Intervention de Robert Bret

Réunion du 14 décembre 2005 à 15h00
Préalable au conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Robert BretRobert Bret :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd'hui, s'il marque un progrès, autorise seulement notre Parlement à donner son avis en vue du Conseil européen, sans aucun pouvoir de contrainte. Cela n'est pas satisfaisant.

On le sait, la notion de déficit démocratique, qui caractérise la construction européenne, renvoie notamment à l'absence de contrôle exercé par le Parlement français sur l'activité communautaire du Gouvernement. Les prérogatives reconnues aux parlements nationaux sont absolument insuffisantes, madame la ministre.

Rappelons que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 n'ont aucun caractère contraignant ; leur effet dépend donc de la volonté du Gouvernement. Le constat lucide du déficit démocratique, qui marque la construction européenne et qui a été dénoncé le 29 mai dernier, ne se résorbera certainement pas par la tenue de ce genre de débat.

À la veille du Conseil européen de Bruxelles, il est important de rappeler aux gouvernants que les électrices et les électeurs ont rejeté le traité constitutionnel lors du référendum. Il est temps, madame la ministre, d'en tirer toutes les conséquences.

Le verdict du 29 mai est devenu la décision de la France et doit être respecté.

À cet égard, la décision prise par le Conseil européen du mois de juin dernier d'ouvrir une période de réflexion est inadmissible. Laisser les États membres qui le souhaitent libres de poursuivre leur ratification est une véritable hypocrisie. Pour entrer en vigueur, le traité constitutionnel doit être ratifié par tous les États membres de l'Union européenne. Or tel n'est pas le cas puisque les référendums français et néerlandais ont été négatifs. Ce traité est donc rejeté.

En conséquence, pour que le suffrage universel soit respecté, madame la ministre, le groupe communiste républicain et citoyen demande que le Président de la République retire la signature de la France du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il lui demande par ailleurs de mettre notre Constitution en conformité avec le vote du 29 mai. Le maintien du deuxième alinéa de son article 88-1 est une insulte au suffrage universel.

Sans attendre que le Gouvernement agisse, nous allons déposer une proposition de loi constitutionnelle portant abrogation de cet article.

L'Union européenne doit décider une nouvelle négociation sur ses institutions et sur les politiques économiques et sociales. Cette nouvelle discussion doit s'ouvrir aux exigences des peuples, qui doivent être associés et consultés. Il faut réorienter la construction européenne dans le sens d'une Europe des peuples, démocratique, synonyme de progrès social, de coopération et de paix.

Cela nécessite, notamment, le retrait pur et simple de la directive Bolkestein et de toutes les directives de mise en oeuvre des politiques libérales. Rappelons tout de même que le projet de directive n'a jamais été retiré.

Le Gouvernement, qui, avant le référendum du 29 mai, déclarait que la directive était « inacceptable » et qu'elle devait « faire l'objet d'une remise à plat », laisse aujourd'hui la procédure législative se poursuivre, alors même que le texte n'a pas abouti à un consensus sur les points clés du projet.

Le dossier est actuellement en attente de la décision en première lecture du Parlement européen. Contrairement à ce que l'on avait voulu nous faire croire, le Conseil européen des 22 et 23 mars dernier n'a donc pas enterré la directive Bolkestein. Or celle-ci consacre le choix de la dévotion aux règles du marché et du nivellement de la protection sociale par le bas à travers le principe du pays d'origine.

Ce principe constitue clairement un renoncement à la logique d'harmonisation qui était théoriquement la doctrine officielle de l'Union européenne. Plus précisément, ce principe instaure une harmonisation « par le bas », un véritable dumping social, en rendant encore plus illusoires les possibilités de contrôle des normes sociales.

Il s'agit là de l'application à la lettre du principe de la concurrence « libre et non faussée », objectif stratégique de la Constitution européenne, rejetée par les Françaises et les Français.

Une manifestation aura lieu à Strasbourg contre la directive Bolkestein, à la veille du débat en séance plénière au Parlement européen. Nous y participerons avec tous les parlementaires qui le voudront. Il faut désormais respecter la parole du peuple souverain et il faut rediriger la construction européenne dans le sens d'une véritable Europe des peuples.

Les négociations calamiteuses sur les perspectives financières pour 2007-2013 reflètent bien la crise existentielle que traverse l'Europe. Et pourtant, ces négociations offrent une occasion historique de répondre à cette attente, madame la ministre. En effet, il s'agit non pas d'une décision technique, mais bien d'un véritable programme politique qui va structurer l'action de l'Union européenne durant les sept prochaines années. Il s'agit de donner à l'Union européenne les moyens de s'engager dans un nouveau projet européen.

Pour qu'elle s'affirme sur la scène mondiale, il faudrait accorder à l'Union européenne des moyens budgétaires nettement accrus et orientés vers des secteurs que, selon notre conception du projet européen, nous considérons comme primordiaux : l'éducation, la culture, la recherche ou les aides extérieures.

S'agissant précisément des aides extérieures, nous déplorons que la politique de coopération et d'aide au développement de l'Europe se soit concentrée, ces dernières années, sur des mesures répressives en débloquant de plus en plus de fonds pour le contrôle des frontières. L'Union européenne ne doit pas se construire une forteresse et mettre en place des politiques fondées sur des systèmes de contrôle policiers sophistiqués, sur le recul de la politique d'asile, sur les centres de rétention.

Face aux graves événements qui se sont produits aux frontières de Ceuta et de Melilla, l'Europe a sa part de responsabilité en externalisant sa politique d'immigration vers des pays tiers. Elle doit apporter d'autres réponses, par exemple en déployant tous les efforts nécessaires pour relancer le partenariat euroméditerranéen. Car dix ans après la déclaration de Barcelone, il reste une coquille vide.

