Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, les sujets à traiter lors du Conseil européen sous présidence britannique illustrent assez bien, malheureusement, ce qui ne va pas aujourd'hui en Europe.
Je commencerai par le plus petit de ces sujets - ce qui ne veut pas dire qu'il soit sans importance - à savoir la TVA à taux réduit.
Tout d'abord, est-il normal que les taux de TVA sur la restauration ou sur les travaux dans l'habitat ancien relèvent d'une décision européenne ? À l'évidence, la réponse est non, trois fois non !
En effet, il n'y a pas d'incidence transfrontière, pas de distorsion de concurrence possible. Si l'on avait respecté le principe de subsidiarité, l'Europe aurait laissé chaque État membre statuer dans de tels domaines. Et, aujourd'hui, nous n'aurions pas besoin d'une décision à l'unanimité des vingt-cinq États membres pour régler un problème particulier qui n'a rien d'européen.
Ensuite, est-il normal que cette question doive être traitée par le Conseil européen ? La réponse est non, trois fois non !
Le traité sur l'Union européenne, dans son article 4, définit le rôle du Conseil européen de la manière suivante : « Le Conseil européen donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations politiques générales. »
Peut-on sérieusement dire que le taux réduit de la TVA entre dans ce cadre ? Non ! Seulement voilà, lorsque le Conseil des ministres ne parvient pas à statuer, il y a toujours la solution - de facilité - de faire remonter le niveau de décision d'un cran, en l'occurrence au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Et, finalement, l'ordre du jour du Conseil européen se trouve encombré de questions qui n'y ont pas leur place.
Cela m'amène à évoquer un autre point de l'ordre du jour, qui est l'attribution du statut de pays candidat à la Macédoine.
Mon propos n'est pas de mettre en cause la candidature de ce pays : je connais bien la région des Balkans et j'y suis très attaché. Certes, pour l'ensemble des pays des Balkans, la perspective européenne est une incitation décisive à la paix et à la stabilité. Mais tout laisse à penser que, une fois encore, une décision significative concernant l'élargissement va être prise presque en catimini, alors qu'elle va inévitablement créer un précédent. Or il me semble qu'une des leçons du 29 mai 2005, c'est que nos concitoyens acceptent mal l'absence d'une doctrine européenne claire sur la question de l'élargissement.
Jusqu'où peut aller l'élargissement ? Pas de réponse ! Quels approfondissements sont prévus pour compenser l'élargissement alors que le traité constitutionnel est dans les limbes ? Pas davantage de réponse !
Comment s'étonner que nos concitoyens soient inquiets, désorientés, quand l'incertitude et la confusion règnent sur un sujet aussi central ?
Au lieu de décider au coup par coup, sans vision d'ensemble, les chefs d'État et de gouvernement devraient avoir un débat de fond sur l'élargissement, ses limites et ses contreparties institutionnelles, afin de clarifier les choses une fois pour toutes.
J'en viens au sujet phare de la réunion, à savoir les perspectives financières.
Le grand danger que court l'Europe, depuis les résultats négatifs des référendums organisés en France et aux Pays-Bas, est que la tendance au « chacun pour soi » l'emporte de plus en plus.
La négociation sur les perspectives financières est un révélateur de cette tendance. Les progrès de l'Europe ont toujours passé par des compromis à la fois équilibrés et porteurs d'avenir ; et, lorsqu'il il était clair que ce point d'équilibre était trouvé, un consensus s'établissait. Or, cette fois-ci, il en a été autrement. La présidence luxembourgeoise avait pourtant défini, après beaucoup d'efforts, un bon compromis, un bon équilibre, mais ce compromis n'a malheureusement pas fait l'unanimité.
J'ajoute que, d'ordinaire, la présidence fait tout pour parvenir à un accord. Afin de réussir dans son rôle d'« honnête courtier », elle est normalement disposée à faire même un peu plus d'efforts que les autres. Nous n'avons rien pu observer de tel, jusqu'à présent, avec la présidence britannique.
Dans ce contexte inquiétant, une crise n'aurait aucune chance d'être salutaire, contrairement à ce que l'on prétend parfois : l'absence d'accord sur des perspectives financières présenterait au contraire de graves inconvénients.
