conseil des ministres ne parvient pas à statuer, il y a toujours la solution - de facilité - de faire remonter le niveau de décision d'un cran, en l'occurrence au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Et, finalement, l'ordre du jour du Conseil européen se trouve encombré de questions qui n'y ont pas leur place.
Cela m'amène à évoquer un autre point de l'ordre du jour, qui est l'attribution du statut de pays candidat à la Macédoine.
Mon propos n'est pas de mettre en cause la candidature de ce pays : je connais bien la région des Balkans et j'y suis très attaché. Certes, pour l'ensemble des pays des Balkans, la perspective européenne est une incitation décisive à la paix et à la stabilité. Mais tout laisse à penser que, une fois encore, une décision significative concernant l'élargissement va être prise presque en catimini, alors qu'elle va inévitablement créer un précédent. Or il me semble qu'une des leçons du 29 mai 2005, c'est que nos concitoyens acceptent mal l'absence d'une doctrine européenne claire sur la question de l'élargissement.
Jusqu'où peut aller l'élargissement ? Pas de réponse ! Quels approfondissements sont prévus pour compenser l'élargissement alors que le traité constitutionnel est dans les limbes ? Pas davantage de réponse !
Comment s'étonner que nos concitoyens soient inquiets, désorientés, quand l'incertitude et la confusion règnent sur un sujet aussi central ?
Au lieu de décider au coup par coup, sans vision d'ensemble, les chefs d'État et de gouvernement devraient avoir un débat de fond sur l'élargissement, ses limites et ses contreparties institutionnelles, afin de clarifier les choses une fois pour toutes.
J'en viens au sujet phare de la réunion, à savoir les perspectives financières.
Le grand danger que court l'Europe, depuis les résultats négatifs des référendums organisés en France et aux Pays-Bas, est que la tendance au « chacun pour soi » l'emporte de plus en plus.
La négociation sur les perspectives financières est un révélateur de cette tendance. Les progrès de l'Europe ont toujours passé par des compromis à la fois équilibrés et porteurs d'avenir ; et, lorsqu'il il était clair que ce point d'équilibre était trouvé, un consensus s'établissait. Or, cette fois-ci, il en a été autrement. La présidence luxembourgeoise avait pourtant défini, après beaucoup d'efforts, un bon compromis, un bon équilibre, mais ce compromis n'a malheureusement pas fait l'unanimité.
J'ajoute que, d'ordinaire, la présidence fait tout pour parvenir à un accord. Afin de réussir dans son rôle d'« honnête courtier », elle est normalement disposée à faire même un peu plus d'efforts que les autres. Nous n'avons rien pu observer de tel, jusqu'à présent, avec la présidence britannique.
Dans ce contexte inquiétant, une crise n'aurait aucune chance d'être salutaire, contrairement à ce que l'on prétend parfois : l'absence d'accord sur des perspectives financières présenterait au contraire de graves inconvénients.
Bien sûr, l'Europe peut vivre sans elles, mais les perspectives financières donnent de la visibilité, permettent d'inscrire les politiques européennes dans la durée. En même temps, elles encadrent le débat budgétaire annuel.
Sans perspectives financières, nous assisterons chaque année à une guérilla entre le Parlement européen et le Conseil, avec une incertitude permanente. Et il sera très difficile aux nouveaux États membres de programmer les travaux, cofinancés par l'Union, qui doivent permettre leur convergence économique et sociale avec les anciens États membres.
Un accord est donc souhaitable dès que possible. Je ne veux pas surtout pas dire, naturellement, que n'importe quel accord serait préférable à une absence d'accord ! Je veux simplement dire que, si chacun brandit sans relâche ses « lignes rouges », nous n'avancerons pas.
Pour ce qui nous concerne, nous devons éviter le piège que constituerait le refus, le moment venu, d'un débat de fond sur la PAC. Certes, l'accord de Bruxelles protège les crédits de la PAC jusqu'en 2013, et ce point doit rester intangible. Mais un grand débat sur l'avenir de la PAC après 2013 ne doit pas nous faire peur : il est même nécessaire !
La France ne manque pas d'arguments pour montrer que l'Europe a besoin d'une politique agricole commune, que cette politique est globalement efficace et capable d'évoluer. Ne nous laissons donc pas enfermer dans un rôle de gardien du passé quand d'autres incarneraient la modernité, et ne nous prêtons pas à un énième duel franco-britannique, qui serait pour le Royaume-Uni le meilleur des prétextes pour refuser le réexamen de son rabais.
Je souhaite donc, pour ma part, que notre pays se présente au Conseil européen en artisan du compromis, comme il l'a fait toujours fait, y compris sous la présidence luxembourgeoise : le compromis que proposait M. Juncker était bon !
Plus les antagonismes se durciront, plus le Royaume-Uni sera en situation de maintenir un statu quo qui lui est favorable.
C'est en faisant souffler un peu d'esprit européen sur la réunion du Conseil européen que notre pays défendra le mieux ses intérêts et qu'il sera le plus utile.
Nos concitoyens attendent des signaux positifs pour recommencer à croire en l'Europe. Un accord sur les perspectives financières serait un premier signal, mais il en faudrait d'autres !
Je crois que notre pays devrait pour cela reprendre l'initiative. En effet, la crédibilité européenne de la France a été lourdement affectée par le « non » au référendum. Si nous voulons regagner un peu du terrain perdu, nous devons contribuer à une relance européenne.
Cette relance doit s'effectuer sur des sujets concrets, correspondant à des attentes fortes de nos concitoyens.
Je citerai deux exemples.
Tout d'abord, une impulsion européenne en faveur de la croissance est indispensable, mais elle suppose une forte coordination des politiques économiques. L'action de M. Jean-Claude Juncker pour donner consistance à l'Eurogroupe est importante et doit être saluée. Mais un pas reste à franchir pour que l'Eurogroupe devienne ce « gouvernement économique » qui serait requis pour une gestion dynamique de la zone euro.
Ensuite, l'Union doit montrer qu'elle peut répondre au besoin de sécurité des Européens en menant une lutte plus efficace contre les diverses formes de délinquance transfrontalière. Cela suppose d'aller beaucoup plus vite dans la construction d'un véritable espace judiciaire européen. Et n'attendons pas que tout le monde soit d'accord sur ce point !
Lors d'une récente réunion de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Robert Badinter a suggéré la mise en place d'une coopération renforcée dans ce domaine, ce qui est possible sur la base des traités actuels. Voilà un domaine, en effet, où tout laisse à penser qu'il faut envisager d'avancer sans le Royaume-Uni, comme ce fut le cas pour les accords de Schengen et pour l'euro.
En contribuant à une relance de la construction européenne sur des thèmes précis, notre pays présenterait un visage plus positif à l'Europe. Nous ne devons pas être le « pays du non », un pays craintif, frileux, uniquement préoccupé de se protéger. Au contraire, la France doit à nouveau apparaître comme un pays moteur et tourné vers les autres, car c'est de loin son meilleur visage
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, oui, la France se doit de contribuer à redorer le blason européen ; oui, elle se soit de donner une autre image des prises de décisions au sein du Conseil européen. Ainsi, notre pays retrouvera sa juste place dans le concert européen !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 30 mai 2005 au matin, au lendemain du référendum, nous nous posions avec inquiétude deux questions. Que resterait-il de l'influence de la France en Europe ? Comment relancerait-on la construction européenne, et avec qui, tant l'entente franco-allemande, sur laquelle tout avait été construit, paraissait menacée par les votes contradictoires des deux pays ?
À la première question, vous venez, monsieur le ministre, de nous apporter des réponses très encourageantes, notamment par la fermeté dont elles témoignent.
Tout indique que la résolution du Président de République, celle du Premier ministre, et la vôtre, ont fait réfléchir, sinon reculer, M. Tony Blair et que l'avenir de la politique agricole commune à moyen terme est assuré. C'est pourquoi je ne désespère pas, personnellement, de l'issue du Conseil européen.
Le coup de semonce adressé au négociateur de la Commission européenne à l'Organisation mondiale du commerce a tempéré sa frénésie de concessions. Il est vrai que la messe n'est pas dite et que la plus grande vigilance continue de s'imposer, à Hong-Kong et après.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous veillerez avec la même fermeté à ce que la nouvelle version de la directive Bolkestein nous arrive expurgée de ce qui la rendait inacceptable.
Enfin, au sommet de Hampton Court, des projets ont vu le jour qui, s'ils sont mis en oeuvre, montreront à l'opinion ce que l'Europe peut concrètement apporter aux États membres en valeur ajoutée.
Je salue donc, au nom de l'UMP, l'efficacité et la détermination du Gouvernement dans la conjoncture particulièrement difficile, il faut le dire, de l'après-référendum.
Reste la deuxième question, la question clé, qui concerne l'avenir de la construction européenne. Le Conseil européen du mois de juin dernier a invité les gouvernements à la réflexion. Six mois se sont écoulés. Où en sont nos réflexions ? Voici quelques modestes considérations que je me permets de verser au débat.
La France, monsieur le ministre, devra, le moment venu, prendre clairement position sur trois grands problèmes dont dépend l'avenir de l'Union : les institutions, la mondialisation et les frontières.
L'Union à 25, à 27 ou à 30 ne survivra pas avec les institutions du traité de Nice. Chacun en convient, en France et hors de France. La Convention européenne, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing a accompli dans ce domaine un travail remarquable qui, d'ailleurs, n'a jamais été sérieusement mis en cause dans la campagne référendaire. Par conséquent, moins on y touchera, mieux cela vaudra.
Encore faudra-t-il s'entendre avec nos partenaires sur la meilleure façon d'intégrer les principales dispositions constitutionnelles dans le corps des traités existants et décider, en ce qui nous concerne, si un nouveau référendum s'impose.
J'en viens à la mondialisation. L'assaut contre la Constitution a porté, nous en avons tous fait l'expérience, presque exclusivement sur la troisième partie du traité, qui ne changeait rien à l'existant et ne faisait que codifier « l'acquis communautaire », comme on dit en jargon bruxellois.
Si cet assaut a néanmoins reçu un écho dévastateur, c'est parce que l'Union a cessé d'être perçue comme un atout face à la mondialisation, parce que l'Union apparaît aujourd'hui comme son cheval de Troie. Il est essentiel que nous corrigions cette image et l'Union peut y parvenir en mettant en oeuvre deux politiques complémentaires.
L'une est offensive. Elle doit avoir pour objectif de rendre l'Europe compétitive, d'une part, en réalisant de courageuses réformes économiques et sociales et, d'autre part, en développant, avec d'importants moyens, la recherche, l'innovation, la création d'entreprises, et aussi, ne l'oublions pas, la mise à niveau de nos universités.
L'autre politique est protectrice, mais elle n'est pas protectionniste. Faire croire à un renouveau possible de la « préférence communautaire » susciterait de faux espoirs. Le récent et excellent rapport de la délégation du Sénat pour l'Union européenne l'a démontré on ne peut plus clairement.
Orientons-nous donc, comme nos amis américains, vers des mesures concrètes. Les États-Unis n'hésitent jamais à venir en aide à leurs secteurs industriels menacés à coups de tarifs anti-dumping ou d'avantages fiscaux. Soyons efficaces et pragmatiques.
En ce qui concerne les frontières de l'Union européenne, monsieur le ministre, la perspective de l'adhésion de la Turquie a déclenché, en France, mais aussi ailleurs en Europe, un puissant réflexe identitaire.
La majorité des Européens souhaitent, désormais, que l'Union soit bordée de frontières clairement établies, n'incluant que des pays unis par la géographie, l'histoire et la culture. Il est possible que cette aspiration contredise les intérêts stratégiques de l'Europe dans le Caucase et au Moyen-Orient. Mais le plus convaincant des plaidoyers géopolitiques n'y changera rien, tant cette aspiration à l'identité est profondément ancrée.
En l'ignorant, nous mettrions en danger non seulement l'adhésion de la Turquie - que, personnellement, je ne souhaite pas -, mais aussi les candidatures à l'entrée dans l'Union des pays héritiers de l'ex-Yougoslavie : la Croatie, la Macédoine et, plus tard, la Bosnie, le Kosovo, l'Albanie et la Serbie. Vous venez de souligner, et d'autres après vous, à quel point ces candidatures étaient essentielles à la stabilisation et à la démocratisation des Balkans.
Or chacune de ces éventuelles adhésions devra, après celles de la Roumanie et de la Bulgarie, et du fait de la réforme constitutionnelle du 28 février 2005, faire l'objet d'un référendum.
Voici ce que je redoute. Si les frontières de l'Union ne sont pas clairement fixées avant tout nouveau référendum, l'opinion, en France, aura le sentiment que la fuite en avant vers toujours plus d'élargissements a repris. Les adversaires auront beau jeu de dénoncer toute nouvelle adhésion comme étant un précédent à l'adhésion de la Turquie. Nous aurons beau, mes chers collègues, clamer le contraire, nous ne serons pas mieux entendus que nous ne l'avons été pendant la campagne référendaire.
Le fait est que l'élargissement de l'Union, après les adhésions de la Roumanie et la Bulgarie, ne dépendra plus, désormais, ni du Président de la République, ni du Gouvernement, ni du Parlement ; il relèvera du suffrage universel. Il est temps d'en mesurer les conséquences.
Sur ces trois points, institutions, mondialisation, frontières, les positions de la France et du nouveau gouvernement allemand sont heureusement très proches. La fracture que l'on pouvait redouter, au lendemain du référendum, ne s'est pas produite.
Quant au Royaume-Uni, il n'a pas saisi l'occasion unique que lui offrait le non de la France. Il a, me semble-t-il, laissé passer sa chance. J'ajoute que son attitude dans le débat budgétaire a pris à contre-pied ses meilleurs alliés d'Europe centrale et orientale. C'est donc à la France et à l'Allemagne qu'il appartiendra, une nouvelle fois, quand le moment sera venu, de reprendre le flambeau et de montrer à l'Europe le chemin à suivre, avec toute la modestie désormais requise.
La seule chose que ni l'Europe ni la France ne peuvent se permettre, c'est un nouveau référendum raté.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'année 2005 a marqué un profond tournant de la construction européenne, telle que la France l'a toujours voulue et défendue.
Après notre « non » à la Constitution, après notre « oui » à l'ouverture des négociations avec la Turquie, le Conseil européen demande en réalité quelle Europe nous voulons et, si nous n'y prenons pas garde, j'y vois le réel risque que l'Europe que nous avons toujours voulue, c'est-à-dire l'Europe des solidarités de fait, l'Europe de l'intégration, nous échappe définitivement.
Je retiendrai deux questions : les perspectives financières 2007-2013, d'une part ; l'octroi du statut de candidat à la Macédoine, d'autre part, qui sous-entend, dès maintenant, le lancement d'une nouvelle vague d'élargissement de l'Union, cette fois en direction de l'ensemble des Balkans.
Madame le ministre, nous ne devons accepter ni un accord sur les perspectives financières à n'importe quel prix ni le dernier « paquet » proposé par la présidence britannique.
Le Président de la République, en donnant son accord au « paquet Juncker » en juin dernier, a montré la bonne volonté de la France, qui est prête à payer sa part de l'élargissement et à donner à l'Union européenne un budget lui permettant de répondre aux défis de la période 2007-2013. Ainsi, nous avons accepté d'augmenter de 11 milliards d'euros notre contribution sur cette période.
En revanche, le dernier « paquet » proposé par le Premier ministre britannique, où n'apparaît pas une volonté européenne, est inacceptable pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il ne propose qu'un plafonnement forfaitaire, partiel et temporaire du « chèque britannique ».
Ainsi, le mécanisme proposé exonère toujours le Royaume-Uni de sa participation aux dépenses d'élargissement. Il ne suggère que de limiter son chèque à un montant fixé arbitrairement, et seulement pour la période 2007-2013. De ce fait, il ne répond en aucune façon au principe de la participation égale de tous à l'élargissement.
Il est choquant que soient dispensés de cet effort certains États membres parmi les plus riches.
Plus grave encore, ce chèque n'est pas remis en cause dans son principe même, alors qu'il a perdu sa raison d'être plus de vingt ans après le Conseil européen de Fontainebleau.
Par ailleurs, ce « paquet » signe l'arrêt de mort des politiques communes.
Tout d'abord, il accroît la dégressivité des aides directes agricole, notamment sous les plafonds sanctuarisés en 2002 au Conseil européen de Bruxelles. Ensuite, il taille dans les dépenses de développement rural, deuxième pilier de la PAC, dont nous savons qu'elles préparent l'avenir, puisqu'il s'agit du caractère multifonctionnel de l'agriculture. Enfin, il propose d'accroître la modulation des dépenses de la PAC-marché. Cela marquerait l'amorce d'une nouvelle réforme en profondeur de la PAC pour la période à venir, contrairement à ces accords de 2002. Nos agriculteurs ont déjà dû consentir des efforts très importants pour se mettre en ordre de bataille à l'OMC, comme en témoigne encore la récente réforme de l'Organisation commune du marché du sucre.
Ce « paquet » signe également la mort de la politique régionale et de la cohésion territoriale telle que nous l'avons toujours défendue.
En effet, le « paquet » Blair vise à donner 14 milliards d'euros en moins aux nouveaux États membres au titre de la politique de cohésion. Pour faire passer cette pilule amère, il bouleverse toutes les règles d'éligibilité qui assuraient la discipline et l'unité de cette politique. Pour les nouveaux membres, il supprime ainsi la règle n+2 pour les engagements et abaisse de 25 % à 15 % le seuil de cofinancement national, et ce pour les seuls États membres.
Par conséquent, M. Blair propose une politique de cohésion à deux vitesses : moins d'argent que prévu, mais un blanc-seing total sur les dépenses éligibles pour les nouveaux ; des règles strictes d'utilisation pour les anciens. Cela signifie le maintien des contraintes de programmation figurant dans le document unique de programmation, le DOCUP, et, à terme, la disparition d'une politique de cohésion pour tous, notamment la disparition programmée des programmes qui nous intéressent spécifiquement, tels que INTERREG et URBAN.
Enfin, avec un budget fixé à 1, 03 % du revenu national brut de l'Union, M. Blair propose pour l'Union européenne à vingt-cinq un budget en régression. S'il en était ainsi, l'Union ne pourrait plus relever les défis les plus importants qui s'annoncent, comme la mondialisation et la stratégie de Lisbonne. Un budget moindre entraînera pour nous une augmentation de notre contribution au budget communautaire identique à celle qui résulte du « paquet Juncker ».
Personne ne parle de cet autre enjeu du Conseil européen qu'est le possible octroi du statut de candidat à la Macédoine. Pouvons-nous accepter que, demain, en catimini, comme le rappelait le président Haenel, le Conseil européen prenne la décision de lancer une nouvelle phase d'élargissement, alors que, nous le mesurons tous, nous sommes encore loin d'avoir absorbé le précédent ? Les Balkans sont en Europe, c'est une évidence. D'ici à vingt ans, ils auront sans doute tous rejoint l'Union européenne.
Avant de se poser la question de l'octroi du statut de candidat, le premier constat est que la stabilité politique n'existe pas dans la région ; c'est un leurre de croire que le statut de candidat suffira à l'instaurer.
Est-il urgent de relancer la fuite en avant de l'élargissement, alors que les incertitudes sur le fonctionnement institutionnel de l'Union sont, et pour longtemps, loin d'être apaisées ?
Madame le ministre, ne laissez pas l'équivoque s'installer. Peut-on lancer le signal d'un nouvel élargissement, alors qu'un État membre, non fondateur, serait exonéré de participer à son financement ?
Comment n'avons-nous pas tiré les leçons du Conseil européen d'Helsinki de décembre 1999 ? À l'époque, donner le statut de candidat à la Turquie était perçu avant tout comme un symbole politique qui « conforterait l'ancrage européen de la Turquie ». On voit où cela nous a menés : à l'échec du référendum constitutionnel et donc au recul de la construction européenne.
Il faut que le Conseil européen cesse de s'autoriser à octroyer des statuts à valeur symbolique sans en mesurer les conséquences politiques, budgétaires et institutionnelles. Je note que l'Union s'est ainsi fait une spécialité de l'octroi de ces statuts : statut de l'économie de marché à l'Ukraine, statut de pays candidat à la Macédoine, dont je relève par ailleurs qu'elle n'a pas, elle, le statut d'économie de marché.