Malgré les nombreux discours sur les objectifs et la portée du partenariat, ce dernier reste indéfini, principalement parce que ses ambitions immenses n'ont pas été réalisées. Il importe donc aujourd'hui que l'Union se donne enfin, au-delà des déclarations d'intention, un projet politique et les moyens de le réaliser, un projet au service de la paix, de la justice et de la solidarité avec le Sud.

Pour 2007-2013, le budget de l'Europe devrait permettre de répondre à des défis considérables tels que la solidarité dans le contexte de l'Union à vingt-cinq, puis à vingt-sept, l'affirmation d'une Europe plus forte, l'affirmation d'une Europe agissant pour un monde plus solidaire et plus sûr, ou encore le progrès de la citoyenneté et de la participation des peuples et la résorption du déficit démocratique de l'Union.

Malheureusement, les gouvernants des États membres ne sont pas à la hauteur de l'attente des peuples nationaux. Les intérêts divergents des gouvernements prennent le dessus et occupent tout l'espace des négociations, conduisant l'Europe à l'impasse.

Le Royaume-Uni, selon les derniers chiffres connus, propose 849, 3 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une diminution de près de 22 milliards d'euros par rapport à l'enveloppe budgétaire proposée au mois de juin par la présidence luxembourgeoise.

Afin de préserver le rabais obtenu par Margaret Thatcher en 1984, le projet préparé par Londres coupe dans les dépenses communautaires, en particulier dans les fonds structurels - aides régionales - au profit des dix pays qui ont intégré l'Union européenne en 2004.

Il s'agirait, en fait, de couper drastiquement dans les crédits alloués au développement des régions pauvres de l'Union et de diminuer ainsi la contribution des pays riches tels que l'Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas.

Il semble, d'après les dernières informations, que le gouvernement britannique, dans son projet révisé, soit revenu sur la réduction de près de 10 % qu'il envisageait. Les coupes passeraient de 14 à 12, 5 milliards d'euros.

Nous refusons, madame la ministre, que l'accord sur les perspectives financières se fasse sur le dos des nouveaux États membres et des régions les plus pauvres des Quinze. Nous savons qu'une réduction de 55 % des zones éligibles est d'ores et déjà annoncée. Les nouveaux États membres redoutent que la baisse du financement de la politique de cohésion n'ait de graves conséquences. Ils ont d'énormes besoins pour se développer, avec des investissements à réaliser dans les infrastructures, les innovations techniques, l'éducation, etc.

Les nouveaux États membres ont donc rejeté la proposition britannique. En fait, quinze à vingt délégations sont franchement hostiles à la proposition britannique. Seules Malte, la Slovaquie et la Slovénie ont soutenu cette proposition.

Tous les regards sont donc tournés vers la présidence britannique. Les négociations sont fondées sur la base des seules propositions de la présidence de l'Union, ce qui les rend très difficiles.

Le Royaume-Uni reste intransigeant sur son rabais. Il ne propose qu'un geste unilatéral de 8 milliards d'euros sur son chèque, soit un peu plus de 1 milliard d'euros par an, la France réclamant, me semble-t-il, 14 milliards d'euros. Ainsi, le Royaume-Uni ne participerait qu'à la moitié du financement de l'élargissement.

La France refuse avec raison les propositions avancées par Londres sur la réduction de son chèque. Elles sont en effet très insuffisantes. Il est vrai que plus rien ne justifie le maintien de ce rabais, car le Royaume-Uni est aujourd'hui l'un des pays les plus prospères d'Europe.

Certes, notre pays est le plus gros contributeur au rabais britannique. Cependant, nous devons garder à l'esprit, madame la ministre, que la France reçoit aussi beaucoup du budget européen, essentiellement au titre de la politique agricole commune, dont elle est la principale bénéficiaire.

De manière générale, nous désapprouvons les calculs comptables de retours nationaux des dépenses communautaires, lesquels empoisonnent les discussions et s'opposent à l'esprit de solidarité qui devrait animer la construction européenne. La contribution des États membres devrait être présentée comme une ambition et non simplement comme un coût.

Concernant la volonté de votre gouvernement, madame la ministre, de ne pas remettre en question les accords conclus pour la PAC - M. Douste-Blazy a parlé de fidélité aux engagements pris jusqu'en 2013 -, nous tenons à réaffirmer notre inquiétude à l'égard d'une politique qui crée des discriminations envers les petites et moyennes exploitations nationales et qui affecte l'agriculture des pays du tiers-monde en maintenant les aides à l'exportation.

À l'heure où se tient la conférence ministérielle de Hong Kong, je tiens à souligner les conséquences négatives de la libéralisation agricole pour les pays en développement et les exploitations les plus vulnérables.

Alors que cette conférence tente de relancer les négociations du vaste programme de Doha, je rappelle que si ce programme de négociations évoque à de multiples reprises l'importance de la promotion du développement, il répond en fait surtout aux attentes des pays riches et contribue à donner davantage de pouvoirs à l'OMC, tout en restreignant le droit pour chaque pays de promouvoir son propre modèle de développement.

Pour conclure, en dépit du contexte exceptionnel que nous vivons, on ne perçoit aucune volonté de mettre en oeuvre une véritable politique de relance. La bataille sur les perspectives financières reflète simplement l'absence d'un esprit de solidarité en Europe. La question fondamentale d'une augmentation du budget européen est éludée. Pourtant, seul un budget digne de ce nom serait à même de permettre à l'Union de financer des politiques communes ambitieuses et solidaires et de répondre aux attentes des peuples.

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