Bien sûr, l'Europe peut vivre sans elles, mais les perspectives financières donnent de la visibilité, permettent d'inscrire les politiques européennes dans la durée. En même temps, elles encadrent le débat budgétaire annuel.
Sans perspectives financières, nous assisterons chaque année à une guérilla entre le Parlement européen et le Conseil, avec une incertitude permanente. Et il sera très difficile aux nouveaux États membres de programmer les travaux, cofinancés par l'Union, qui doivent permettre leur convergence économique et sociale avec les anciens États membres.
Un accord est donc souhaitable dès que possible. Je ne veux pas surtout pas dire, naturellement, que n'importe quel accord serait préférable à une absence d'accord ! Je veux simplement dire que, si chacun brandit sans relâche ses « lignes rouges », nous n'avancerons pas.
Pour ce qui nous concerne, nous devons éviter le piège que constituerait le refus, le moment venu, d'un débat de fond sur la PAC. Certes, l'accord de Bruxelles protège les crédits de la PAC jusqu'en 2013, et ce point doit rester intangible. Mais un grand débat sur l'avenir de la PAC après 2013 ne doit pas nous faire peur : il est même nécessaire !
La France ne manque pas d'arguments pour montrer que l'Europe a besoin d'une politique agricole commune, que cette politique est globalement efficace et capable d'évoluer. Ne nous laissons donc pas enfermer dans un rôle de gardien du passé quand d'autres incarneraient la modernité, et ne nous prêtons pas à un énième duel franco-britannique, qui serait pour le Royaume-Uni le meilleur des prétextes pour refuser le réexamen de son rabais.
Je souhaite donc, pour ma part, que notre pays se présente au Conseil européen en artisan du compromis, comme il l'a fait toujours fait, y compris sous la présidence luxembourgeoise : le compromis que proposait M. Juncker était bon !
Plus les antagonismes se durciront, plus le Royaume-Uni sera en situation de maintenir un statu quo qui lui est favorable.
C'est en faisant souffler un peu d'esprit européen sur la réunion du Conseil européen que notre pays défendra le mieux ses intérêts et qu'il sera le plus utile.
Nos concitoyens attendent des signaux positifs pour recommencer à croire en l'Europe. Un accord sur les perspectives financières serait un premier signal, mais il en faudrait d'autres !
Je crois que notre pays devrait pour cela reprendre l'initiative. En effet, la crédibilité européenne de la France a été lourdement affectée par le « non » au référendum. Si nous voulons regagner un peu du terrain perdu, nous devons contribuer à une relance européenne.
Cette relance doit s'effectuer sur des sujets concrets, correspondant à des attentes fortes de nos concitoyens.
Je citerai deux exemples.
Tout d'abord, une impulsion européenne en faveur de la croissance est indispensable, mais elle suppose une forte coordination des politiques économiques. L'action de M. Jean-Claude Juncker pour donner consistance à l'Eurogroupe est importante et doit être saluée. Mais un pas reste à franchir pour que l'Eurogroupe devienne ce « gouvernement économique » qui serait requis pour une gestion dynamique de la zone euro.
Ensuite, l'Union doit montrer qu'elle peut répondre au besoin de sécurité des Européens en menant une lutte plus efficace contre les diverses formes de délinquance transfrontalière. Cela suppose d'aller beaucoup plus vite dans la construction d'un véritable espace judiciaire européen. Et n'attendons pas que tout le monde soit d'accord sur ce point !
Lors d'une récente réunion de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Robert Badinter a suggéré la mise en place d'une coopération renforcée dans ce domaine, ce qui est possible sur la base des traités actuels. Voilà un domaine, en effet, où tout laisse à penser qu'il faut envisager d'avancer sans le Royaume-Uni, comme ce fut le cas pour les accords de Schengen et pour l'euro.
En contribuant à une relance de la construction européenne sur des thèmes précis, notre pays présenterait un visage plus positif à l'Europe. Nous ne devons pas être le « pays du non », un pays craintif, frileux, uniquement préoccupé de se protéger. Au contraire, la France doit à nouveau apparaître comme un pays moteur et tourné vers les autres, car c'est de loin son meilleur visage
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, oui, la France se doit de contribuer à redorer le blason européen ; oui, elle se soit de donner une autre image des prises de décisions au sein du Conseil européen. Ainsi, notre pays retrouvera sa juste place dans le concert européen !