Madame le ministre, l'Union a accueilli dix nouveaux États membres en 2004 ; la Bulgarie et la Roumanie nous rejoindront en 2007, tandis que les négociations d'adhésion viennent d'être ouvertes avec la Turquie et la Croatie. Je le répète, les Balkans sont en Europe et rejoindront vraisemblablement l'Union européenne. Au-delà de la seule Macédoine, le moment est-il vraiment le meilleur pour lancer une nouvelle étape de l'élargissement de l'Union, cette fois aux Balkans ? Pensez-vous vraiment que notre opinion publique comprendra une telle décision ?
Nous savons tous ce que voulait Robert Schuman lorsqu'en 1950, dans le salon de l'Horloge du Quai d'Orsay, il a lancé l'idée intégratrice des solidarités de fait. Cette impulsion s'est traduite d'abord par la réconciliation franco-allemande et le développement de politiques communes, que ce soit la PAC ou la politique régionale, le Marché unique, l'euro, l'espace Schengen.
Nous le savons tous, si nous acceptons le « paquet » budgétaire de Tony Blair, en particulier un paquet confirmant que le Royaume-Uni est exonéré des dépenses d'élargissement, et si, en même temps, nous lançons le signal d'un nouvel élargissement, nous saurons que 2005 aura marqué un tournant radical de la construction européenne. Avec ce « paquet » Blair, ce sera la victoire de la vision d'une Union européenne comme vaste zone de libre-échange et la mort de la vision intégratrice de l'approfondissement et des solidarités de fait.
Depuis plusieurs années, à chaque Conseil européen, on nous explique qu'il valait mieux céder sur un mauvais compromis que d'hériter du mistigri de la responsabilité d'un échec. N'est-ce pas ce que l'on nous a dit au lendemain du Conseil européen de Nice ?
Demain, Tony Blair cherchera à faire céder les nouveaux États membres en leur expliquant que, certes, ils auront moins d'argent, mais qu'ils pourront le dépenser comme ils veulent. Il cherchera à nous faire avaler un plafonnement très limité de son chèque à 8 milliards d'euros sur la période, en nous appâtant avec la TVA à 5, 5% dans la restauration, moyennant le maintien de son opt-out pour la durée hebdomadaire du temps de travail.
Madame le ministre, depuis la catastrophe du 29 mai, c'est une France affaiblie qui a récupéré ce mistigri. Nous n'avons pas à nous excuser de ce vote en nous sentant obligés d'accepter ce « paquet » désastreux, au motif que nous ne voudrions pas être, une nouvelle fois, ceux qui ont dit non. Nous ne sommes pas seuls ; nous avons des partenaires et des alliés dans cette Union européenne, et le Royaume Uni va devoir ajuster sa proposition au cours du Conseil européen.
Tony Blair a voulu lier le chèque britannique et la PAC. Or la PAC en est à sa troisième réforme depuis quinze ans et elle n'aura pas d'autre choix que de continuer à se réformer après 2013. Par ailleurs, aucun ajustement n'a été apporté au chèque britannique depuis sa création en 1984. Dans ces conditions, il vaudra toujours mieux dire non, même seuls, plutôt que d'accepter quelque « paquet » que ce soit permettant au Royaume Uni de ne pas payer sa part de l'élargissement.
Dans ce débat, nous devons prendre position non seulement en tant que ministre et parlementaires français, mais aussi en tant qu'Européens convaincus !
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu'est-ce qui a changé depuis le non au référendum du 29 mai dernier ? À vrai dire, peu de choses ! La France n'a pas retiré sa signature du projet du traité. Elle aurait pu, mais elle ne l'a pas fait. Elle n'a pas non plus proposé de grands projets alternatifs. Tout juste a-t-on entendu parler d'« Europe de projets », d'« Europe avec préférence européenne », mais ces termes, qui sont restés extrêmement vagues, reflètent plus une habileté sémantique qu'un contenu véritable, c'est-à-dire des mesures précises. On a vraiment le sentiment, aujourd'hui, que la machine continue à fonctionner sur sa lancée, par sa propre inertie.
Je citerai trois exemples.
Le premier est l'ouverture de la négociation avec la Turquie, qui refuse toujours obstinément de reconnaître l'un des États membres. On poursuit avec la Macédoine.
Le deuxième exemple est le service diplomatique européen que l'on est en train de créer, qui sera composé, à terme, de plusieurs milliers de fonctionnaires et qui était visé dans la troisième partie du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, exactement à l'article III-296, alinéa 3.
Enfin, le troisième exemple porte sur la Banque centrale européenne : tout le monde s'accorde à déplorer son attitude compte tenu de son obsession monomaniaque à lutter contre une inflation virtuelle, de sa conception purement monétariste de la réalité économique, mais aucun gouvernement n'est porteur d'un véritable projet de réforme de ses statuts !
Pourtant, une chose a changé : les Français considèrent désormais que l'échelon européen ne va pas de soi, qu'il ne s'agit pas d'une vérité d'évidence et que son utilité devra être prouvée tant pour le présent que pour l'avenir. Pour ce faire, deux occasions vont se présenter.
En effet, lors du prochain sommet, deux questions importantes, emblématiques, vont être étudiées. La première touche à l'emploi, avec la TVA ; la seconde concerne la mondialisation, avec la PAC.
S'agissant de l'emploi, tout d'abord, je suis parfaitement d'accord avec Hubert Haenel : le taux réduit de TVA est une question subsidiaire. La réduction de ce taux est une mesure positive qui a créé des milliers d'emplois, pratiquement 50 000, et apporté des recettes fiscales supplémentaires. On pourrait encore gagner des emplois non seulement dans le bâtiment, mais aussi dans la restauration, secteurs qui sont tous deux protégés de la concurrence internationale et donc de la mondialisation. L'enjeu économique est donc important.
Alors que cette mesure a été proposée comme un engagement pris par le Président de la République, la France en est réduite à quémander la permission d'abaisser le taux réduit de TVA ! C'est d'autant plus incompréhensible que certains partenaires européens font du dumpingfiscal. Mais, nous, nous n'aurions pas le droit de maintenir une taxe à taux réduit. Il s'agit pourtant d'un impôt à la consommation. Jean Arthuis le disait ici même, samedi dernier : il n'y a plus de différence entre les impôts sur la production et les impôts sur la consommation. Je ne connais pas une charge, un impôt sur la production, qui ne soit pas payé au final par le consommateur !
La seconde question, relative à la mondialisation, est importante. Quel rôle pour l'Europe face à la mondialisation ? Va-t-on laisser M. Mendelson, qui a une conception toute personnelle du périmètre de son mandat, démembrer, dépecer, pièce après pièce, la préférence européenne ? Aujourd'hui, avant de parler de préférence européenne, protégeons la véritable préférence européenne, celle qui existe et qui est dans la PAC. Sommes-nous capables de faire prévaloir ce que j'appellerai une exception « agriculturelle » ? Sommes-nous capables de le faire au nom, non pas d'un principe capricieux, mais de la sécurité alimentaire, quantitative, qualitative, au nom des pays les plus pauvres aussi, car les pays qui nous disent que nous nous protégeons trop sont les grands pays agro-exportateurs et non les pays les plus démunis !
J'ai le sentiment, à entendre Philippe Douste-Blazy, que nous avons finalement de la chance d'avoir les Britanniques. Ils ont bon dos ! La perfide Albionest un prétexte pour ne pas définir notre propre projet européen. Madame la ministre, il reste à la France à dire à ses partenaires quelle Europe elle souhaite. Les Français veulent désormais, effectivement, du concret et des résultats. Ils ne veulent plus qu'on leur impose des décisions qui ne seraient pas les leurs et qui ne seraient pas conformes à l'intérêt national.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd'hui, s'il marque un progrès, autorise seulement notre Parlement à donner son avis en vue du Conseil européen, sans aucun pouvoir de contrainte. Cela n'est pas satisfaisant.
On le sait, la notion de déficit démocratique, qui caractérise la construction européenne, renvoie notamment à l'absence de contrôle exercé par le Parlement français sur l'activité communautaire du Gouvernement. Les prérogatives reconnues aux parlements nationaux sont absolument insuffisantes, madame la ministre.
Rappelons que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 n'ont aucun caractère contraignant ; leur effet dépend donc de la volonté du Gouvernement. Le constat lucide du déficit démocratique, qui marque la construction européenne et qui a été dénoncé le 29 mai dernier, ne se résorbera certainement pas par la tenue de ce genre de débat.
À la veille du Conseil européen de Bruxelles, il est important de rappeler aux gouvernants que les électrices et les électeurs ont rejeté le traité constitutionnel lors du référendum. Il est temps, madame la ministre, d'en tirer toutes les conséquences.
Le verdict du 29 mai est devenu la décision de la France et doit être respecté.
À cet égard, la décision prise par le Conseil européen du mois de juin dernier d'ouvrir une période de réflexion est inadmissible. Laisser les États membres qui le souhaitent libres de poursuivre leur ratification est une véritable hypocrisie. Pour entrer en vigueur, le traité constitutionnel doit être ratifié par tous les États membres de l'Union européenne. Or tel n'est pas le cas puisque les référendums français et néerlandais ont été négatifs. Ce traité est donc rejeté.
En conséquence, pour que le suffrage universel soit respecté, madame la ministre, le groupe communiste républicain et citoyen demande que le Président de la République retire la signature de la France du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il lui demande par ailleurs de mettre notre Constitution en conformité avec le vote du 29 mai. Le maintien du deuxième alinéa de son article 88-1 est une insulte au suffrage universel.
Sans attendre que le Gouvernement agisse, nous allons déposer une proposition de loi constitutionnelle portant abrogation de cet article.
L'Union européenne doit décider une nouvelle négociation sur ses institutions et sur les politiques économiques et sociales. Cette nouvelle discussion doit s'ouvrir aux exigences des peuples, qui doivent être associés et consultés. Il faut réorienter la construction européenne dans le sens d'une Europe des peuples, démocratique, synonyme de progrès social, de coopération et de paix.
Cela nécessite, notamment, le retrait pur et simple de la directive Bolkestein et de toutes les directives de mise en oeuvre des politiques libérales. Rappelons tout de même que le projet de directive n'a jamais été retiré.
Le Gouvernement, qui, avant le référendum du 29 mai, déclarait que la directive était « inacceptable » et qu'elle devait « faire l'objet d'une remise à plat », laisse aujourd'hui la procédure législative se poursuivre, alors même que le texte n'a pas abouti à un consensus sur les points clés du projet.
Le dossier est actuellement en attente de la décision en première lecture du Parlement européen. Contrairement à ce que l'on avait voulu nous faire croire, le Conseil européen des 22 et 23 mars dernier n'a donc pas enterré la directive Bolkestein. Or celle-ci consacre le choix de la dévotion aux règles du marché et du nivellement de la protection sociale par le bas à travers le principe du pays d'origine.
Ce principe constitue clairement un renoncement à la logique d'harmonisation qui était théoriquement la doctrine officielle de l'Union européenne. Plus précisément, ce principe instaure une harmonisation « par le bas », un véritable dumping social, en rendant encore plus illusoires les possibilités de contrôle des normes sociales.
Il s'agit là de l'application à la lettre du principe de la concurrence « libre et non faussée », objectif stratégique de la Constitution européenne, rejetée par les Françaises et les Français.
Une manifestation aura lieu à Strasbourg contre la directive Bolkestein, à la veille du débat en séance plénière au Parlement européen. Nous y participerons avec tous les parlementaires qui le voudront. Il faut désormais respecter la parole du peuple souverain et il faut rediriger la construction européenne dans le sens d'une véritable Europe des peuples.
Les négociations calamiteuses sur les perspectives financières pour 2007-2013 reflètent bien la crise existentielle que traverse l'Europe. Et pourtant, ces négociations offrent une occasion historique de répondre à cette attente, madame la ministre. En effet, il s'agit non pas d'une décision technique, mais bien d'un véritable programme politique qui va structurer l'action de l'Union européenne durant les sept prochaines années. Il s'agit de donner à l'Union européenne les moyens de s'engager dans un nouveau projet européen.
Pour qu'elle s'affirme sur la scène mondiale, il faudrait accorder à l'Union européenne des moyens budgétaires nettement accrus et orientés vers des secteurs que, selon notre conception du projet européen, nous considérons comme primordiaux : l'éducation, la culture, la recherche ou les aides extérieures.
S'agissant précisément des aides extérieures, nous déplorons que la politique de coopération et d'aide au développement de l'Europe se soit concentrée, ces dernières années, sur des mesures répressives en débloquant de plus en plus de fonds pour le contrôle des frontières. L'Union européenne ne doit pas se construire une forteresse et mettre en place des politiques fondées sur des systèmes de contrôle policiers sophistiqués, sur le recul de la politique d'asile, sur les centres de rétention.
Face aux graves événements qui se sont produits aux frontières de Ceuta et de Melilla, l'Europe a sa part de responsabilité en externalisant sa politique d'immigration vers des pays tiers. Elle doit apporter d'autres réponses, par exemple en déployant tous les efforts nécessaires pour relancer le partenariat euroméditerranéen. Car dix ans après la déclaration de Barcelone, il reste une coquille vide.
Malgré les nombreux discours sur les objectifs et la portée du partenariat, ce dernier reste indéfini, principalement parce que ses ambitions immenses n'ont pas été réalisées. Il importe donc aujourd'hui que l'Union se donne enfin, au-delà des déclarations d'intention, un projet politique et les moyens de le réaliser, un projet au service de la paix, de la justice et de la solidarité avec le Sud.
Pour 2007-2013, le budget de l'Europe devrait permettre de répondre à des défis considérables tels que la solidarité dans le contexte de l'Union à vingt-cinq, puis à vingt-sept, l'affirmation d'une Europe plus forte, l'affirmation d'une Europe agissant pour un monde plus solidaire et plus sûr, ou encore le progrès de la citoyenneté et de la participation des peuples et la résorption du déficit démocratique de l'Union.
Malheureusement, les gouvernants des États membres ne sont pas à la hauteur de l'attente des peuples nationaux. Les intérêts divergents des gouvernements prennent le dessus et occupent tout l'espace des négociations, conduisant l'Europe à l'impasse.
Le Royaume-Uni, selon les derniers chiffres connus, propose 849, 3 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une diminution de près de 22 milliards d'euros par rapport à l'enveloppe budgétaire proposée au mois de juin par la présidence luxembourgeoise.
Afin de préserver le rabais obtenu par Margaret Thatcher en 1984, le projet préparé par Londres coupe dans les dépenses communautaires, en particulier dans les fonds structurels - aides régionales - au profit des dix pays qui ont intégré l'Union européenne en 2004.
Il s'agirait, en fait, de couper drastiquement dans les crédits alloués au développement des régions pauvres de l'Union et de diminuer ainsi la contribution des pays riches tels que l'Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas.
Il semble, d'après les dernières informations, que le gouvernement britannique, dans son projet révisé, soit revenu sur la réduction de près de 10 % qu'il envisageait. Les coupes passeraient de 14 à 12, 5 milliards d'euros.
Nous refusons, madame la ministre, que l'accord sur les perspectives financières se fasse sur le dos des nouveaux États membres et des régions les plus pauvres des Quinze. Nous savons qu'une réduction de 55 % des zones éligibles est d'ores et déjà annoncée. Les nouveaux États membres redoutent que la baisse du financement de la politique de cohésion n'ait de graves conséquences. Ils ont d'énormes besoins pour se développer, avec des investissements à réaliser dans les infrastructures, les innovations techniques, l'éducation, etc.
Les nouveaux États membres ont donc rejeté la proposition britannique. En fait, quinze à vingt délégations sont franchement hostiles à la proposition britannique. Seules Malte, la Slovaquie et la Slovénie ont soutenu cette proposition.
Tous les regards sont donc tournés vers la présidence britannique. Les négociations sont fondées sur la base des seules propositions de la présidence de l'Union, ce qui les rend très difficiles.
Le Royaume-Uni reste intransigeant sur son rabais. Il ne propose qu'un geste unilatéral de 8 milliards d'euros sur son chèque, soit un peu plus de 1 milliard d'euros par an, la France réclamant, me semble-t-il, 14 milliards d'euros. Ainsi, le Royaume-Uni ne participerait qu'à la moitié du financement de l'élargissement.
La France refuse avec raison les propositions avancées par Londres sur la réduction de son chèque. Elles sont en effet très insuffisantes. Il est vrai que plus rien ne justifie le maintien de ce rabais, car le Royaume-Uni est aujourd'hui l'un des pays les plus prospères d'Europe.
Certes, notre pays est le plus gros contributeur au rabais britannique. Cependant, nous devons garder à l'esprit, madame la ministre, que la France reçoit aussi beaucoup du budget européen, essentiellement au titre de la politique agricole commune, dont elle est la principale bénéficiaire.
De manière générale, nous désapprouvons les calculs comptables de retours nationaux des dépenses communautaires, lesquels empoisonnent les discussions et s'opposent à l'esprit de solidarité qui devrait animer la construction européenne. La contribution des États membres devrait être présentée comme une ambition et non simplement comme un coût.
Concernant la volonté de votre gouvernement, madame la ministre, de ne pas remettre en question les accords conclus pour la PAC - M. Douste-Blazy a parlé de fidélité aux engagements pris jusqu'en 2013 -, nous tenons à réaffirmer notre inquiétude à l'égard d'une politique qui crée des discriminations envers les petites et moyennes exploitations nationales et qui affecte l'agriculture des pays du tiers-monde en maintenant les aides à l'exportation.
À l'heure où se tient la conférence ministérielle de Hong Kong, je tiens à souligner les conséquences négatives de la libéralisation agricole pour les pays en développement et les exploitations les plus vulnérables.
Alors que cette conférence tente de relancer les négociations du vaste programme de Doha, je rappelle que si ce programme de négociations évoque à de multiples reprises l'importance de la promotion du développement, il répond en fait surtout aux attentes des pays riches et contribue à donner davantage de pouvoirs à l'OMC, tout en restreignant le droit pour chaque pays de promouvoir son propre modèle de développement.
Pour conclure, en dépit du contexte exceptionnel que nous vivons, on ne perçoit aucune volonté de mettre en oeuvre une véritable politique de relance. La bataille sur les perspectives financières reflète simplement l'absence d'un esprit de solidarité en Europe. La question fondamentale d'une augmentation du budget européen est éludée. Pourtant, seul un budget digne de ce nom serait à même de permettre à l'Union de financer des politiques communes ambitieuses et solidaires et de répondre aux attentes des peuples.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Madame la ministre, nous voici à la veille d'un nouveau Conseil européen, et il est bon que le Parlement soit appelé à vous faire connaître ses attentes. D'autant que ce Conseil a été présenté par le Premier ministre comme historique. Il le sera si la France et ses partenaires en ont la volonté. Vous me connaissez : j'aimerais évidemment que ce soit le cas. Mais j'ai quelques doutes. Je ne suis pas certain que les conditions soient vraiment réunies pour que se manifeste une volonté politique réelle et partagée, susceptible d'inscrire ce Conseil dans l'histoire.
Que s'est-il passé depuis le 29 mai dernier ? Aux yeux de l'opinion publique, assez peu de choses ! En tout cas pas de quoi rassurer ceux qui croient que l'Europe de Robert Schuman et de Jean Monnet doit poursuivre sa construction avec l'inspiration et le souffle renouvelé qu'exige un monde difficile.
Bien sûr, il n'y a pas de plan B ! Mais nous savions qu'un tel plan ne pouvait exister que comme argument de campagne, argument bien triste, au demeurant.
La candidature de la Turquie a été officiellement lancée et le travail sur des directives est toujours assez peu lisible pour le grand public.
L'Europe essaie de survivre, sans avoir de grand message à délivrer, ni aux Européens ni au monde. Elle survit, car nul ne pourra tuer, me semble-t-il, ce merveilleux projet de paix et de liberté que la France et l'Allemagne ont offert à notre vieux continent tourmenté, torturé, exsangue de l'après-guerre.
Donc, elle gère ! Si je parle de l'Europe en disant « elle », c'est bien parce que je ne peux plus dire « nous », la France et ses partenaires, « nous » les Européens. L'Europe, c'est de nouveau a minima « Bruxelles », cette entité un peu abstraite, bureaucratique, budgétivore, bouc émissaire pratique pour tous les membres de l'Union qui ne veulent assumer ni leurs contradictions ni leurs incapacités
L'Union avance quand elle est vivante chez tous ses membres, quand elle est portée par tous, quand elle est enracinée dans la confiance des Européens, et au premier chef des Français.
Réapprenons donc à parler de l'Europe en disant « nous ». Ce jour-là, nous aurons gagné !
Le 29 mai, pour de multiples raisons, la France a stoppé un élan. Ceux de ses partenaires qui avaient déjà dit oui se sont trouvés eux-mêmes arrêtés net à cause de nous, contre leur gré. Ne nous étonnons pas qu'ils nous en veuillent et que notre autorité en Europe soit atteinte. Il fallait que nous nous fassions un peu oublier. C'est fait ! Aujourd'hui, nous devons nous remettre comme les autres, et parmi eux, sans arrogance, au service de l'Europe.
Or, madame la ministre, les Français n'entendent toujours pas vraiment la France parler de l'Europe. Ils ne l'entendent plus suffisamment parler à l'Europe. Ils ne l'entendent pas non plus parler au monde avec l'Europe.
Avant le 29 mai, les Français ont débattu avec passion de l'Europe, du pourquoi, du comment, du quoi, du jusqu'où. Et puis, du jour au lendemain, on a parlé d'autre chose. Le livre était refermé sur les passions soulevées, sur l'attente exprimée. Silence ! D'autres préoccupations nous appelaient sans doute.
N'avions-nous pourtant pas dit aux Français que, sur nombre de sujets aussi lourds que l'emploi et les délocalisations, la sécurité intérieure et extérieure, la compétitivité ou la recherche, les vraies solutions durables passaient par l'Europe ?
Madame la ministre, avec mes collègues de l'UDF, nous voulons continuer à y croire. La France a mis l'Europe en panne. Il lui faut aujourd'hui, avec autant d'humilité que de courage et de détermination, renouer avec l'histoire, avec sa propre histoire, dont la construction européenne est partie intégrante et sans doute l'une des plus belles pages.
Faute de pouvoir aller suffisamment vite vers l'Europe politique que le monde attend, essayez au moins, à Londres, de remobiliser les responsables politiques des États de l'Union. Il faut qu'ils affirment haut et clair qu'ils croient plus que jamais en cette communauté de destin qu'est l'Union. Alors, le sommet aura été historique.
Madame la ministre, nous préférons qu'il n'apporte rien de directement concret s'il peut jeter les bases d'un nouveau départ solide en 2006. À quoi bon s'obliger à boucler à n'importe quel prix, pour reprendre l'expression de M. le ministre, un dossier aussi lourd que celui des perspectives financières ? Un communiqué présentable n'est pas une fin en soi. Nous sommes au temps où la volonté politique doit à nouveau parler sur le fond des choses. Il faut « fixer le cap » et mettre à la voile, avant de chercher de manière plus ou moins hasardeuse à « doubler un cap » inconnu.
Ce que le Royaume-Uni n'aura pas fait, ceux que l'on appelle les « petits » et les « nouveaux » pays, qui nous apportent une flamme européenne intacte, le feront, et ce sera une bonne chose. Acceptons qu'ils nous apportent leur part d'Europe, qu'ils portent leur part de la responsabilité commune.
Nos partenaires ont chacun leur idée de l'Europe. Vivons ce pluralisme comme une richesse. Après la visite que vous venez de faire en Autriche, madame le ministre, visite à laquelle vous avez eu l'amabilité de m'associer, le président du groupe d'amitié France-Autriche que je suis est assez confiant. L'Autriche va très certainement nous proposer une grande présidence. Sachons rester à ses côtés. Ce qui n'aura pas été fait à Londres le sera à Vienne, capitale incontestée de la diplomatie.
Je ne m'attarderai pas sur le détail de l'ordre du jour du Conseil.
Gardons-nous de considérer la question de la Macédoine comme marginale. Elle est au contraire symbolique en un temps où il faut redessiner le « projet ». L'Europe est la solution pour les Balkans. Mais pour prendre en compte l'intérêt de l'Union comme de chacun des pays des Balkans, il faudra évidemment savoir donner du temps au temps et traiter à fond tous les problèmes. Simplement, la Macédoine nous attend : plus l'échéance sera éloignée, plus le message initial que nous enverrons devra être fort et porteur de signification et d'espoir. C'est ce que la Macédoine attend aujourd'hui, comme l'ensemble des pays des Balkans.
Je cite, pour mémoire, les problèmes de taux réduits de TVA. Au cours des derniers jours et des dernières nuits, nous avons tout dit à leur sujet.
Je m'arrêterai plutôt sur le dossier des « perspectives financières », sans toutefois le reprendre dans le détail. Mon rapport sur l'article du projet de loi de finances qui fixe notre contribution pour 2006 détaille suffisamment largement, me semble-t-il, nos analyses. Et je crois, madame le ministre, que vous les faites vôtres.
Vous savez donc tout le mal que je pense du système budgétaire européen. Arrêter de nouvelles perspectives sur d'aussi mauvaises bases nous fera repartir pour six ans en boitant. J'aimerais que la difficulté à conclure soit saisie pour que l'on reprenne vraiment la question sur le fond. Elle est d'importance ; elle est vraiment politique.
Il faudra un jour sortir d'un système dans lequel le budget européen voit ses recettes votées par les Parlements nationaux et ses dépenses décidées par le Parlement européen. La démocratie comme les citoyens ne peuvent s'y retrouver.
Cette manière de faire sert simplement les thèses des fanatiques de la désunion, de la confrontation des intérêts nationaux particuliers, des « retours-nets », des chèques britanniques. Rien de communautaire dans tout cela ! J'indiquerai simplement que le coût, pour la France, du chèque britannique est identique à celui du passage au taux réduit de la TVA sur la restauration, à savoir 1, 5 milliard d'euros.
Il faut aujourd'hui rendre sa place à l'intérêt commun, véritable moteur de l'Union. Si le sommet ne réaffirme que cela, il restera dans l'histoire. Le temps n'est plus au marchandage et aux mauvais accords. Reprenons de la hauteur !
La mise en évidence de l'intérêt commun est le principe de l'Union ; il sous-tend le projet européen. Pourquoi ne pas proposer que l'on parle de « perspectives politiques » de l'Europe, là où l'insuffisante implication, voire parfois la démission des politiques, amène à marchander des « perspectives financières » qui n'ont de perspectives que le nom.
On doit aussi reprendre une véritable réflexion politique sur une PAC - choix de société au service de tous les consommateurs européens et non des seuls agriculteurs français - fondée sur le principe de la préférence communautaire. J'en ai souvent parlé, je n'y insiste donc pas. C'est possible, et il faudra le faire, comme le disait M. Haenel tout à l'heure.
Enfin, c'est toujours pour des raisons politiques que je proposais, le 30 novembre dernier, de mettre au coeur de notre projet une nouvelle stratégie de Lisbonne, plus lisible, plus porteuse d'avenir, qui réponde à la préoccupation centrale des Européens : l'emploi.
Cette proposition pourrait être structurée autour de deux axes : une politique scientifique et européenne pour rester compétitif par rapport à nos concurrents développés ; une politique d'aide au développement pour réduire les déséquilibres économiques et sociaux du monde, et pour nous permettre d'apporter notre contribution au développement des pays moins développés.
L'Europe attend toujours la France. Il nous faut réparer la brisure du 29 mai en remettant le sens de l'intérêt commun au service du projet de paix que nous avons offert au monde il y a cinquante ans, de ce projet de paix que nous devons continuer à construire, quoi qu'il arrive. N'oublions jamais que c'est ce que nous pourrons léguer de meilleur à nos enfants.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sommets européens qui se tiennent à Bruxelles à l'issue de chaque période de présidence vont-ils devenir la manifestation régulière de la crise de l'Union européenne, l'illustration périodique de son impuissance ?
Après une présidence luxembourgeoise dont tous les observateurs avaient souligné la qualité, le sommet de juin dernier s'est achevé par un double échec institutionnel et budgétaire.
À la veille d'un nouveau sommet, toutes les conditions semblent réunies pour que l'Union européenne s'enfonce davantage dans la crise.
Sauf bouleversement de dernière minute, il semble que l'on peut tenir pour acquis l'échec total de la présidence britannique, qui n'a fait progresser l'Union européenne sur aucun des dossiers en suspens. Loin de rechercher un intérêt général européen, cette présidence s'est engagée, à chacune de ses interventions, dans la défense prioritaire de ses intérêts nationaux.
Qu'il s'agisse de la dernière proposition britannique d'un budget européen à 1, 03 % du revenu national brut, ou de la défense d'un régime dérogatoire permanent en matière de durée hebdomadaire du temps de travail, le Royaume-Uni a davantage cherché, me semble-t-il, à imposer son point de vue qu'à trouver les compromis nécessaires dans l'intérêt de l'Union.
L'approfondissement de la crise européenne est patent. Mais cette situation ne correspond-elle pas à un aboutissement souhaité par certains États membres, qui privilégient la réduction de l'ambition européenne, et se contenteraient de l'existence d'une simple zone de libre-échange avec un niveau minimal des normes sociales et environnementales ?
On constate donc, et nous le regrettons, l'incapacité de l'Union européenne à formuler une ambition commune se traduisant par des réalisations concrètes. En revanche, chaque sommet européen apporte son lot de déclarations générales et généreuses renvoyant à une stratégie de Lisbonne supposée construire une Europe du progrès social, de la compétitivité et de l'emploi. La réalité de l'Europe est tout autre et apporte un démenti permanent à ces discours lénifiants.
De fait, chaque État campe sur une position qui réclame à l'Union européenne l'optimisation de son intérêt national. Cet état d'esprit, qui n'est que l'ultime avatar de la théorie thatchérienne du juste retour, est un facteur de destruction de l'Union européenne. Comment, en effet, croire que de la somme d'intérêts nationaux particuliers, d'ailleurs contradictoires, se dégagera un intérêt général européen ?
Tant que cette démarche s'imposera, l'Europe sera en panne et s'avérera incapable de relever les défis auxquels elle est, en tout état de cause, confrontée.
Le premier défi est celui de l'élargissement.
L'heure n'est plus aujourd'hui à s'interroger sur le bien-fondé de l'élargissement à l'Est ; si cette question a pu apparaître à certains comme pertinente, elle est néanmoins aujourd'hui dépassée. Il faut donc réussir l'élargissement, et pour cela développer les efforts nécessaires pour réduire les écarts de développement. Ce que l'Union européenne a su faire hier vis-à-vis de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande et de la Grèce, il faut le reproduire avec les nouveaux arrivants.
C'est pour cette raison que les perspectives financières pour 2007-2013 doivent se situer à un niveau suffisamment ambitieux. Il est illusoire de croire qu'un budget européen fixé à 1, 03 % du RNB puisse permettre à la fois de relever le défi de solidarité avec les nouveaux États membres, de maintenir un niveau suffisant pour une politique de cohésion dans l'ancienne Europe des quinze, et de développer des politiques européennes dans des secteurs d'avenir.
La dernière proposition britannique est particulièrement affligeante et doit rencontrer de la part de la France un refus catégorique. La conséquence de ces propositions de perspectives financières rabougries serait le démantèlement de plusieurs politiques européennes et, au premier rang d'entre elles, de la politique des fonds structurels.
Conclues sur le dos des nouveaux États membres qui, devant l'urgence de leurs besoins, seraient obligés d'accepter une version minimale, ces perspectives financières britanniques détermineraient en réalité comme horizon européen la fixation du chèque britannique au niveau le plus élevé compte tenu des contraintes politiques. C'est inacceptable !
La France, premier contributeur au chèque britannique, ne doit pas, à Bruxelles, se laisser enfermer dans un tête-à-tête franco-britannique, où la politique agricole ne serait que la monnaie d'échange d'un rabais, justifié hier, mais qui s'apparente et s'apparentera de plus en plus à un pactole, à une rente, tandis que le Royaume-Uni est devenu l'un des pays les plus riches de l'Europe.
Il est donc nécessaire que la France - en a-t-elle la volonté ? - plaide pour un financement équitablement réparti du budget de l'Union. Dans le même temps, elle doit affirmer sa volonté que ce budget permette de financer au bon niveau de véritables politiques communes.
Si nous souhaitons qu'un accord soit trouvé, il ne doit pas l'être au prix d'un démantèlement des politiques communes, car un tel accord mettrait en réalité un terme à une véritable ambition européenne. Si tel était le cas, la prolongation de la discussion budgétaire s'imposerait comme une nécessité.
Au défi de l'élargissement s'ajoute le défi des institutions. Là encore, un constat s'impose : la quasi-incapacité du Conseil européen à prendre des décisions. Les procédures de décision, qui avaient atteint leurs limites avec l'Europe des Neuf, puis des Douze, puis des Quinze, se révèlent aujourd'hui totalement inadaptées à l'Europe des Vingt-cinq. Le droit de veto, corollaire de la règle d'unanimité, permet à chaque État de bloquer une avancée commune pour marchander l'obtention d'un avantage particulier. L'Europe y perd sa crédibilité et se condamne à l'immobilisme, voire à sa déconstruction.
Il faut accepter les résultats du référendum en France, mais il faut aussi remettre en chantier, le plus rapidement possible, un nouveau processus de décision adapté à l'Europe des Vingt-cinq. C'est essentiel pour ceux qui souhaitent la construction d'une véritable union.
Un Conseil inefficace et sans capacité de décision laisse le champ libre à la Commission européenne pour développer des orientations de plus en plus libérales. On peut craindre que cela n'aboutisse à une dérive autoritaire de la Commission européenne - et de son président -, dont le programme législatif pour 2006 exprime très clairement la volonté d'aller plus avant dans la déréglementation.
L'initiative prise par la Commission de simplifier la législation communautaire n'est pas automatiquement, à nos yeux, synonyme de progrès. Nous attendons pour les citoyens européens des garanties pour que cette initiative ne soit pas le masque d'une opération généralisée de déréglementation. Or jamais le marché, aveugle à long terme par définition, ne pourra être le moteur de politiques vitales pour la construction européenne.
Dans de nombreux domaines, tels que l'environnement, l'énergie, l'harmonisation fiscale et sociale, nous avons besoin d'une législation européenne qui redonne confiance aux citoyens européens et les protège.
Prompte à retirer certaines directives, la Commission européenne montre en revanche beaucoup de lenteur sur d'autres domaines, pourtant sensibles, comme la directive « Services ». La récente évolution du débat sur ce sujet au Parlement européen, qui a vu Mme Evelyne Gebhardt s'abstenir sur son propre rapport lors de la réunion de la Commission « marché intérieur » du Parlement européen, nous inquiète.
Nous attendons que, sur ce point précis, la France s'exprime avec netteté et fermeté, qu'en conséquence elle exige de nouveau le retrait de la directive « Services » et sa remise à plat intégrale au moment où la tentation de passer en force existe à la Commission européenne.
Il faut abandonner le principe du pays d'origine qui aboutira, comme l'a très bien signalé la Confédération européenne des syndicats, à « mettre en concurrence inégale les prestations de services, créant de nouvelles formes de discrimination inacceptable et mettant en péril les emplois au lieu d'en créer de nouveaux ».
La nouvelle rédaction de la directive « services » doit exclure de son champ d'application les services sociaux, l'eau et tous les services économiques d'intérêt général. Il faut donc que, préalablement à toute nouvelle directive sur les services, l'Union européenne ait adopté une loi-cadre sur les services publics.
Madame la ministre, la France doit clairement exprimer son refus de voir le logement social, les services à la personne, l'enseignement supérieur traités par l'Europe comme n'importe quels services marchands.
En conclusion, je veux réaffirmer, au nom du groupe socialiste, qu'une Europe forte et volontaire est plus que jamais nécessaire aujourd'hui pour résister au grand vent de la mondialisation libérale.
Les citoyens croiront de nouveau à l'Europe quand leurs propres États concevront ensemble un projet social au bénéfice des Européens.
Mes chers collègues, puisse le sommet de Bruxelles marquer un pas dans cette direction !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, et M. Denis Badré applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le Premier ministre l'a indiqué hier, dans son intervention devant l'Assemblée nationale, et ainsi que l'a rappelé le ministre des affaires étrangères voilà un instant, le Conseil européen de cette semaine est d'une importance capitale pour l'Europe. Vos différentes interventions montrent de façon plus qu'éloquente que vous partagez cette analyse.
Avant de répondre aux questions que vous avez posées, permettez-moi de vous dire, à mon tour, l'importance de notre débat d'aujourd'hui, qui s'inscrit dans le cadre de l'association étroite de la représentation nationale aux processus de décision européens que le Gouvernement a entendu promouvoir, conformément au souhait du Président de la République.
Philippe Douste-Blazy vous a rappelé les décisions prises. Moi-même, je m'en réjouis. Elles sont importantes pour notre débat démocratique. Je vous rejoins sur ce point, monsieur Bret.
Je remercie aussi de leur intérêt ceux d'entre vous avec lesquels nous avons effectué un premier déplacement à Bruxelles voilà quinze jours. Poursuivons !
La représentation nationale doit prendre toute sa part dans la construction européenne, et je veux vous redire avec force que le Gouvernement a besoin de votre soutien. Je remercie d'ailleurs les différents orateurs de la qualité de leur intervention.
Revenons sur les questions à l'ordre du jour du Conseil européen, objet du présent débat.
J'aborderai tout d'abord le point concernant les perspectives financières. Vous l'avez tous dit, il s'agit de l'enjeu majeur de ce Conseil européen.
L'Europe politique que nous appelons de nos voeux, l'Europe forte et solidaire, passe aujourd'hui d'abord par un budget, car un budget exprime nos choix.
Comme vous le savez, l'enjeu de ces négociations concernant la période 2007-2013 est bien le financement de l'Europe élargie.
Nous avons besoin d'un budget qui permette de respecter les accords déjà passés, par exemple sur le financement de la politique agricole commune jusqu'en 2013 - nous y tenons tous, le président Serge Vinçon et les autres intervenants l'ont souligné -, un budget qui permette aussi de lancer des politiques nouvelles ou des projets nouveaux - recherche, compétitivité -, de répondre aux préoccupations concrètes de nos concitoyens - sécurité, citoyenneté, justice -, d'assurer le rattrapage économique et social des nouveaux États membres.
Cela signifiera, concrètement, que la contribution de la France au budget augmentera. Nous le savons, et nous sommes prêts à l'assumer, si c'est pour un bon budget correspondant à notre vision de l'Europe. C'est pourquoi nous avions accepté le « paquet Junker ». Un bon budget, c'est un excellent investissement dans l'avenir, dans la stabilité et la prospérité du continent européen. Mais nous devons partager équitablement le coût de cet investissement.
Or les dernières propositions britanniques que nous avons reçues, voilà quelques heures, ne répondent pas à ces exigences, comme vous l'a dit Philippe Douste-Blazy.
Je vous confirme notre grande préoccupation. Les modifications apportées s'apparentent à un simple démarchage à l'intention de quelques-uns pour essayer d'emporter leur adhésion. D'ailleurs, je dis « démarchage », mais je pourrais dire « marchandage ». Ce n'est pas ainsi que l'on aboutira à un accord, et ce n'est pas non plus ainsi que l'on fera l'Europe.
En ce qui concerne le chèque britannique, qui est la clé de la négociation, la présidence ne fait aucun mouvement, tant sur le mécanisme lui-même que sur son montant. Ainsi, ses propositions sont identiques aux précédentes, qui ne constituaient pas une base de négociation, de l'avis général.
Je veux rappeler pourquoi le maintien du chèque en l'état n'est pas acceptable.
D'abord, plus rien ne le justifie aujourd'hui ! Le Royaume-Uni, qui était, en 1984, l'un des pays les plus pauvres de la Communauté - le huitième sur dix -, est aujourd'hui l'un des plus riches - le troisième sur vingt-cinq. La PAC représentait alors 70 % du budget européen ; elle n'en représentera plus que 33 % en 2013. Les arguments de 1984 ne tiennent donc plus.
Ensuite, si rien ne change et si le mécanisme du chèque n'est pas modifié, son montant ne cessera de croître. En effet, comme le chèque correspond à un pourcentage du budget, à chaque fois que ce dernier augmente, le chèque augmente aussi mécaniquement. Ainsi, avec les propositions britanniques, il atteindrait plus de 50 milliards d'euros sur la période 2007-2013, ce qui correspond quasiment au montant prévu pour le budget européen de la recherche dans les dernières propositions.
Si les règles actuelles du calcul du chèque étaient maintenues, le Royaume-Uni serait exonéré de sa juste part dans le financement de l'élargissement. C'est pourquoi la France n'a eu de cesse de rappeler qu'une réforme du mécanisme du chèque britannique était essentielle, de façon à ce qu'au moins le Royaume-Uni prenne sa juste part dans le financement de l'élargissement, ce qui est l'intérêt de tous, et pas seulement celui de notre pays.
Et cette réforme doit être durable : nous ne devons pas avoir à renégocier ce principe simple de solidarité financière à chaque nouvel élargissement.
Pour conclure sur les perspectives financières, disons les choses simplement et clairement : dans le futur budget de l'Union européenne, le Royaume-Uni doit prendre sa juste part des dépenses d'élargissement, comme tous les autres États membres. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas, et nous le regrettons : le calcul actuel du chèque britannique ne conduit pas le Royaume-Uni à participer équitablement au financement de l'élargissement.
Dans la proposition révisée, le calcul du chèque est inchangé. Dès lors, le Royaume-Uni ne paierait qu'un tiers des dépenses qui lui incombent pour financer l'intégration des nouveaux États membres, alors que tous ses partenaires en assumeraient 100 %. Est-ce normal ? Est-ce justifiable ?
Et ce n'est pas un abattement forfaitaire et temporaire, comme celui qui nous est proposé, qui règle ce problème de principe.
Il est donc indispensable de revoir le mécanisme de calcul du chèque pour que chaque État membre prenne sa juste part des dépenses d'élargissement. Pour cela, comme l'a suggéré la présidence luxembourgeoise en juin dernier, et comme nous l'avons également proposé la semaine dernière, il suffit d'enlever les dépenses d'élargissement de la base de calcul du chèque.
Nous ne sommes plus en 1984 : l'Europe a changé ; elle s'est élargie. Tirons-en les conséquences !
J'appelle votre attention sur un dernier élément : le montant de la réduction du chèque découlera de ce nouveau mécanisme de calcul ; il n'a pas à être fixé à l'avance ou de façon discrétionnaire.
Je souhaite donc que la proposition de la présidence soit substantiellement améliorée sur ce point central. Le Royaume-Uni doit prendre ses responsabilités dans le fonctionnement de l'Union élargie, qu'il a voulue comme nous tous.
Je note qu'une unanimité s'est dégagée aujourd'hui à ce sujet, y compris M. Frimat, et je vous en remercie.
Vos interventions ont également porté sur d'autres sujets qui, pour la plupart, sont également inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen.
S'agissant de la Macédoine et, d'une façon plus générale, de l'élargissement, je veux d'abord rappeler les progrès significatifs accomplis par la Macédoine, que je devrais appeler de son nom officiel provisoire « Ancienne République Yougoslave de Macédoine », dans le cadre du processus de stabilisation.
Nous ne pouvons qu'encourager la Macédoine à poursuivre dans cette voie. Nous savons combien la perspective européenne est indispensable pour garantir la stabilisation de cette région, qui reste fragile, comme en témoignent la situation au Kosovo et les débats entre la Serbie et le Monténégro.
C'est en novembre 2000 que cette perspective a été reconnue, sous la présidence française. Et c'est la France, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l'impulsion du Président de la République, qui a renversé le cours des choses dans les Balkans, en 1995, en conduisant la communauté internationale à une autre attitude, plus digne et plus efficace à la fois. En ce 14 décembre 2005, jour du dixième anniversaire des accords de Paris, je veux dire que la France a sauvé l'honneur de nos démocraties.
Mais avant de savoir s'il faut reconnaître à la Macédoine le statut de candidat, comme l'avis de la Commission du 9 novembre nous y invite, nous devons prendre en considération la situation de l'Union européenne et le projet que nous nourrissons pour l'Europe, ainsi que la capacité d'absorption de l'Union, qui est l'un des critères de Copenhague.
Philippe Douste-Blazy l'a très bien expliqué devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, comme il l'avait dit à nos partenaires lundi dernier, à Bruxelles.
Les interventions de MM. Vinçon, Haenel et de Montesquiou, que j'ai écoutées avec attention, montrent que cette préoccupation est partagée.
Un premier débat a eu lieu sur ce sujet lundi dernier. Ce n'est pas si fréquent ! Il y en aura un autre en 2006 ; nous l'avons souhaité et nous l'aurons ! Car au-delà du cas de la Macédoine, il est devenu capital de conduire une véritable réflexion sur le processus d'élargissement en tant que tel. La discussion devra porter sur les frontières de l'Union européenne et sur son identité, laquelle ne se réduit pas à une simple question de géographie.
S'agissant de la solidarité avec l'Afrique et de l'immigration, Philippe Douste-Blazy a répondu à vos interrogations, monsieur Bret.
Pour ce qui est de la TVA, vous le savez, lors du Conseil Écofin du 6 décembre, il n'y a pas eu de consensus. Ce sujet sera donc à l'ordre du jour du Conseil européen.
Comme le Premier ministre l'a dit hier devant la représentation nationale, et Philippe Douste-Blazy l'a rappelé tout à l'heure, la France est déterminée à obtenir un résultat concret. Nous gardons comme objectif l'obtention rapide d'un accord global à Bruxelles, qui permette de continuer à appliquer des taux réduits pour le bâtiment et les services à domicile et de pratiquer des taux réduits pour la restauration.
Rappelons, une nouvelle fois, que la baisse de la TVA à 5, 5 % a créé plus de 40 000 emplois dans les services d'aide à la personne et dans le secteur du bâtiment. Monsieur Retailleau, 40 000 emplois, ce n'est pas subsidiaire !
Par ailleurs, il est acquis qu'en l'absence d'accord avant le 1er janvier nous pourrons maintenir le : nous ne serons pas obligés de relever le taux de TVA à cette date dans le secteur du bâtiment.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter à la veille de ce Conseil européen qui, vous l'avez compris, s'annonce difficile, même si je veux vous confirmer, une nouvelle fois, la détermination du Gouvernement à trouver un accord sur le budget. Car sans budget, l'Europe n'avancera pas ; nous n'avancerons pas, monsieur Badré.
Souhaitons donc, avec le président Hubert Haenel, que l'esprit européen souffle demain et après-demain à Bruxelles. Nous en avons bien besoin !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 126 et distribuée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.
La séance est reprise.
Monsieur le ministre d'État, je vous prie d'excuser l'absence du président du Sénat qui, répondant d'ailleurs à l'une de vos invitations, participe en ce moment à une réunion. Il m'a demandé d'exprimer ses regrets de ne pas présider cette séance.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (nos 109, 117).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce monde tourmenté qui est le nôtre, la sécurité de nos concitoyens constitue incontestablement l'un de nos devoirs les plus sacrés.
La Haute Assemblée est aujourd'hui appelée à se prononcer sur les moyens de dissuader et de combattre l'une des formes les plus barbares et les plus pernicieuses de la violence : celle du terrorisme.
Barbare, le terrorisme l'est, parce que sa logique de terreur est fondée sur le meurtre, et le meurtre d'innocents. Pernicieux, le terrorisme l'est, parce que ses modes opératoires n'obéissent à aucune des règles juridiques ou morales qui régissent la communauté internationale.
La France a déjà été frappée par ce fléau.
La France connaît le prix de cette épreuve sanglante.
La France connaît ce sentiment de peur qu'il convient précisément de maîtriser.
La France connaît les objectifs et les pratiques de cette guerre souterraine qu'elle n'a pas déclarée, mais à laquelle elle a décidé de répondre sans faiblesse.
Toutes majorités confondues, de gauche comme de droite, notre pays n'a pas varié à l'égard du terrorisme : il n'a jamais cédé et ne cédera jamais aux intimidations des fanatiques et des assassins.
La France vit en paix et n'a aucun adversaire désigné. Mais avec la disparition de la bipolarité Est Ouest qui structura le jeu international durant un demi-siècle, notre planète est traversée par des tensions nationales, régionales et culturelles dont les répercussions ne sont pas localement circonscrites. C'est l'étrange paradoxe de notre monde contemporain : d'un côté, il se décloisonne, de l'autre, il s'unifie. Il libère simultanément des haines longtemps retenues et fait apparaître des rivalités nouvelles.
La France est une nation pacifique ; pourtant, je viens de prononcer le mot « guerre ».
Ce terme n'est pas excessif. C'est une guerre d'un genre particulier qui est en cours, une guerre qui ignore les frontières, une guerre qui ignore les États, une guerre dont les « combattants » vivent dans l'ombre, une guerre au sein de laquelle les structures et les acteurs sont à la fois ordonnés et hiérarchisés, mais également disséminés et isolés.
Notre pays n'a pas été confronté à des actes terroristes sur son sol depuis plusieurs années. Mais nous ne sommes nullement à l'abri de cette guerre, car ses instigateurs sont parfaitement imprévisibles.
Je vous le dis avec gravité, mesdames, messieurs les sénateurs : les ingrédients d'une menace terroriste existent, les scénarios d'actions violentes sur notre sol sont réels.
Rien ne serait donc plus trompeur, ni plus inconséquent, que de croire que ce qui s'est déroulé à New York, à Madrid, à Londres, pourrait passer à côté de la France. Les prétendus motifs géopolitiques ou spirituels qui ont motivé ces attentats sont à géométrie variable, ils sont extensibles et transposables ailleurs. La raison en est simple : ces motifs sont sous-tendus par une logique de haine dont nous sommes les cibles, la haine à l'endroit des sociétés démocratiques, prospères, ouvertes et tournées vers les horizons du monde. Voilà pourquoi il serait irresponsable et illusoire de faire preuve d'attentisme ou d'angélisme face au terrorisme.
L'heure est donc venue de prendre acte de ces mutations, car ce sont bien elles qui nous contraignent à ajuster notre posture et nos modes de protection.
Deux questions centrales se posent.
La première est de savoir si les attentats terroristes perpétrés au cours de la dernière décennie marquent l'émergence d'une évolution fondamentale des phénomènes terroristes. Toutes les indications dont nous disposons me conduisent à répondre oui à cette première question.
La seconde question va de pair : assiste-t-on à l'émergence d'un « terrorisme global » représentant pour la sécurité de la France et, plus généralement, de l'Europe une menace de niveau stratégique ? Tous les renseignements dont nous disposons m'amènent, là aussi, à répondre par l'affirmative.
Le constat est malheureusement tout à fait irréfutable : dans la nature et l'organisation du terrorisme, un saut qualitatif et quantitatif a été franchi : franchi dans l'attractivité idéologique et la capacité fédératrice de mouvements divers, franchi dans l'élévation du niveau de violence infligé, franchi dans les moyens sophistiqués employés, franchi dans son extension géographique.
Du terrorisme d'État des années soixante-dix, nous sommes passés à un terrorisme infraétatique infiltré dans nos sociétés ; du terrorisme politique aux objectifs relativement ciblés, nous sommes passés à un terrorisme idéologique aux desseins élargis et parfois « apocalyptiques » ; du terrorisme localisé, nous sommes passés à un terrorisme globalisé exploitant les outils modernes de communication et de destruction.
Voilà la métamorphose qui est en cours, voilà le visage actuel du terrorisme. Ce visage s'est trouvé au surplus une « identité nouvelle », une identité dont il se pare de façon odieuse et injurieuse pour couvrir ses crimes et structurer ses élans, une identité dont je n'esquive pas le nom : celle de l'islam.
Cette ancienne et si respectable religion du Livre, dont les préceptes de paix et de tolérance mutuelle sont bafoués, constitue pour l'heure l'axe doctrinal autour duquel nos adversaires s'organisent.
Cette exploitation éhontée de l'islam nous place, là encore, devant un défi nouveau, un défi politique et moral lancé au coeur de nos sociétés occidentales : celui de l'unité et de la cohésion face au prétendu choc des civilisations.
Nous devons non seulement lutter contre les terroristes et leurs alliés, mais aussi combattre les idées fausses et les réflexes de rejet qui pourraient conduire à assimiler islam et terrorisme. En fait, nos démocraties sont appelées à agir sur deux fronts : celui de l'extrémisme et celui de l'amalgame, cet amalgame que les terroristes cherchent très précisément à provoquer.
À cet égard, j'indique avec force que la lutte contre le terrorisme n'est en rien un conflit contre l'islam : c'est un conflit contre des filières, des groupes, des réseaux, qui en dévoient la tradition humaniste. Aujourd'hui, la principale menace stratégique réside dans ce phénomène que les experts appellent « le jihadisme global ». Ce « jihadisme global » n'est pas ancré territorialement, ne fonctionne pas sur un mode exclusivement hiérarchique et structuré : il est souple, il est furtif, il est décentralisé.
Ces modes d'actions sont complexes et difficiles à déjouer : stratégie d'implantation de petites cellules autonomes ; division du travail entre doctrinaires, logisticiens, financiers et auteurs ; raccourcissement des trajectoires d'embrigadement entre le recrutement et le passage à l'acte par le fait d'un processus de dépersonnalisation des individus... Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir des individus ayant un comportement barbare et des raisonnements archaïques s'adapter parfaitement aux méthodes de communication les plus modernes et à l'organisation en réseaux de nos sociétés.
Face à cette situation, qu'en est-il pour la France ?
Je serai clair : la menace qui pèse sur nous provient d'abord de mouvements ou de groupes implantés à l'étranger. Les déclarations de l'émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, en sont l'illustration la plus évidente.
Mais je dois vous indiquer que la menace provient aussi de personnes vivant chez nous, recrutées par les structures salafistes, formées dans les écoles du Proche-Orient ou du Moyen-Orient, et qui, lors de leur retour dans notre pays, constituent un véritable danger.
Tous les suspects ne présentent pas un profil aussi inquiétant mais, je le répète, il existe sur notre sol des disciples de la violence.
Sur le plan judiciaire, depuis le début de l'année 2002, 367 personnes ont été interpellées et près de 100 ont été écrouées. Lundi dernier, 25 personnes supplémentaires ont été interpellées, parmi lesquelles 24 sont encore en garde à vue. C'est une affaire importante !
Dois-je vous préciser que cette menace intérieure a, par ailleurs, ses prédicateurs ? Depuis le 1er janvier 2005, nous avons expulsé 20 islamistes intégristes. La semaine dernière encore, un imam de vingt-six ans a été éloigné vers son pays d'origine. Les choses sont désormais très claires : les prêcheurs de haine n'ont pas leur place sur le territoire national.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Chaque fois que nécessaire, la République se défendra contre ceux qui injurient ses principes.
J'ajoute que nous avons découvert un jeune terroriste de l'âge de seize ans qui était chargé de faire passer un certain nombre de candidats au jihad de notre pays vers l'Irak.
La caractéristique des arrestations, c'est le très jeune âge des personnes qui sont concernées. Cela démontre qu'il faut être très sévère à l'endroit des prédicateurs de haine, qui peuvent embrigader des jeunes qui n'ont pas la structure intellectuelle pour se défendre.
Fort de ces constats, j'invite la Haute Assemblée à prendre la mesure des risques potentiels qui planent sur la France, et je la convie, à travers ce projet de loi, à un devoir renforcé de vigilance et de protection.
Certes, notre démocratie est, par nature, un espace perfectible au sein duquel le respect des droits fondamentaux ne se négocie pas. Mais liberté n'est pas synonyme d'imprévoyance, et démocratie n'est pas synonyme de faiblesse. Il faut agir maintenant, car je ne veux pas que nous ayons un jour à prononcer les mots « trop tard ». C'est pourquoi ce projet de loi est examiné en urgence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne partons pas de rien ! Depuis une vingtaine d'années, chaque gouvernement et chaque majorité se sont employés à affûter nos dispositifs de lutte contre le terrorisme en adaptant les moyens, en accentuant les coopérations et en ajustant notre droit à la réalité du temps.
En ce qui concerne les moyens, une meilleure coordination de l'action des services a été mise en place à travers l'unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT. Des plans spécifiques, au premier rang desquels figure le plan Vigipirate, ont également renforcé nos outils de prévention. Depuis 2002, les effectifs du RAID, de la DST, de la division nationale antiterroriste, de la police judiciaire et des services spécialisés des renseignements généraux ont été renforcés.
S'agissant de la coopération avec les pays alliés, elle n'a jamais cessé de s'approfondir, y compris sur le plan européen.
Bien des choses restent encore à faire sur cette question stratégique, mais l'extradition de Rachid Ramda, que nous avons obtenue le mois dernier, révèle qu'un changement d'esprit et de méthode est à l'oeuvre.
Le renforcement d'Europol, la création d'un véritable parquet européen, la clause de solidarité entre Etats victimes d'un attentat constituent, selon moi, les prochaines étapes indispensables à l'élaboration d'une véritable stratégie commune.
Enfin, pour ce qui est du droit, les textes votés en 1986 ont permis la centralisation et la spécialisation des poursuites et de l'instruction des infractions terroristes. Ils ont aussi créé les possibilités d'un démantèlement judiciaire préventif des réseaux.
La loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, du gouvernement de Lionel Jospin, a pour sa part facilité les fouilles de véhicules, les perquisitions et saisies en enquête préliminaire. Elle a aussi permis l'utilisation des moyens militaires de déchiffrement et le recours à la visioconférence dans les procédures judiciaires. Elle a par ailleurs modifié diverses dispositions du code pénal relatives à la répression du terrorisme.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a pérennisé ces dispositions, tandis que celle du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a renforcé les moyens d'enquête judiciaire et a créé de nouvelles infractions en matière de terrorisme.
Bref, nous disposons d'instruments juridiques qui ont été conçus pour donner plus de moyens à l'autorité judiciaire, et nous le devons à la gauche comme à la droite : en matière de lutte contre le terrorisme, il y a une continuité de la politique, et il ne saurait d'ailleurs en être autrement.
Mais ces instruments ont une caractéristique qui justifie notre démarche actuelle : ils s'enclenchent davantage après la commission d'un acte terroriste qu'en amont de celui-ci.
Prévenir le terrorisme et non le subir, parer les coups plutôt que panser les plaies, en un mot agir en amont des attentats potentiels en permettant une meilleure collecte des renseignements, c'est tout l'esprit de ce projet de loi. Car ce qu'attendent de nous les Français, c'est que nous les protégions et, pour cela, il faut que nous soyons efficaces avant que l'irréparable se produise.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur chacun de nos objectifs, qui sont clairs et parfaitement ciblés.
Le premier objectif, c'est le développement du recours à la vidéosurveillance. Il est fondé sur une seule chose : les enseignements de ce qu'ont vécu nos amis britanniques. Qui aurait compris que le Gouvernement français ne tire pas les conséquences du double drame de Londres ?
Nous vous proposons donc de multiplier nos efforts en la matière en aménageant le régime de la loi du 21 janvier 1995. Ainsi, des personnes morales exposées à un risque terroriste, comme les lieux de culte ou les grands magasins, pourront déployer des caméras filmant la voie publique aux abords de leurs bâtiments.
Une procédure d'installation en urgence de caméras sera créée. Un agrément technique garantissant le bon fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance est également prévu. Enfin, des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie pourront accéder aux images.
Toutes les garanties de procédure prévues en 1995 sont maintenues. Deux garanties s'y ajoutent : la limitation à cinq ans de la validité de l'autorisation de chaque système, et la possibilité donnée à la commission départementale présidée par un magistrat d'exercer à tout moment un contrôle sur les modalités de fonctionnement de chaque dispositif.
Nous souhaitons par ailleurs que le préfet puisse prescrire l'installation de tels systèmes dans certains sites constituant des cibles potentielles ; je pense aux centrales nucléaires, aux grandes installations industrielles, aux aéroports ou aux gares.
Le deuxième objectif, c'est le renforcement des possibilités de contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste. La mobilité de ces personnes est connue ; elle est nécessaire à leurs activités. Leur utilisation intensive des technologies de communication les plus modernes l'est tout autant.
Je n'accepte pas de voir nos services avoir un temps de retard sur ces pratiques. C'est pourquoi je vous propose de leur donner les « armes » de l'action préventive.
Nous allons donc faciliter les contrôles d'identité dans les trains internationaux. Aujourd'hui, ces contrôles ne sont autorisés que dans une bande de vingt kilomètres avant et après la frontière. Ce n'est pas logique ! Soit on les supprime, soit on les généralise ! Je vous propose de généraliser leur possibilité.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. S'agissant de la conservation de données informatiques, nous souhaitons soumettre les personnes offrant au public à titre professionnel une connexion à Internet - à l'exemple des cybercafés - aux mêmes obligations que les opérateurs de communications classiques.
Très bien ! sur les travées de l'UMP.
Nous entendons autoriser des agents des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre le terrorisme à se faire communiquer, dans un cadre administratif, certaines données techniques détenues par les opérateurs de communications.
Il ne s'agit en aucun cas d'intercepter les contenus d'échanges électroniques, mais il importe de pouvoir recueillir de manière rapide des données comme l'identification des numéros d'abonnement, le recensement des abonnements d'une personne désignée, la localisation des équipements terminaux.
Une procédure ad hoc, impliquant une personnalité qualifiée et un contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, offrira toutes les garanties nécessaires.
Le troisième objectif relève des traitements automatisés de données à caractère personnel.
Il s'agit d'abord d'améliorer les conditions dans lesquelles nos services pourront exploiter des données collectées par la police aux frontières sur les cartes d'embarquement et de débarquement des passagers des compagnies aériennes, ainsi que des données collectées par les compagnies aériennes lors de la réservation du titre de transport lorsque la provenance ou la destination du passager est extérieure à l'Union européenne. C'est ainsi que nous pourrons suivre les traces des individus partant s'entraîner au jihad sur des théâtres étrangers, comme l'est aujourd'hui l'Irak.
Il n'est quand même pas normal qu'un certain nombre de personnes qui ne travaillent pas aient les moyens de partir dans des pays sensibles pour plusieurs mois sans que nous n'en sachions rien, et que nous les retrouvions chez nous formés aux techniques du jihadisme global. On doit pouvoir poser des questions à des gens qui partent en Afghanistan, en Irak ou dans un certain nombre de pays, et savoir ce qu'ils y font.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Ce projet de loi consolide, de plus, les dispositifs de surveillance automatique des véhicules sur certaines zones à risques. Il s'agit de créer un traitement automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants. Ces données seront rapprochées du fichier des véhicules volés et conservées dans des délais très limités.
Il est nécessaire, en outre, d'accroître les possibilités de consultation de certains fichiers administratifs du ministère de l'intérieur par les services de police antiterroriste. Il est proposé d'adopter ce dispositif pour une durée de trois ans.
Le quatrième objectif tend à compléter le dispositif pénal qui sanctionne les actes de terrorisme.
Il s'agit, ni plus ni moins, de criminaliser l'association de malfaiteurs terroristes lorsque celle-ci a pour objet la préparation de crimes d'atteintes aux personnes ou d'agissements susceptibles d'entraîner la mort, en la punissant désormais de vingt ans de réclusion au lieu de dix ans, et de trente ans au lieu de vingt ans lorsque les dirigeants organisateurs sont en cause.
Nous voulons punir plus fermement à la fois les « têtes de réseaux » et les « petites mains ».
Il est proposé, par ailleurs, de centraliser auprès des juridictions de l'application des peines de Paris le suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, de la même façon qu'en matière de poursuite, d'instruction et de jugement, depuis 1987, ce sont des magistrats spécialisés qui sont compétents.
Le cinquième objectif est la lutte contre les stratégies d'implantation territoriale des terroristes, car certains tentent de tirer avantage de l'acquisition de la nationalité française. À cet égard, il est nécessaire de porter de dix ans à quinze ans les délais permettant d'engager la procédure de déchéance de la nationalité française, dès lors que les personnes en cause ont fait l'objet d'une condamnation pour un acte portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un acte de terrorisme.
Notre sixième et dernier objectif est la lutte contre le financement des activités terroristes.
C'est un point important qui, me semble-t-il, ne devrait pas faire débat. Le ministre des finances pourra geler les différents avoirs financiers détenus ou contrôlés par des personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme.
Cette mesure de gel, qui a vocation à être très réactive et d'une durée de six mois renouvelable, sera placée sous le contrôle de la juridiction administrative, ainsi que l'a souhaité le Conseil d'État.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs que le Gouvernement vous propose afin d'élever notre garde face à tous ceux qui sont tentés, ou qui pourraient l'être, de frapper la France ou ses alliés.
Ce projet de loi est le fruit d'un équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés.
Cet équilibre est conforté par l'avis favorable du Conseil d'État qui est, avec le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, le gardien des libertés publiques. Cet équilibre a été consolidé par les amendements que les députés ont très utilement apportés au projet du Gouvernement.
À cet égard, deux garanties me paraissent essentielles.
La première est que toute création de fichier informatique est conçue dans le respect de la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans notre législation et dans les textes réglementaires d'application qui seront pris pour définir les traitements automatisés de données, il sera tenu compte des exigences de cette loi.
Nous définissons distinctement les finalités des fichiers ; nous précisons les personnes désignées et spécialement habilitées y ayant accès. Il en est de même de l'accès administratif à un fichier existant : les personnes pouvant accéder aux données sont clairement désignées ; la « traçabilité » des accès est et sera donc assurée, ce qui signifie que des sanctions pourront être appliquées en cas d'usage inapproprié.
Sans doute, tel ou tel article peut faire l'objet d'une amélioration de rédaction permettant de rendre plus explicite encore le respect de la loi de 1978 : le Gouvernement saura se montrer ouvert à la discussion.
La seconde garantie, c'est la « clause de rendez-vous » en 2008. Les dispositions les plus sensibles du projet de loi sont prises pour une durée de trois ans. À cette date, le Parlement devra se prononcer à nouveau sur la nécessité de ces dispositions à la lumière du rapport que lui remettra le Gouvernement. Cette « clause de rendez-vous » figurait d'ailleurs déjà, après les attentats du 11 septembre 2001, dans la loi votée à l'automne 2001 sur l'initiative du gouvernement de Lionel Jospin.
Je renouvelle donc cette mesure, dont j'approuve le principe, d'autant plus que nos stratégies et nos dispositions légales doivent s'inscrire dans un processus d'évaluation et d'adaptation permanentes, à l'image des menaces dont les évolutions sont, malheureusement, constantes.
Permettez-moi d'ajouter que le Gouvernement se réjouit de la grande qualité des débats qui se sont déroulés le mois dernier à l'Assemblée nationale.
La discussion, riche de 142 amendements, a permis d'améliorer le texte du Gouvernement.
La lutte contre le terrorisme n'est ni de droite ni de gauche ! Elle est l'affaire de tous les Français. Pour les partis de gouvernement qui sont, ou qui seront, confrontés aux mêmes réalités, le combat contre la terreur est une exigence commune.
Les Français jugeraient très sévèrement ceux qui refuseraient de faire montre, sur un tel sujet, d'un nécessaire esprit d'unité nationale.
Je sais qu'une grande partie des membres du groupe socialiste de la Haute Assemblée - dont son président -, a abordé ce débat de manière responsable et consensuelle. Je ne doute pas que l'ensemble du groupe saura, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale, manifester son sens de l'intérêt général. Nous verrons si le groupe socialiste du Sénat est à l'unisson du groupe socialiste de l'Assemblée nationale.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Personne ne pourrait imaginer que le groupe socialiste du Sénat ne confirme pas ce qu'a dit le groupe socialiste de l'Assemblée nationale.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Je voudrais souligner un complément majeur que les députés ont apporté au projet de loi : le vote consensuel d'un amendement permettant au juge des libertés et de la détention de prolonger jusqu'à six jours la durée de la garde à vue.
Lorsque l'on a de sérieuses raisons de penser qu'un attentat va avoir lieu en France, la garde à vue pourra être prolongée de deux fois vingt-quatre heures et pourra donc durer jusqu'à six jours. Les chances d'obtenir des renseignements permettant de déjouer un attentat seront d'autant plus fortes.
La discussion a permis de trouver un bon équilibre entre la nécessité de cette prolongation et celle d'apporter au gardé à vue un certain nombre de garanties nécessaires. Le Gouvernement souhaite que cet équilibre consensuel soit préservé.
J'ajoute, pour ceux qui ne le sauraient pas, que la durée de la garde à vue au Royaume-Uni est de quinze jours.
Je me réjouis, en outre, que les députés aient manifesté une attention bienvenue aux victimes des actes de terrorisme. Nous avons à leur endroit un devoir de solidarité et d'équité, qu'a justement exprimé l'Assemblée nationale en unifiant le régime d'indemnisation créé par la loi de 1986 et en l'ouvrant à tous les ayants droit des victimes françaises, quelle que soit leur nationalité. De même, nous avons modifié le code des assurances afin de préciser l'obligation de couverture par les contrats d'assurance de biens, des dommages matériels causés par tout acte terroriste.
Je veux souligner, également, l'intérêt de l'amendement permettant de renforcer la capacité de nos démocraties à combattre les prêcheurs de haine qui utilisent certains médias audiovisuels. Désormais, les chaînes de télévision extra-européennes ne bénéficieront plus d'un « conventionnement » avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Elles n'en seront que plus directement soumises au pouvoir de sanction du Conseil supérieur de l'audiovisuel, de saisine du Conseil d'État pour interdiction, ou du parquet pour poursuites pénales.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Un amendement a été voté, donnant aux préfets le pouvoir d'interdire à quelques perturbateurs d'assister à des compétitions sportives. Il est des tribunes dans nos stades qui font honte ! Les forces de l'ordre pourront ainsi mieux se concentrer sur leurs missions, et, de manière administrative, nous pourrons exclure de certains stades des personnes dont le comportement est violent ou raciste.
Enfin, je souhaite vous rappeler solennellement, mesdames, messieurs les sénateurs, un engagement que j'ai pris au nom du Gouvernement sur les services de renseignement. Cet engagement consiste à reconnaître, pour la première fois dans l'histoire de nos institutions, un droit de regard du Parlement sur les services de renseignement.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il ne fallait pas vous gêner pour le faire ! Vous avez eu cinq ans, vous vous seriez honorés de le faire ! Nous, nous l'avons fait au bout de trois ans !
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Mais je ne doute pas que vous voterez cette disposition.
La Ve République, c'est la démocratie, et la démocratie, c'est le contrôle. Dans une démocratie moderne, il est normal, il est nécessaire que le Parlement contrôle les activités de renseignements que le Gouvernement met en oeuvre. Toutes les démocraties avancées appliquent ce principe. La discrétion, ce n'est pas le secret à l'endroit de ceux à qui l'on doit rendre des comptes.
Cette exigence démocratique est d'autant plus forte lorsque la loi confie aux services de renseignements de nouveaux instruments pour exercer leurs compétences. C'est le cas de ce projet de loi, qui facilite l'accès d'agents des services de renseignements spécialisés dans la lutte contre le terrorisme à certains fichiers.
Aussi, je renouvelle devant vous aujourd'hui l'engagement du Gouvernement : nous souhaitons parvenir à la définition la plus consensuelle d'un mécanisme de contrôle équilibré, tenant compte à la fois de l'exigence de transparence et de celle de la discrétion.
C'est pour préparer un tel texte que le Gouvernement souhaite mettre en place un groupe de travail, qui sera composé de représentants des groupes parlementaires des deux assemblées et de fonctionnaires au plus haut niveau des services de renseignements.
Ce groupe rendra ses conclusions avant le 15 février 2006 afin de pouvoir rédiger une proposition ou un projet de loi, ayant vocation à être rapidement inscrit à l'ordre du jour parlementaire.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux exprimer ma confiance à l'égard de la Haute Assemblée.
Je ne doute pas que, éclairés par les travaux très sérieux de votre commission des lois et de votre rapporteur Jean-Patrick Courtois, ...
...vous approuverez et vous enrichirez le projet de loi qui vous est aujourd'hui présenté.
L'enjeu est d'importance : la démocratie est une conquête humaine précieuse, mais fragile. La démocratie a ses adversaires. Ils sont résolus. Ils sont organisés. Ils ont déjà frappé.
À travers ce projet de loi, notre République, fidèle à ses valeurs humanistes, leur répond de façon claire, ferme et, je l'espère, efficace.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, l'interpellation, à travers tout le territoire national, de vingt-cinq membres d'une filière terroriste, il y a seulement deux jours, rappelle la permanence de la menace terroriste pour notre nation et, s'il le fallait, la particulière opportunité du débat qui nous réunit aujourd'hui.
De cet exemple singulier, nous pouvons d'ores et déjà tirer deux constats. En premier lieu, il révèle la mutation de ces filières terroristes où grand banditisme et fondamentalisme religieux s'agrègent dans des cellules de plus en plus autonomes.
En second lieu, il révèle la remarquable efficacité et l'excellente coordination de nos services de sécurité, puisque pas moins de cinq services ont contribué à la réussite de ce coup de filet. Qu'il leur soit rendu hommage, ainsi qu'à vous-même, monsieur le ministre d'État.
En effet, en tant qu'ancien rapporteur de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et en tant que rapporteur pour avis de la mission « Sécurité », j'ai pu constater la détermination permanente dont vous êtes animé pour lutter contre le terrorisme et, en premier lieu, pour éveiller les consciences et anticiper l'irréparable.
Cette lutte est un combat préventif de chaque instant. Je sais à quel point vous ne vous démobilisez jamais sur ce sujet, et j'ai pu apprécier votre contribution déterminante dans la coordination de tous les services participant à la sécurité intérieure et à la défense civile, ainsi que celles de vos collaborateurs, avec lesquels j'entretiens des relations de confiance.
Permettez-moi d'associer à ce propos Christian Estrosi, ministre délégué, qui a lui aussi une profonde connaissance de ces problèmes.
Le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a été présenté en Conseil des ministres le 26 octobre 2005. L'urgence a été déclarée.
L'Assemblée nationale a adopté ce texte en première lecture le 29 novembre 2005.
Comportant initialement quinze articles répartis en huit chapitres, le projet de loi se compose désormais de vingt-sept articles répartis en dix chapitres.
Débattu dans un esprit constructif et de relatif consensus à l'Assemblée nationale, ce projet de loi s'inscrit dans la continuité des textes successifs adoptés en matière de lutte contre le terrorisme depuis la loi du 9 septembre 1986.
« Le pari français », pour reprendre l'expression de Jean-Louis Bruguière, premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris, est de parvenir à concilier légalité et efficacité.
Chaque gouvernement a su emprunter ce chemin étroit qui consiste à ne pas franchir la ligne jaune tout en s'adaptant perpétuellement à l'évolution de la menace afin de garder un temps d'avance sur les terroristes.
Empruntant cette voie étroite, les législateurs successifs se sont attachés à ne jamais s'éloigner d'une ligne de conduite : maintenir le juge au coeur de la lutte antiterroriste. À ce principe, il faut ajouter le souci de ne jamais basculer dans une justice d'exception. Ce choix politique est fondamental, car il maintient la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l'État de droit et de la démocratie.
Certes, depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le terrorisme a changé d'échelle. Le terrorisme islamiste cherche à faire le maximum de dégâts et à tuer le plus grand nombre de personnes. La menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique ajoute encore à cette volonté de destruction de masse. C'est en ce sens que l'on peut, et que l'on doit, parler d'une guerre terroriste.
Néanmoins, ce changement d'échelle ne doit pas faire perdre de vue que le principal objectif des terroristes est non pas de détruire ou de tuer, mais de déstabiliser les États et les sociétés démocratiques en les poussant à renoncer aux valeurs de liberté et de démocratie. En s'écartant du respect de l'État de droit, un gouvernement ferait précisément le jeu de ses adversaires.
Certes, pour justifier des entorses aux principes de liberté et de respect des droits de la défense, des gains en termes d'efficacité opérationnelle pourraient être invoqués. Cependant, là encore, le modèle français, reconnu par l'ensemble de nos partenaires et alliés comme un exemple à suivre, démontre que l'efficacité n'est pas incompatible avec la légalité. Mieux encore, en respectant la légalité, la lutte antiterroriste gagne en légitimité, et donc en efficacité, si l'on se place dans une perspective stratégique de long terme.
Certains pourraient penser que les démocraties ne sont pas armées pour lutter contre la terreur, qu'elles possèdent en elles-mêmes cette faiblesse originelle. Je ne le crois pas. C'est justement ce respect sourcilleux de la légalité qui fait la force des démocraties. Si, à travers l'histoire, celles-ci ont toujours su surmonter les périls, c'est parce qu'elles demeuraient animées par la force du droit.
Le présent projet de loi réaffirme ce choix juridique, philosophique et stratégique, tout en adaptant le dispositif français à l'évolution de la menace terroriste.
Pour préparer l'examen de ce texte, il m'a paru utile d'entendre les principaux responsables de la lutte antiterroriste. Ces auditions, ainsi que la visite effectuée à la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, ont été ouvertes à l'ensemble des membres de la commission des lois, et plusieurs de nos collègues se sont associés à nos travaux.
La France a une expérience ancienne du terrorisme. Elle a fait face à des formes très diverses de ce dernier, qu'il s'agisse du terrorisme nationaliste corse ou basque ou du terrorisme islamiste.
Ce caractère protéiforme de la menace terroriste en France a conduit à mettre en place un système de lutte antiterroriste spécialisé, mais suffisamment souple pour s'adapter à la diversité des modes opératoires et des organisations terroristes. Son bilan est positif : depuis l'attentat à la station Port-Royal du RER, le 3 décembre 1996, le sol français n'a pas été touché par le terrorisme international.
Toutefois, ce bilan ne rend pas compte de la réalité de la menace terroriste en France. En effet, si aucun attentat terroriste d'origine extérieure n'a eu lieu depuis 1996, la menace liée au terrorisme d'inspiration islamiste n'a jamais faibli. Selon l'ensemble des autorités administratives et judiciaires que nous avons entendues, la menace terroriste islamiste sunnite, qui puise ses fondements idéologiques dans la rhétorique jihadiste d'Al-Qaida, apparaît comme la plus préoccupante et la plus globale. La France fait partie des principales cibles.
Cette recrudescence de la menace terroriste a conduit à un renforcement important des moyens matériels, humains et juridiques consacrés à la lutte antiterroriste depuis 2001.
Je souhaiterais d'abord évoquer le dispositif judiciaire, qui est le coeur du modèle français de lutte antiterroriste.
Face à la menace terroriste, la France a choisi d'aménager certaines des dispositions de son droit pénal et de sa procédure pénale, afin de tenir compte des spécificités de cette forme de violence extrême. Quel bilan peut-on dresser de ce dispositif ?
Le premier constat que l'on peut établir, c'est que la spécialisation des magistrats chargés de la lutte antiterroriste constitue l'un des atouts majeurs du système français de lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, l'articulation entre services de police et magistrats semble donner entière satisfaction aux responsables concernés. Lorsqu'une délégation de notre commission l'a rencontré, M. Jean-Louis Bruguière a plus particulièrement souligné la qualité de la coopération nouée avec la Direction de la surveillance du territoire dans le domaine de la lutte contre l'islamisme radical.
Enfin, le développement de la coopération internationale représente un autre gage d'efficacité. Nos interlocuteurs ont plus particulièrement souligné l'intérêt des équipes communes d'enquête ou du mandat d'arrêt européen.
Les acteurs judiciaires de la lutte contre le terrorisme ont cependant attiré notre attention sur certains points de fragilité du dispositif actuel de lutte contre le terrorisme.
En amont de la procédure, les juges d'instruction de la section antiterroriste ont relevé que la garde à vue de quatre jours s'était révélée, dans certains cas, insuffisante. En effet, les informations données par la personne gardée à vue peuvent révéler un risque d'attentat imminent, et il peut alors être très précieux de disposer d'un délai supplémentaire pour neutraliser les responsables de l'opération tout en s'assurant du contrôle de la personne placée en garde à vue.
De même, les nécessités de la coopération internationale peuvent justifier une prolongation de la durée de la garde à vue, le temps de mettre en lumière d'éventuelles ramifications internationales et d'échanger ensuite avec les services étrangers compétents.
Par ailleurs, si les magistrats rencontrés ont tous souligné l'intérêt du délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, considéré, selon l'expression de l'un d'entre eux, comme le « fer de lance » de la lutte contre le terrorisme, car il permet d'incriminer l'opération terroriste avant son déclenchement, ils ont aussi, dans leur ensemble, regretté l'insuffisance du quantum de peine - dix ans au maximum - eu égard à la gravité des faits, ainsi qu'au risque de récidive, dont il faut s'inquiéter. Ainsi, plusieurs cas ont été cités de personnes condamnées pour ce délit, qui, dès leur libération, avaient cherché à reconstituer des réseaux.
Enfin, si les poursuites, l'instruction et le jugement sont, depuis la loi du 9 septembre 1986, centralisés à Paris, tel n'est pas le cas de l'application des peines. Or, au 19 octobre 2005, les établissements pénitentiaires comptaient 112 détenus condamnés pour des affaires de terrorisme. Les personnes condamnées pour terrorisme sont réparties entre trente et une prisons et relèvent donc d'un grand nombre de juges de l'application des peines. Plusieurs juges se prononcent ainsi sur la situation d'individus appartenant à un même groupe. Or les décisions prises peuvent être lourdes de conséquences et impliquent une excellente connaissance des dossiers terroristes et une vue d'ensemble cohérente de leur traitement.
Ces trois problèmes trouvent une réponse dans le présent projet de loi.
En outre, plusieurs magistrats se sont fait l'écho de la difficulté de poursuivre des personnes dont le train de vie ne correspond manifestement pas aux ressources licites dont ils disposent. Ces situations peuvent déceler l'existence de circuits souterrains de financement d'actes terroristes. Les incriminations de non-justification de ressources prévues par notre droit ne paraissent pas, en l'état, totalement adaptées pour couvrir notamment une délinquance de trafics très variés et particulièrement rentables.
En ce qui concerne le stade du jugement, les magistrats du parquet ont attiré notre attention sur une difficulté mise en lumière par une affaire récente, liée à la mise en cause, dans un même dossier, de majeurs et de mineurs. Ces derniers, actuellement, ne peuvent être jugés que par la cour d'assises des mineurs, composée de jurés populaires. La juridiction d'instruction n'a donc le choix qu'entre disjoindre la procédure, les mineurs étant jugés par la cour d'assises des mineurs, les majeurs par la cour d'assises dans sa formation spéciale, ou renvoyer mineurs et majeurs devant la cour d'assises de droit commun des mineurs. Cet état de fait contredit la logique qui avait conduit le législateur à opter pour une formation spéciale, afin de prémunir les décisions des cours d'assises contre les effets des pressions dont les jurés pourraient faire l'objet.
La commission des lois vous proposera, mes chers collègues, de répondre à ces deux sujets de préoccupation.
Une nouvelle inquiétude, signalée par tous les acteurs rencontrés, policiers et judiciaires, a trait au comportement des terroristes en milieu pénitentiaire.
En effet, si certains terroristes, corses et basques principalement, s'abstiennent de tout prosélytisme, tel n'est pas le cas des islamistes radicaux. Plusieurs cas de « conversion » de délinquants de droit commun ont ainsi été rapportés, favorisant la pérennité, voire l'essaimage de réseaux terroristes pendant le temps même de l'incarcération. Il apparaît essentiel de prêter une attention toute particulière à ce phénomène, et d'engager une réflexion sur les moyens de le conjurer. Ce sujet pourrait être abordé dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme, destiné à approfondir l'étude des moyens de mieux répondre à la menace terroriste.
En ce qui concerne le dispositif policier, les moyens ont été renforcés et mieux coordonnés. La prévention et la répression du terrorisme sont principalement l'affaire de quelques services spécialisés. En matière de renseignement extérieur, la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure, est évidemment directement impliquée dans la lutte antiterroriste.
Depuis 2002, l'ensemble de ces services ont vu leurs effectifs augmenter de plus de 600 agents. La coordination a également été intensifiée. Cette organisation présente la particularité de combiner les activités de renseignement et de police judiciaire de manière très étroite. Son intérêt est de rapprocher la prévention et la répression. En effet, en matière de terrorisme, une répression efficace est insuffisante, puisque la survenue d'un seul attentat constitue déjà un échec majeur, en particulier lorsqu'il s'agit de terrorisme islamiste.
En outre, comme l'a indiqué M. Michel Gaudin, directeur général de la police nationale, les liens entre terrorisme et criminalité organisée se multiplient, notamment pour financer les actions terroristes.
Pour que ce système fonctionne, il est impératif que l'information circule entre tiers de confiance, entre services spécialisés. Plusieurs réformes sont venues renforcer cette coopération.
Ainsi, la Direction de la surveillance du territoire, les Renseignements généraux et la Division nationale antiterroriste, la DNAT, devraient être regroupés sur un même site, à Levallois-Perret, dans le courant de l'année 2006. Ce rapprochement des services apparaît indispensable pour faire face à un terrorisme islamiste en pleine évolution, qui brouille toujours plus les frontières classiques entre terrorisme d'origine interne et terrorisme d'origine externe.
L'objectif visé, au travers de ce projet de loi, est donc de garder un temps d'avance sur les terroristes. Cet objectif paraît de plus en plus difficile à atteindre devant un terrorisme globalisé, atomisé et mutant.
Les spécialistes de la lutte antiterroriste que nous avons entendus ont fait le constat unanime de la recrudescence de la menace terroriste et de la probabilité élevée qu'un attentat ait lieu dans les mois à venir sur le territoire français.
Cette inquiétude est nourrie par les changements à l'oeuvre au sein des mouvements terroristes d'inspiration salafiste. La globalisation du terrorisme se manifeste par l'apparition, au coeur de nos sociétés, de « fantassins » du terrorisme islamiste. Il ne s'agit plus d'un terrorisme exporté, comme cela a pu être le cas au temps de la guerre froide, lors des vagues d'attentats de 1985-1986 et de 1995-1996 ou lors des attentats de New York et de Washington, le 11 septembre 2001. Les attentats de Londres, le 7 juillet 2005, ont été commis par des terroristes de nationalité britannique et ayant grandi dans le pays. En France, en janvier 2005, la DST a arrêté plusieurs membres d'une filière d'acheminement de candidats au jihad en Irak.
Enfin, il faut évoquer le cas des convertis. D'ampleur encore relativement limitée, ce phénomène inquiète beaucoup les spécialistes de la lutte antiterroriste. L'actualité la plus récente a montré qu'une femme de nationalité belge, convertie et proche des mouvements fondamentalistes, avait commis un attentat suicide en Irak. En France, les services de renseignement ont répertorié environ 5 000 militants salafistes, 500 d'entre eux étant considérés comme dangereux.
L'idéologie fondamentaliste ou salafiste est le seul lien fort qui réunisse les différents groupes terroristes plus ou moins rassemblés sous la bannière d'Al-Qaida. Toutefois, les liens s'arrêtent là, aucune structure hiérarchisée de commandement n'ayant été identifiée. Selon M. Jean-Louis Bruguière, ce nouveau terrorisme se compose de cellules éclatées, atomisées, ce qui rend impossible toute modélisation.
Pour s'articuler et se coordonner, ces groupes fonctionnent en réseau. Cela se traduit notamment par l'utilisation massive des moyens de communication électroniques, notamment le réseau internet. Il est essentiel de reconstituer les parcours de chaque individu, son itinéraire personnel, afin de reconstituer les réseaux de connaissances. M. Jean-François Ricard, premier juge d'instruction de la section antiterroriste de l'instruction, nous a confié quel intérêt présentait, encore aujourd'hui, le fait de connaître et de surveiller les membres du réseau à l'origine des attentats de 1995-1996.
Cette organisation éclatée rend très difficile une action préventive. Le recours à l'attentat suicide ne fait que compliquer encore la réponse à apporter. Comme je le soulignais en préambule, l'interpellation du groupe terroriste intervenue lundi dernier est parfaitement emblématique de cette évolution, puisque tous les éléments que j'ai évoqués s'y retrouvent : autonomie de la cellule, connexion avec des cellules étrangères, mélange des genres avec le grand banditisme, ou encore recrutement en prison et utilisation des nouvelles technologies.
En ce qui concerne le dispositif, le projet de loi s'attache à préserver la force du modèle français, en l'adaptant aux évolutions de la menace terroriste.
Il tend tout d'abord à renforcer les moyens dédiés au renseignement, pour prévenir les actes terroristes. L'analyse de l'évolution du terrorisme islamiste depuis une décennie aboutit à une conclusion : la prévention du terrorisme passe par un renforcement des moyens à la disposition des services de renseignement pour détecter et stopper le plus en amont possible les projets de nature terroriste.
Le projet de loi vise donc à doter les services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre le terrorisme de sources supplémentaires d'information, dans un cadre de police administrative. L'accès à un plus grand nombre de sources d'information est important pour les services antiterroristes, car cela permet de reconstituer des parcours croisés et des itinéraires personnels.
L'objectif n'est évidemment pas d'instaurer une surveillance généralisée de la population. Il s'agit de collecter le maximum de renseignements sur des individus déjà repérés ou sur des personnes en relation avec ceux-ci.
Ces différentes dispositions visent uniquement à permettre la collecte d'informations supplémentaires, en vue de l'ouverture d'une action judiciaire. La procédure de réquisition administrative des données techniques prévues à l'article 5 s'inspire de ce qui est déjà possible depuis longtemps en matière d'interceptions administratives de sécurité. Or force est de constater que les interceptions de sécurité sont bien plus attentatoires aux libertés individuelles, puisqu'elles portent sur le contenu des communications.
À ce titre, les dispositions présentées, notamment celles qui sont afférentes aux obligations nouvelles des cybercafés en matière de conservation des données techniques, n'ont pas pour objet de complexifier la tâche de ces derniers. Ces établissements offrent un service de qualité et participent à la simplification de la vie de nos concitoyens, en leur rendant accessibles les nouvelles technologies facilitant les communications transnationales. Il ne s'agit que de répondre à la menace précise de l'action terroriste. En ce sens, le fait qu'un des principaux interpellés, lundi dernier, ait été propriétaire d'un cybercafé confirme, s'il en était besoin, l'opportunité de ces mesures.
Surtout, aucune des autorités judiciaires rencontrées n'a exprimé de craintes quant à un éventuel basculement vers un système policier, hors du contrôle du juge. Au contraire, elles ont jugé indispensable de renforcer ces moyens de renseignement.
Le projet tend également à développer l'usage de la vidéosurveillance. La vidéosurveillance peut, dans certains cas, permettre de prévenir des actions terroristes. Cet aspect ne doit toutefois pas être exagéré, le mode opératoire des attentats suicides rendant particulièrement difficiles la détection et l'interruption de l'opération terroriste.
Concernant la vidéosurveillance, je tiens, monsieur le ministre d'État, à attirer votre attention sur la nécessité de publier le plus rapidement possible une circulaire pratique à destination des maires. De nombreuses municipalités attendent en effet cette loi pour installer des systèmes de vidéosurveillance. De la même manière, l'arrêté fixant les normes techniques devra être pris le plus rapidement possible, afin que des travaux qui ne respecteraient pas ces normes ne soient pas inutilement engagés.
Dans le domaine judiciaire, le projet de loi prévoit plusieurs dispositions.
Ainsi, il porte de 10 ans d'emprisonnement à 20 ans de réclusion criminelle la peine prévue pour l'infraction d'association de malfaiteurs à caractère terroriste qui a pour objet la préparation de crimes d'atteintes aux personnes ou d'autres actes terroristes susceptibles d'entraîner la mort. Le projet de loi tend à centraliser auprès des juridictions de l'application des peines de Paris le suivi de l'ensemble des personnes condamnées pour actes de terrorisme ; il permet également, aux termes d'un amendement adopté par les députés, de porter, sous certaines conditions, la garde à vue en matière de terrorisme de quatre à six jours.
La commission des lois a adopté 31 amendements. Ils respectent l'équilibre du texte qui a fait l'objet d'un relatif consensus à l'Assemblée nationale.
Sur le volet policier, elle vous propose principalement des améliorations techniques rétablissant parfois le texte initial du projet de loi.
Deux amendements ont pour objet de renforcer le contrôle des activités de sécurité privée et la sécurité aéroportuaire. En effet, il apparaît que les milieux fondamentalistes tentent d'infiltrer des entreprises de sécurité travaillant en relation avec le transport aérien ou sur des sites sensibles.
Sur le volet judiciaire, afin de répondre à deux lacunes soulignées par nos interlocuteurs au cours des auditions, la commission des lois vous suggère d'introduire deux articles additionnels afin de permettre le jugement des mineurs accusés d'actes de terrorisme par une cour d'assises composée uniquement de magistrats professionnels.
Le dispositif proposé permettrait ainsi d'éviter le risque de pression sur le jury - sur le modèle de ce qui existe déjà pour les majeurs en matière de terrorisme - tout en conservant une spécificité liée à la présence parmi les assesseurs de deux juges pour enfants.
Il permettrait également d'élargir et de simplifier le régime actuel des incriminations de non-justification de ressources correspondant au train de vie, qui ne couvre pas certains délits liés à une économie souterraine susceptible d'alimenter les circuits de financement du terrorisme.
Enfin, la commission des lois vous propose d'approuver la proposition du Gouvernement de créer un groupe de travail sur les modalités d'un contrôle parlementaire des services de renseignement.
En première lecture à l'Assemblée nationale, trois amendements ont eu pour objet, sous des formes différentes, de créer un organe de contrôle des services de renseignement composé de parlementaires.
La France est pratiquement la dernière démocratie occidentale avec le Portugal à ne pas disposer d'une structure parlementaire de contrôle des services de renseignement. Cette exception française a longtemps été justifiée par la crainte qu'un contrôle parlementaire n'entrave ou ne gêne l'action des services de renseignement intérieur et extérieur.
Ce projet de loi, qui renforce notablement les moyens des services de renseignement intérieur, est donc apparu à juste titre comme l'occasion de poser enfin ce débat.
Le Gouvernement a donné un accord de principe sur la création d'un organe de contrôle. Il a donc proposé la création d'un groupe de travail réunissant les représentants des groupes parlementaires des deux assemblées et les fonctionnaires au plus haut niveau des services de renseignement. Les conclusions de ce groupe de travail devraient être rendues avant le 15 février, afin qu'un projet de loi, ou une proposition de loi, puisse être rapidement déposé.
Cette proposition du Gouvernement a reçu l'accord de la quasi-totalité des groupes à l'Assemblée nationale.
Pour qu'un tel organe fonctionne et soit donc utile, une relation de confiance doit s'établir entre les services de renseignement et les parlementaires membres de l'organe de contrôle. Si les conditions du secret ne sont pas réunies, les services de renseignement refuseront de collaborer et ne fourniront que celles des informations qu'ils souhaitent donner.
Ces conditions très particulières font qu'un tel organe de contrôle ne peut pas fonctionner selon les règles habituelles d'organisation des délégations parlementaires ou des offices.
Je souhaite que le Sénat prenne toute sa part à cette réflexion au sein du groupe de travail.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous soumet, la commission vous propose d'adopter ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Alfonsi.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je m'exprimerai brièvement au nom du groupe RDSE, laissant à mon collègue Aymeri de Montesquiou le soin de compléter mes observations.
J'irai donc à l'essentiel en faisant trois observations préliminaires.
Premièrement, ce texte n'est que la traduction d'une lente évolution et s'inscrit dans le droit fil de toutes les mesures votées depuis vingt ans.
Vous comprendrez qu'en qualité d'élu d'une région que vous connaissez tous, la Corse, pour ne pas la nommer, j'aie toujours voté, quitte, en 1986, à me séparer de la gauche de cette assemblée, qui émettait quelques réserves, les textes visant à renforcer les moyens de lutter contre le terrorisme. C'est là une position que j'entends maintenir.
En 1986, nous avons vu la durée de la garde à vue portée à quatre jours, la cour d'assises spéciale créée et une définition des infractions renouvelée.
Ce dispositif a été complété, d'abord, en 1987, puis en 1996 et, enfin, si ma mémoire est bonne, en 2001, sur l'initiative de M. Vaillant. Cela confirme, comme l'a souligné M. Sarkozy, que notre assemblée, toutes sensibilités politiques confondues, a toujours eu pour objectif d'accentuer la répression contre les actes terroristes. Force est également de constater que personne n'a jamais demandé l'abrogation des textes visant à renforcer les moyens de lutter contre le terrorisme, comme cela peut être suggéré dans d'autres circonstances et dans d'autres domaines.
Deuxièmement, ce texte, qui s'inscrit donc dans une démarche entreprise de longue date, vient peaufiner une architecture pénale propre aux actes de terrorisme sans créer aucune rupture. Nul doute qu'il sera à son tour amélioré dès lors que nous disposerons de moyens de lutte plus efficaces, mais il est d'ores et déjà prévu de l'appliquer pendant trois ans.
J'ai le sentiment qu'il constitue un juste équilibre entre l'efficacité et la liberté, entre l'efficacité et la légalité, dans la mesure où, comme vient de le rappeler M. le ministre d'État, il sera appliqué sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des cours suprêmes et du juge.
À cet égard, il convient de préciser qu'une visite à la galerie Saint-Éloi nous a donné l'occasion de mesurer combien était profonde la synergie entre les juges d'instruction, les magistrats et le parquet dans ce domaine. En conséquence, je crois qu'il convient de garder bien présente à l'esprit cette lente évolution pour apprécier les dispositions qui nous sont proposées.
Troisièmement, cela a été dit et répété, le terrorisme est protéiforme. Il convient ainsi de lutter à la fois contre sa forme interne et contre sa forme externe, qui, sous la poussée de l'islamisme, est devenue la plus importante.
Je sais bien que, s'agissant de la Corse, comme le souligne le rapport, on glisse souvent parmi les actes terroristes, cédant à la tentation d'une comptabilité quasi notariale, une explosion de pétard sous une voiture, mais les habitants de cette région ont également vécu l'assassinat du préfet Érignac à qui je rends, de nouveau, hommage aujourd'hui.
Ils ont également vu des immeubles s'effondrer dans le cadre d'attentats « à la libanaise » devant les caméras de la télévision, appelée en renfort pour démoraliser un peu plus l'opinion...
Si je reconnais bien volontiers que les problèmes que pose aujourd'hui le terrorisme islamiste sont d'une tout autre nature, les dispositifs de lutte sont les mêmes et je tiens, après vous, monsieur le ministre d'État, à mettre l'accent sur ce point.
Pour ce qui est du texte lui-même, il intervient alors même que nous constatons que le mandat d'arrêt européen fonctionne assez mal - après avoir connu quelques difficultés avec l'Allemagne, nous risquons d'en rencontrer de nouvelles avec l'Espagne - et que la spécialisation des magistrats est encore insuffisante.
Le projet de loi porte de dix ans d'emprisonnement à vingt ans de réclusion criminelle la peine pour association de malfaiteurs à caractère terroriste. Il nous a été très bien expliqué que, quiconque est condamné à une peine maximale de dix ans peut parfaitement, en bénéficiant de la libération conditionnelle, reprendre et poursuivre ses activités délictueuses en sortant.
L'accent a été mis sur la nécessaire centralisation auprès des juridictions de l'application des peines de Paris. Concernant les juges de l'application des peines, monsieur le ministre d'État, nous ne pouvons souscrire aux propos que vous avez tenus, notamment quand vous avez déclaré qu'ils devaient payer lorsqu'ils commettaient des fautes...
Quoi qu'il en soit, cette centralisation nous paraît positive et ne peut; naturellement que recueillir notre accord.
Concernant la garde à vue, je dirai qu'en 1986, elle n'avait pour fonction que de rechercher l'alibi de l'alibi, en quelque sorte puisque, après quarante-huit heures, quelqu'un pouvait se retrouver libre sans que l'on ait pu vérifier l'authenticité de ses déclarations. Vous proposez donc de la porter à six jours, mais dans des circonstances tout à fait particulières : dans le cadre de recherches internationales et en cas de péril imminent.
L'avocat réapparaissant à l'expiration de la quatre-vingt seizième heure et à l'expiration de la cent vingtième heure de garde à vue, nous ne voyons pas quel danger pourrait faire courir à la société ce texte, prétendument liberticide, alors qu'il ne l'est pas, au motif qu'il allongerait, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, la durée de la garde à vue
Quant à la comparaison avec le Royaume-Uni, où, dites-vous, monsieur le ministre d'État, la garde à vue est de quinze jours, je pense que, compte tenu du fait que dispositif pénal anglo-saxon est très différent du nôtre, elle mérite d'être nuancée.
Le projet de loi tend également à doter les services de police et de gendarmerie d'informations supplémentaires, et nous y sommes tout à fait favorables.
Concernant la vidéosurveillance, elle a fait l'objet d'une discussion en commission. Certains ont fait valoir l'idée, à laquelle M. Türk a répondu fort opportunément, que tout compte fait, la vidéosurveillance pouvait être comparée à la présence passagère d'un agent de police à un carrefour. Certes, mais une présence passagère dure quelques instants, alors que la vidéosurveillance permet, elle, de conserver des données. Cette comparaison mérite donc elle aussi d'être nuancée.
Quoi qu'il en soit, il est important d'accorder aux préfets la possibilité d'autoriser l'accès aux images et la faculté de prescrire l'installation de systèmes de vidéosurveillance, notamment aux gestionnaires de transports collectifs et aux exploitants de lieux ou établissements ouverts au public, comme les cybercafés.
Nous soutiendrons les amendements de la commission, notamment ceux qui visent à prévoir, en cour d'assises, la présence de deux assesseurs juges des enfants : c'est probablement la sagesse !
De même, nous approuvons les dispositions proposées par M. Portelli qui sont si techniques que leur étude détaillée requiert d'être expert en informatique.
Sourires
En conclusion, je dirai que nous n'avons pas, nous, dieu merci, connu de Guantanamo !
Ce texte est une réponse juridique « à la française » permettant, de façon progressive et nuancée, de trouver des réponses fortes aux préoccupations qui sont les vôtres et que nous partageons, monsieur le ministre d'État.
Nous savons ce que sont les aéroports, les gares, ou d'autres lieux aussi fréquentés, et nous ne pouvons nous empêcher de penser que, malgré toutes ces occasions de nuire, les attentats sont finalement assez rares : il convient, à cet égard, de rendre hommage à l'action des services de police. Compte tenu des facilités de communication offertes par les nouvelles technologies, nous ne pouvons qu'être très satisfaits de la situation actuelle. Pour autant, nous ne devons jamais baisser la garde, sachant que des problèmes peuvent toujours survenir.
Vous me permettrez une dernière observation.
Lorsqu'il a été mis en minorité à la Chambre des communes sur le problème de la garde à vue, Tony Blair a déclaré : « Je ne comprends pas comment on peut dire que les libertés civiles d'un petit nombre de suspects de terrorisme passent avant la liberté civique fondamentale d'être protégé du terrorisme. » Je partage ce point de vue.
Cette déclaration est à rapprocher de la position du Conseil constitutionnel, dans une jurisprudence établie: « La prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions, sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle ».
La difficulté réside dans la synthèse entre ces deux propos.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, la majorité de mon groupe est disposée à voter ce texte, la majorité de la minorité, si j'ose m'exprimer ainsi, également. Je laisse à votre sagacité, monsieur le ministre d'État, le soin de décrypter l'expression de ce suffrage !
Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, au nom desquels je m'exprime, condamnent avec la plus grande fermeté le terrorisme, qui constitue une négation de l'humanité et de la démocratie.
Fanatique, aveugle, le terrorisme - à ne pas confondre avec la résistance des peuples qui défendent leur indépendance et leurs libertés - frappe de façon aléatoire, tue des centaines d'innocents, répandant ainsi la terreur en Europe et dans le monde.
En son temps, notre pays en a été victime et, plus récemment, les attentats de Madrid, de Londres, de Casablanca, de Riyad, d'Istanbul, de Bagdad, nous ont rappelé douloureusement son actualité.
Pour combattre durablement le terrorisme et ses auteurs, il convient de s'attaquer au terreau, aux causes qui en font le lit. Des interventions en Afghanistan et en Irak jusqu'au creusement des inégalités entre pays riches et pays pauvres, toutes les tensions qui font le miel des extrémistes ont été, depuis des années, exacerbées, et risquent d'être aggravées tant qu'un nouvel ordre mondial ne sera pas décidé, en premier lieu, par les peuples eux-mêmes.
Aujourd'hui, les terroristes utilisent les rouages de la mondialisation des marchés financiers et sont au fait des technologies de l'information et de la communication. S'attaquer au terrorisme, c'est se rendre capable de le détecter, de connaître ses ramifications et son fonctionnement, afin de pouvoir mieux le prévenir.
On ne peut donc se contenter d'agir au niveau de la seule répression, qui arrive a posteriori, une fois que les attentats ont été commis et qu'ils ont fait des victimes. Réprimer est une chose, prévenir en est une autre.
La lutte contre le terrorisme ne sera aboutie que lorsque l'on sera, autant que faire se peut, en mesure d'empêcher la commission de tels actes. La prévention doit s'opérer, certes, sur le plan de la sécurité, mais aussi sur les plans social, économique et humain.
Les accords de Schengen, en supprimant les frontières au sein de l'Union européenne, ont sans doute facilité les déplacements des terroristes d'un pays à un autre. Aujourd'hui, cette situation est aggravée, car des milliers de kilomètres de frontières sont mal protégés, à la suite de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux États membres.
Or il est évident que notre lutte contre le terrorisme doit intégrer l'échelon européen. Mais il est nécessaire que l'Europe soit plus ferme dans ses choix politiques pour faire face aux terroristes. Il est grand temps, par exemple, que l'Union européenne érige la lutte contre l'argent sale et les activités mafieuses au rang de priorité de son action contre le crime organisé et qu'elle favorise la coopération et le partage des connaissances et de l'expertise. En ce sens, il aurait été intéressant d'attendre les conclusions du Livre blanc.
Pour en revenir à votre texte, monsieur le ministre d'État, les mesures proposées sont décevantes et n'ont rien d'innovant.
Vous reprenez des dispositions anciennes, qui remontent, pour certaines, à plus de dix ans - comme la vidéosurveillance - et qui n'ont jamais fait leur preuve dans la prévention de la délinquance ordinaire.
Il est donc aberrant d'étendre de telles dispositions à la lutte contre le terrorisme et de laisser croire à l'opinion publique qu'elles seront efficaces.
Dans son contenu, votre projet de loi est inutile, car l'arsenal législatif que vous avez fait voter par votre majorité parlementaire depuis 2002 devrait largement suffire. Pourquoi donc en rajouter, si ce n'est pour occuper le terrain politique et renforcer ainsi la stigmatisation envers certaines communautés ?
Nous légiférons une fois encore sans disposer d'une évaluation des législations actuellement en vigueur ; ma collègue Nicole Borvo, en défendant tout à l'heure la question préalable, reviendra plus longuement sur cet aspect.
Votre projet de loi est d'autant plus inutile et inquiétant au regard des libertés que - je le rappelle - notre pays vit toujours à l'heure de l'état d'urgence, lequel permet déjà au Gouvernement de prendre certaines mesures d'exception.
À l'exception se surajoute l'exception !
Sans compter que le système antiterroriste français, dont le volet répressif, datant de la loi de 1986, a déjà été renforcé en 1996 et en 2004, n'avait pas besoin de cette ultime radicalisation. En effet, le dispositif actuel offre déjà une marge de manoeuvre sans équivalent en Europe en raison de l'incrimination d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, et de la notion on ne peut plus floue de « terrorisme ».
Si cette justice d'exception a permis de renforcer la prévention en matière de lutte antiterroriste, rappelons-nous qu'elle a aussi entraîné certains abus, notamment à l'époque de l'affaire Chalabi. Il ne faudrait pas qu'à chaque vague d'attentats, en France ou ailleurs, on radicalise notre législation au nom du terrorisme qui, par essence, est dangereux.
Je crains, à cet égard, que le nouveau régime dérogatoire des infractions terroristes, qui a déjà une tendance naturelle à s'étendre à d'autres infractions - comme la garde à vue de quatre jours, la présence d'un avocat au bout de la soixante-douzième heure, les cours d'assises spéciales, ou encore les perquisitions de nuit appliquées aujourd'hui aux affaires de stupéfiants - ne s'étende bientôt à d'autres cas.
Le coup de filet antiterroriste effectué il y a deux jours en Île-de-France et dans l'Oise démontre, si besoin était, que le présent texte - le septième comportant des mesures liées au terrorisme depuis 1986 - n'était pas nécessaire.
Votre projet de loi est inefficace, monsieur le ministre d'État. Loin de s'attaquer aux causes du terrorisme, il n'aura à coup sûr - et nous le déplorons - aucun impact en termes de lutte contre le terrorisme.
Comme je l'ai dit précédemment, il ne contient pas de dispositions innovantes qui pourraient nous laisser penser que le Gouvernement a une réelle volonté de combattre le terrorisme. Par exemple, la généralisation de la vidéosurveillance - qui n'est pas, admettez-le, une idée neuve - était prévue avant même les attentats de Londres. Ces derniers événements, tragiques, ont simplement permis d'en accélérer la mise en oeuvre et d'en justifier l'extension.
Le Royaume-Uni compte 4 millions de caméras et leur nombre devrait atteindre quelque 25 millions d'ici à 2007. Dans la capitale anglaise, un Londonien est filmé en moyenne trois cents fois, au cours d'une journée, par des dizaines de réseaux différents, de manière plus ou moins visible. Cela a-t-il, pour autant, empêché la capitale anglaise d'être la cible d'attentats meurtriers ? Pas du tout !
Cela a permis de les arrêter, mais cela a aussi « permis » à un innocent de tomber mortellement blessé sous les balles de la police britannique, monsieur le sénateur !
Non seulement les caméras n'ont pas empêché les attentats suicides perpétrés à Londres le 7 juillet dernier, mais elles n'ont pas permis non plus d'éviter la récidive, c'est-à-dire la seconde vague d'attentats, le 21 juillet, alors que les terroristes savaient qu'ils allaient être filmés.
Au mieux, les caméras ont permis d'identifier a posteriori les auteurs d'actes terroristes et, éventuellement, de remonter les filières. Mais en aucun cas elles n'empêchent le passage à l'acte. Or n'est-ce pas précisément l'exigence que la vie d'êtres humains innocents ne soit plus fauchée par ces actes barbares qui doit nous guider ?
Alors ?
De récentes études menées en France et en Grande-Bretagne relativisent d'ailleurs l'efficacité du système de vidéosurveillance. Ces travaux affirment que les caméras n'ont pas d'impact déterminant sur le volume de la délinquance, mais qu'elles contribuent au déplacement de la criminalité.
Inefficace, votre texte est de surcroît loin d'être dissuasif. Les dispositions du projet de loi relatives à l'aggravation des peines, au prolongement de la durée de la garde à vue jusqu'à six jours, à la déchéance de la nationalité ne sont pas dissuasives, et vous le savez !
Croyez-vous vraiment que les terroristes prêts à mourir lisent le code pénal avant de passer à l'acte ? Croyez-vous sincèrement qu'ils craignent d'être emprisonnés ou déchus de la nationalité française ?
Les commanditaires d'actes terroristes et leurs « fantassins » ne sont malheureusement pas des amateurs. Ils savent déjouer et contourner les lois dont ils se moquent d'ailleurs singulièrement.
Ce n'est pas à coup d'articles de loi qu'on lutte contre le terrorisme, c'est avec des pratiques policières toujours plus professionnalisées dans les domaines de l'écoute, du renseignement et de la pénétration des réseaux.
Monsieur Braye, il va falloir que vous fassiez preuve d'un peu plus d'originalité : vos allusions à Moscou et au KGB finissent par nous lasser !
Alors que le texte privilégie l'approche technologique, les services français mettent traditionnellement en avant la force du renseignement humain dans la réussite de leurs enquêtes.
La technologie n'est pas le remède miracle, elle ne peut être qu'un soutien logistique de renseignement et venir en appui a posteriori. Aux dires des spécialistes, la collecte de renseignements demeure le meilleur investissement pour faire obstacle au terrorisme dans les démocraties. Encore faudrait-il renforcer la coordination des services français et déployer des moyens supplémentaires.
Ils n'ont pas beaucoup l'expérience de la démocratie, les communistes !
Monsieur le président, si M. Braye continue de la sorte, je demande une suspension de séance !
Monsieur Braye, je vous en prie, le débat est trop important !
Veuillez poursuivre, madame Assassi.
Monsieur le ministre d'État, votre texte est dangereux pour les libertés tant individuelles que collectives, comme l'a d'ailleurs souligné la CNIL, dans son avis du 10 octobre dernier.
Afin de prévenir et de réprimer le terrorisme, votre projet de loi permet le développement de la vidéosurveillance des personnes sur les lieux publics, le contrôle des déplacements - sur le territoire national et hors de l'Union européenne - de personnes susceptibles de participer à une action terroriste, le contrôle de leurs échanges téléphoniques et électroniques ; enfin, l'accès à certains fichiers centraux du ministère de l'intérieur.
Tous ces outils seront mis à la disposition des services de police et de gendarmerie, qui bénéficieront alors, en dehors de toute procédure judiciaire, d'un accès permanent à des fichiers et à des enregistrements d'images susceptibles de concerner la population tout entière.
C'est dire la dimension considérable que prendront ces nouveaux fichiers qui pourront concerner les actes de la vie quotidienne, les habitudes de vie et les comportements : on est bien loin, ici, de la lutte contre le terrorisme !
Il nous semble que le nécessaire équilibre entre les droits des citoyens et les prérogatives de l'État n'est pas assuré. De même, l'exercice des libertés constitutionnellement protégées n'est pas préservé dans votre texte, qui porte atteinte à la liberté d'aller et venir et aux libertés individuelles, dont le droit au respect de la vie privée est l'une des composantes.
Sans compter les moyens considérables que nécessitera le traitement des données ainsi collectées : les images, les échanges téléphoniques et électroniques, les fichiers... Combien de personnes faudra-t-il pour regarder les images, pour traiter les millions de courriels échangés dans les cybercafés, ou encore les dizaines de milliers de noms de voyageurs de tous les aéroports et de toutes les gares de France ?
Et je ne mentionne que pour mémoire le coût que va induire, par exemple, la vidéosurveillance. Comment allez-vous financer les milliers de caméras supplémentaires, leurs systèmes d'exploitation, leur entretien, la gestion des réseaux, le remplacement du matériel frappé de vétusté ?
Votre projet de loi paraît d'ores et déjà inapplicable.
Pour notre part, nous estimons que la lutte contre le terrorisme passe nécessairement par une lutte résolue contre le financement des activités terroristes. Sans argent, le terrorisme - activité qui coûte cher et qui a, par conséquent, besoin de sources diversifiées de financement - n'aurait plus d'avenir.
L'économie illégale est estimée à environ 1 500 milliards de dollars, soit 5 % de l'économie mondiale, ou deux fois le produit national brut du Royaume-Uni. Un tiers de cette somme provient de l'argent sale généré par les activités criminelles : les trafics de drogue, d'armes, d'or, de diamants ou d'êtres humains. Un autre tiers correspond aux fuites de capitaux provenant de l'évasion fiscale, de la corruption et des transactions frauduleuses. Le tiers restant représente l'économie liée au terrorisme, laquelle est financée pour partie par de l'argent propre.
Si le gel des avoirs figurant à l'article 12 est une mesure intéressante, nous estimons cependant qu'il faut aller plus loin en luttant plus efficacement, par exemple, contre le blanchiment de l'argent sale.
C'est ainsi qu'il aurait été souhaitable de renforcer l'obligation de déclarer les opérations soupçonnées d'être d'origine illicite qui ne s'applique actuellement qu'aux opérations entre les organismes financiers et les personnes physiques ou morales domiciliées, enregistrées ou établies dans l'ex-Birmanie. Nous estimons que cette obligation devrait être étendue à tous les pays dont la législation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux.
Nous sommes, par ailleurs, également favorables à la mise en place d'un droit d'alerte des salariés des organismes financiers lorsqu'ils sont confrontés à une opération douteuse.
Enfin, et toujours dans un souci de renforcer la législation française en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, pourquoi ne pas inscrire dans la loi l'une des recommandations adoptée par la Conférence des parlements de l'Union européenne contre le blanchiment, qui s'est tenue à Paris les 7 et 8 octobre 2002 ?
S'agissant du renforcement de la lutte antiterroriste, les parlementaires étaient en droit d'attendre de la part du Gouvernement un projet de loi d'une tout autre envergure.
En réalité, votre texte s'apparente davantage à une tentative de manipulation de l'opinion publique ! Comme pour toutes les réformes législatives que vous avez imposées depuis 2002, ce projet de loi se fonde sur des évènements particuliers qui secouent l'opinion.
En l'occurrence, vous profitez de l'émotion légitime suscitée par les attentats de Madrid et de Londres pour faire passer des mesures sécuritaires et liberticides.
Agiter ainsi l'épouvantail du terrorisme vous permet de mettre en place tout un dispositif sécuritaire, qui vise à surveiller, ficher, contrôler non seulement une certaine frange de la population - celle des quartiers que vous appelez « sensibles », qui sont aussi les quartiers populaires ! -, mais également l'ensemble du corps social, afin de guetter toute révolte éventuelle.
De même, la modernisation du fichier national transfrontière, au nom de la lutte contre le terrorisme, vous permettra, au passage, de renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière. Vous faites d'une pierre deux coups, au risque d'entraîner l'opinion publique à pratiquer certains amalgames !
Au-delà, vous jouez sur l'effet d'annonce.
Ce texte vous permet, en effet, d'apparaître sévère, car vous voulez renforcer la confiance de la population, dans la perspective des prochaines élections.
Quand la loi d'exception devient le droit commun, la démocratie est en danger. En proposant des mesures aussi attentatoires aux libertés fondamentales, vous faites le jeu des terroristes, qui mettent à l'épreuve les démocraties et se réjouissent de voir celles-ci placer leurs populations sous contrôle permanent.
N'est-ce pas d'ailleurs cette stigmatisation, prélude au sentiment de persécution, qui fait également le terreau du terrorisme ?
La nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d'une société démocratique. Or votre texte ne préserve pas l'équilibre essentiel entre l'exigence de sécurité et le respect des libertés fondamentales.
À cet égard, les dispositions contenues dans votre projet de loi - contrôles des courriels, transferts des données, etc. -, en façonnant durablement l'ordre public et le lien social dans une société, participent de la transformation de notre société.
Ces mesures aggravent le caractère dérogatoire de la législation, sans pour autant nous donner la certitude que la réforme du code pénal permettra de gagner en efficacité.
Si le laxisme n'est bien évidemment pas de mise en matière de lutte antiterroriste, le déploiement de moyens disproportionnés ne saurait pour autant - vous en conviendrez - nous garantir l'absence totale d'attentat.
Le terrorisme met à l'épreuve l'équilibre entre la liberté et la sécurité, ce qui ne peut laisser place à la facilité. Je l'ai dit, le terrorisme est une négation de l'humanité. Cependant, pour notre part, tout en prenant nos responsabilités, nous ne voterons pas ce projet de loi, car nous ne sommes pas prêts à légitimer les graves entorses faites par votre texte aux principes fondamentaux de la démocratie.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le terrorisme constitue aujourd'hui la menace numéro un pour les États démocratiques.
Il nécessite de la part des gouvernements un effort exceptionnel.
Les actes de terrorisme sont graves et intolérables. Ils le sont d'autant plus qu'ils ont pour but de frapper une nation, comme la France, un peuple, comme le peuple français. Ils ont pour objectif de détruire les valeurs que représentent nos institutions.
M. le ministre de l'intérieur l'a souligné, nous nous trouvons plus dans un contexte de guerre, même si celle-ci est différente de celles que nous avons pu connaître précédemment, que dans un contexte classique de lutte contre la délinquance ordinaire.
C'est la raison pour laquelle, à lui seul, le terrorisme justifie que des moyens exceptionnels soient mis en oeuvre. Il est vrai que le sujet que nous abordons ce soir est l'un des plus graves qui puissent se présenter devant le Parlement. Il faut être convaincu que les terroristes peuvent frapper un pays à tout moment. Cela nous a été dit, redit et démontré par les spécialistes, qu'il s'agisse des policiers, des magistrats, des observateurs que nous avons rencontrés lors des auditions de la commission.
Aujourd'hui, vous nous proposez, monsieur le ministre d'État, différentes mesures visant à adapter notre législation aux évolutions de ce fléau. Il s'agit, notamment, de développer le recours à la vidéosurveillance, de renforcer notre législation en matière de transmission des données électroniques et en matière de transmission d'informations sur les voyageurs.
Vous présentez également plusieurs dispositions aggravant la répression du terrorisme. Quelle ne fût pas ma surprise, en effet, et celle d'un certain nombre de mes collègues, de réaliser que de nombreux actes de terrorisme n'étaient punis que d'une peine d'emprisonnement de dix ans ! Si l'on tient compte des durées d'instruction, qui sont le propre de ces dossiers, et des crédits de réduction de peine, cela signifie qu'un certain nombre de personnes sortaient de détention à peine jugées ! Nous ne pouvons pas rester dans cette situation.
Par ailleurs, les mesures concernant le système de gel des avoirs sont également nécessaires.
La centralisation du suivi des détenus pourra sans doute permettre de lutter contre le recrutement en prison des entreprises terroristes, car ce phénomène existe et il s'est malheureusement développé dans un certain nombre d'établissements pénitentiaires.
Il est vrai que, depuis plusieurs années, notre législation ne cesse d'évoluer pour tenir compte du fait que le terrorisme est une menace qui s'étend à un rythme rapide.
Ainsi, avec la loi du 9 mars 2004, dite « loi Perben II », plusieurs dispositions ont été introduites dans notre droit sur l'entraide judiciaire en matière pénale. Elle a également permis de consacrer l'existence d'Eurojust en droit interne et, sur l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon, de transposer l'ensemble des dispositions relatives au mandat d'arrêt européen.
Le texte que nous abordons ce soir complète donc l'ensemble du dispositif. Le groupe de l'Union centriste-UDF soutient toutes ces mesures, qui sont devenues nécessaires pour la protection des citoyens.
En effet, aujourd'hui, le terrorisme évolue, et il évolue à chaque seconde ! Les organisations terroristes savent utiliser à leur profit et à leur avantage, bien souvent avec une rapidité qui dépasse celle de ceux qui veulent combattre leurs entreprises, les moyens modernes de communication, comme la téléphonie mobile ou Internet.
Il est vrai que, il y a quelques années, ces technologies étaient l'apanage de quelques-uns. Aujourd'hui, elles relèvent de la consommation de masse ; elles sont accessibles au plus grand nombre et elles ont d'ailleurs participé à la mondialisation.
Il en va de même de l'accessibilité aux moyens de transport. L'avion n'est plus réservé à quelques personnes et tout le monde peut l'utiliser.
Face à cette mondialisation des réseaux et des moyens de communication, de nouveaux enjeux se sont imposés aux forces de police des États démocratiques. Il est donc nécessaire d'adapter nos systèmes de contrôle et de surveillance aux caractéristiques nouvelles du terrorisme.
Toutefois, nous tous, ici présents, pensons que l'adoption de telles mesures doit se faire en respectant le maintien d'un équilibre acceptable entre les exigences de liberté - auxquelles nous sommes attachées - et les exigences de sécurité. Il est donc important, monsieur le ministre d'État, de réaliser une évaluation de l'incidence et de l'efficacité de telles mesures.
En effet, la moindre erreur en la matière, vous le savez parfaitement, pourrait avoir des conséquences très lourdes. D'ailleurs, c'est ce que cherchent nos adversaires, qui nous poussent à la faute. Si en effet certaines personnes étaient injustement soumises à des mesures contraignantes privatives de liberté, le système que nous mettons en place ne manquerait pas de se retourner contre nous.
C'est pourquoi il est impératif de prévenir les abus, de prêter une attention particulière à l'interprétation des textes que nous allons voter, d'en limiter l'usage à des circonstances très particulières - en l'occurrence à la lutte contre le terrorisme - et de nous donner rendez-vous dans trois ans, pour dresser le bilan, examiner l'efficacité de ces mesures et adapter ces dernières si malheureusement cela se révèle nécessaire.
Pour atteindre cet objectif essentiel, nous devons attacher une attention toute particulière à la formation des policiers, car ils seront personnellement habilités à être les destinataires des données techniques et des informations concernant les voyageurs ou concernant les utilisateurs de téléphonie mobile ou d'Internet.
Le dispositif que vous nous présentez comprend un certain nombre de garanties. Néanmoins, la formation des personnels qui utiliseront tous ces nouveaux outils nous paraît être une garantie supplémentaire indispensable pour prévenir tout risque d'abus.
Je dirai quelques mots sur la dimension européenne et internationale de ce débat, car l'Union européenne constitue désormais une des sources essentielles du droit en matière de lutte contre le terrorisme.
Je ne vous apprendrai rien, monsieur le ministre d'État, chers collègues, en vous disant que le groupe UC-UDF est fermement attaché à l'idée que la politique de lutte contre le terrorisme doit privilégier la coopération entre les États de l'Union européenne.
En tout état de cause, lorsqu'il nous est proposé de transposer une directive sur la transmission d'informations concernant les voyageurs, nous sommes d'accord et satisfaits, d'autant que la France accuse du retard en matière de transposition. L'occasion m'est encore donnée ce soir de rappeler qu'un certain nombre de textes communautaires ne sont toujours pas transposés en droit interne, ce qui est regrettable.
Quoi qu'il en soit, nous avons un autre motif d'inquiétude : certains États de l'Union européenne ne semblent pas avancer aussi rapidement que nous dans ce domaine. Nous souhaiterions que le gouvernement français puisse peser un peu plus sur les institutions européennes ou sur des gouvernements comme ceux de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, qui, récemment, se sont fait remarquer par une certaine hésitation dans la coopération judiciaire européenne.
À titre d'exemple, je rappelle que la France avait proposé avec la Grande-Bretagne, malgré tout, mais aussi avec l'Irlande et la Suède, d'obliger les opérateurs de téléphonie mobile à stocker les fichiers de leurs clients, non pas le contenu des communications mais les données techniques. Un accord, me semble-t-il, sur un projet de directive rendant obligatoire une telle conservation de données techniques vient d'intervenir au début du mois de décembre : c'est un événement important, qui témoigne du rôle que peut avoir notre pays en matière de lutte internationale contre le terrorisme.
Je veux également saluer le rôle du Parlement européen, ce qui n'est pas souvent fait au Sénat. Le Parlement européen oeuvre sur ces sujets en rappelant que la lutte contre le terrorisme ne doit pas faire fi du respect des libertés individuelles. Il s'est notamment inquiété, lors de la préparation d'un projet de convention avec les États-Unis, de ce que ces derniers demandaient de transférer trop d'informations, avec des durées trop longues de conservation et avec un trop grand nombre de destinataires. Le Parlement européen est donc tout à fait dans son rôle.
Enfin, je salue l'excellent rapport de notre collègue Jean-Patrick Courtois, et je le remercie des auditions auxquelles il nous a conviés. Les amendements proposés par la commission des lois du Sénat ne modifient pas l'économie générale de ce texte, mais ils apportent des précisions utiles.
J'évoquerai, notamment, l'amendement qui vise à faire juger les mineurs accusés d'actes de terrorisme par une cour composée uniquement de juges professionnels, et non de jurés issus de la société civile.
Pour conclure, je le répète, le groupe de l'Union centriste-UDF soutiendra l'ensemble des dispositions de ce projet de loi dans la mesure où, d'une part, il fait confiance à ceux qui les utiliseront et où, d'autre part, ces textes connaîtront une application limitée, aussi bien dans leur objet que dans leur durée.
Je regrette, sur un texte aussi important, aux enjeux aussi graves, que notre travail ne fasse pas l'objet d'un consensus. Certes, je comprends que des nuances existent dans l'appréciation des textes, mais s'il est un sujet sur lequel la représentation nationale doit donner non pas seulement l'apparence mais bien la certitude d'avoir trouvé un consensus, ...
M. François Zocchetto. Il nous reste ce débat pour essayer de vous convaincre !
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, à l'orée de nos débats, c'est à des considérations d'ordre général plutôt qu'à un examen des dispositions du texte que je voudrais m'attacher.
Vous me permettrez de céder un instant à la tentation que le grand Churchill diagnostiquait chez les notables vieillissants, la tentation de confondre leurs discours avec leurs souvenirs. Ici, je voudrais partir d'un souvenir personnel, mais très fort, qui remonte au mois de mars dernier.
J'étais à Madrid au moment de la commémoration du terrible attentat, dont chacun a le souvenir, qui a frappé cette ville en mars 2004. À cette occasion étaient réunis, dans le cadre d'un colloque sur le terrorisme, certainement quelques-uns des plus grands spécialistes mondiaux de la matière, ainsi que des représentants des Nations unies, dont le secrétaire général, Kofi Annan, et les membres du Groupe de haut niveau sur les menaces à la sécurité internationale et la réforme du système international, dont je faisais alors partie.
Les choses se déroulaient comme toujours dans ces colloques, c'est-à-dire que tout ce qui était dit était fort intéressant, mais singulièrement « doctrinal », jusqu'au moment où le roi d'Espagne est venu clôturer les travaux.
J'ai entendu dans ma vie beaucoup de discours, mais rarement de la qualité de celui que devait prononcer ce soir-là le roi d'Espagne.
Le roi, évoquant le terrible attentat qui avait frappé Madrid, a eu des mots tout à fait émouvants, personnels, pour décrire ce que ces destins interrompus signifiaient pour les familles : ces femmes, ces hommes partis à leur travail ce matin-là et morts sans que qui que ce soit en Espagne puisse jamais comprendre l'idéologie ayant présidé à cette tragédie.
Puis, allant au-delà, le roi d'Espagne a montré que c'était le peuple espagnol qui était visé par cet attentat. Allant encore au-delà, il a tenu à dire que c'était aussi la démocratie espagnole qui était là défiée. À partir de ce thème, il a montré, comme d'autres avant lui, mais peut-être avec plus de force encore, parce qu'il était alors la voix d'une nation meurtrie, que la première victoire des terroristes serait que la démocratie jette par-dessus bord, à la faveur d'attentats même aussi dramatiques, même aussi douloureux, les principes sur lesquels elle repose.
Nous ne devons pas oublier ce propos.
Au-delà même de la victoire morale que cela représenterait pour le terrorisme international organisé - parce que nous parlons bien de celui-là, ce soir, et non des autres formes de terrorisme, dont la menace paraît moindre par comparaison-, il faudrait bien mesurer ce qu'implique le fait pour des démocraties d'abandonner des principes sur lesquels elles reposent au nom de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme.
J'évoquais à l'instant cette mission que j'avais accomplie pendant un an, avec d'autres, pour le compte des Nations unies. J'ai beaucoup voyagé, j'ai beaucoup écouté. Ce qui m'a le plus frappé, c'est l'accusation permanente d'hypocrisie portée contre les démocraties occidentales, leur double standard, pour reprendre l'expression anglo-saxonne la plus couramment utilisée : aux démocraties occidentales, si promptes à donner des leçons, des garanties à usage interne, la protection des droits fondamentaux, le respect des droits de l'homme. En revanche, pour le monde musulman, car on le pointe bien évidemment du doigt, ces suspects, ces accusés, on leur dénie tous les droits que, par ailleurs, on reconnaît aux criminels.
L'accusation de double standard, chacun le conçoit, n'est pas justifiée, mais y prêter le flanc est tout à fait désastreux, parce que cette accusation a un écho extraordinairement vif chez les jeunes musulmans. Or il faut penser que c'est parmi eux que le terrorisme d'Al-Qaida entend recruter : demain, ce sont ces jeunes qui serviront sa cause et, on le sait, jusqu'au sacrifice de leur vie.
Cela me paraît d'autant plus outrageant que, si l'on veut bien considérer les ravages du terrorisme, on voit que c'est d'abord chez les musulmans qu'ils sont causés.
Quand on regarde la carte mondiale des attentats, sur cet éventail qui va de l'Indonésie jusqu'à l'Afrique du Nord - je n'oublie ni l'Europe ni les États-Unis, mais je me situe délibérément dans le monde musulman -, on constate que, en nombre de victimes, indiscutablement le terrorisme frappe plus, et d'abord, les musulmans eux-mêmes.
L'idée, aberrante, du choc des civilisations n'a donc pas sa place ici.
Au-delà même des valeurs qui les fondent, les démocraties ne doivent pas, dans la lutte contre le terrorisme, prêter le moins du monde le flanc à l'accusation de double standard que j'évoquais tout à l'heure : pour les uns les garanties, pour les autres le mépris des garanties ; pour les uns l'État de droit, pour les autres, Guantanamo.
Je prends exprès cet exemple, qui n'a rien à voir avec notre sujet, mais dont on sait ce qu'il a coûté et ce qu'il coûtera encore en termes de terrorisme aux démocraties occidentales en général et aux États-Unis en particulier. Cela vaut aussi pour les prisons irakiennes.
Cet enseignement, nous avons le devoir, nous, responsables politiques, de le garder en permanence à l'esprit.
Qu'il me suffise de citer sur ce point le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, qui, au cours de cette journée pour moi mémorable, déclarait : « Porter atteinte aux droits de l'homme, aux libertés ne saurait contribuer à la lutte contre le terrorisme. Au contraire, cela permet aux terroristes d'atteindre plus facilement leur objectif en donnant l'impression que la morale est dans leur camp et en suscitant la haine et la méfiance précisément chez ceux parmi lesquels les terroristes sont le plus susceptibles de trouver de nouvelles recrues ».
Peut-on avec plus de force dire les enjeux de la lutte contre le terrorisme ?
Ces principes ont été rappelés, comme il convient, par les plus grandes instances juridictionnelles. Cela est vrai pour la Cour suprême des États-Unis, trop rarement saisie, on le sait, à la suite d'artifices de procédure. Cela est vrai aussi pour la Chambre des Lords, qui a eu l'occasion encore récemment de rappeler au respect des principes fondateurs de la liberté anglaise un gouvernement qui, sur ce point, se laissait aller à quelques tentations.
C'est vrai aussi du Conseil constitutionnel ; il ne se peut comparer bien évidemment aux deux grandes juridictions que j'évoquais précédemment, mais il joue son rôle, à sa place, dans nos institutions. Dans deux décisions de principe, que je crois connaître, puisque l'une date du 3 septembre 1986 et l'autre du 15 janvier 1995, alors que j'avais l'honneur de le présider, le Conseil a rappelé les mêmes principes. Il faut toujours les conserver présents à l'esprit quand il s'agit de la lutte contre le terrorisme.
À cet égard, et s'agissant de la nature même de l'acte terroriste, je dirais que, sous la forme actuelle du terrorisme ici considéré, la plus redoutable qui soit, celle du terrorisme international organisé, le fait pour un groupement organisé à des fins idéologiques de semer la terreur et la dévastation au sein de populations civiles et de causer délibérément la mort de victimes anonymes, dont le terroriste ne sait même pas qui elles seront, constitue, et je vous renvoie sur ce point au statut de la Cour pénale internationale, donc au traité de Rome de 1998, un crime contre l'humanité.
Là, nous ne sommes plus dans l'incertitude qui prévaut toujours lorsqu'il s'agit d'appliquer à des situations passées des concepts juridiques nouveaux, nous ne sommes pas dans un débat sur la rétroactivité. Non, nous sommes en présence de définitions qui s'appliquent exactement à ces situations.
Crime contre l'humanité, cela veut dire bien évidemment fermeté. Cela veut dire que la loi doit ici être utilisée avec toute sa force et même toute sa rigueur. Mais, attention, pour que la loi revête dans ce cas-là toute sa force, pour qu'elle soit porteuse de toute son autorité, pour qu'elle résonne partout dans les coeurs et dans les consciences, il faut qu'elle soit irréprochable !
Cela veut dire, en clair, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, que depuis les poursuites exercées, jusqu'aux condamnations prononcées, les procédures appliquées doivent toujours être irréprochables au regard du respect des libertés fondamentales.
C'est à la lumière de cette exigence, nécessaire et première, que le Parlement français doit apprécier les projets dont il est du devoir du Gouvernement - de tous les gouvernements - de le saisir. À cet égard, nous devons toujours faire preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme et toujours témoigner la même fermeté quand il s'agit de la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux dans cette lutte contre le terrorisme. Ce sont les deux faces d'une même médaille.
À partir de là, et j'irai vite, car j'ai peu de temps, c'est à deux niveaux que cette exigence doit se manifester, et nous aurons l'occasion de les reprendre en détail au cours des débats.
Le premier niveau, qui sera évoqué tout à l'heure par mon ami Louis Mermaz, concerne le respect des principes constitutionnels, ce qui va de soi.
Le second niveau d'exigence, auquel je demande que chacun prête attention, peut être résumé en une interrogation non seulement nécessaire mais majeure dans un État de droit : le renforcement des pouvoirs des forces de police et des prérogatives de l'autorité administrative, qui, par leur nature même, s'exercent contre les citoyens, leurs libertés et leurs droits, même s'il ne constitue pas une violation des droits fondamentaux au sens constitutionnel du terme, doit-il pour autant toujours aboutir à des restrictions ? En d'autres termes, ces pouvoirs accrus sont-ils indispensables à la mission ? Sont-ils même nécessaires ?
On ne peut pas, dans une grande démocratie, ouvrir ainsi la voie à des restrictions de libertés qui ne seraient pas strictement indispensables.
Une autre interrogation résume bien, me semble-t-il, la relation entre les principes d'une grande démocratie et les exigences de la sécurité. Je crois que nous devons la faire nôtre. Elle a été formulée par un juriste exceptionnel, qui a marqué son temps et auquel nous devons d'ailleurs ce très grand progrès dans l'histoire que fut l'instauration du tribunal de Nuremberg. Il s'agit du grand juge américain Frankfurter.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'Attorney general des États-Unis sollicitait des pouvoirs d'exception pour telle ou telle mission, le juge Frankfurter lui tenait le discours suivant : « C'est à vous de justifier que vous n'êtes pas capable d'accomplir votre mission avec les pouvoirs dont vous disposez déjà actuellement. En effet, le respect des libertés fondamentales des citoyens est le premier principe d'une grande démocratie. Par conséquent, vous ne pouvez solliciter de pouvoirs exceptionnels que si et seulement si ces pouvoirs sont réellement indispensables. Des raisons de commodité, de facilité ou d'aisance ne sauraient en aucun cas suffire à les justifier. »
Voilà un sujet sur lequel nous devrons réfléchir au cours du débat.
J'ai, pour ma part, une véritable incertitude, lorsque je regarde - et je ne peux pas m'empêcher de le faire - l'extraordinaire cadence des modifications législatives intervenues dans le domaine.
En matière de terrorisme, nous nous trouvons actuellement dans une situation dont l'origine remonte en fait à l'année 2001.
Ainsi, depuis dix ans, c'est la huitième fois que le Parlement est saisi d'un texte portant sur la lutte contre le terrorisme - et la troisième fois pour ce qui concerne les années les plus récentes !
Depuis 1993 - donc en douze ans -, le régime de la garde à vue a déjà fait l'objet de six modifications, dont trois depuis le 11 septembre 2001. Et voilà que l'on nous en propose une nouvelle !
Je connais la qualité, je dirais même l'excellence des services chargés des libertés publiques, tant au ministère de l'intérieur qu'à la Chancellerie. Je ne peux pas m'empêcher de m'interroger. Ne faudrait-il pas présenter au Parlement un système juridique cohérent, pensé et efficace, qui serait suffisant ? Est-il réellement indispensable de revenir ainsi constamment à la charge ?
Sauf erreur de ma part, nos amis espagnols n'ont pas modifié leur régime de garde à vue, qui est actuellement de cinq jours, et cela depuis 1989. Alors qu'ils ont été atteints -ravagés, dirais-je même - par le terrorisme, ils n'ont jamais jugé nécessaire de procéder à de telles réformes.
Par conséquent, défions-nous ! D'abord, pour les raisons que je viens d'évoquer. Ensuite, parce qu'une accusation est souvent portée et prospère de façon désastreuse là même où doit être menée la véritable bataille contre le terrorisme : dans l'esprit de certains jeunes gens. Je pense à ceux qui n'ont pas nécessairement compris quels étaient les fondements structurels de la démocratie. Nous devons nous montrer exemplaires, afin de leur prouver que la démocratie existe seulement dans le respect des libertés. C'est avant tout dans leur conscience, dans leur esprit, que nous pourrons gagner une telle bataille.
Telles sont les réflexions dont je voulais faire part à la Haute Assemblée. Nous reviendrons plus en détail, au cours du débat, sur les dispositions que vous nous présentez, monsieur le ministre d'État.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Philippe Richert.