Intervention de Denis Badré

Réunion du 14 décembre 2005 à 15h00
Préalable au conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Denis BadréDenis Badré :

Madame la ministre, nous voici à la veille d'un nouveau Conseil européen, et il est bon que le Parlement soit appelé à vous faire connaître ses attentes. D'autant que ce Conseil a été présenté par le Premier ministre comme historique. Il le sera si la France et ses partenaires en ont la volonté. Vous me connaissez : j'aimerais évidemment que ce soit le cas. Mais j'ai quelques doutes. Je ne suis pas certain que les conditions soient vraiment réunies pour que se manifeste une volonté politique réelle et partagée, susceptible d'inscrire ce Conseil dans l'histoire.

Que s'est-il passé depuis le 29 mai dernier ? Aux yeux de l'opinion publique, assez peu de choses ! En tout cas pas de quoi rassurer ceux qui croient que l'Europe de Robert Schuman et de Jean Monnet doit poursuivre sa construction avec l'inspiration et le souffle renouvelé qu'exige un monde difficile.

Bien sûr, il n'y a pas de plan B ! Mais nous savions qu'un tel plan ne pouvait exister que comme argument de campagne, argument bien triste, au demeurant.

La candidature de la Turquie a été officiellement lancée et le travail sur des directives est toujours assez peu lisible pour le grand public.

L'Europe essaie de survivre, sans avoir de grand message à délivrer, ni aux Européens ni au monde. Elle survit, car nul ne pourra tuer, me semble-t-il, ce merveilleux projet de paix et de liberté que la France et l'Allemagne ont offert à notre vieux continent tourmenté, torturé, exsangue de l'après-guerre.

Donc, elle gère ! Si je parle de l'Europe en disant « elle », c'est bien parce que je ne peux plus dire « nous », la France et ses partenaires, « nous » les Européens. L'Europe, c'est de nouveau a minima « Bruxelles », cette entité un peu abstraite, bureaucratique, budgétivore, bouc émissaire pratique pour tous les membres de l'Union qui ne veulent assumer ni leurs contradictions ni leurs incapacités

L'Union avance quand elle est vivante chez tous ses membres, quand elle est portée par tous, quand elle est enracinée dans la confiance des Européens, et au premier chef des Français.

Réapprenons donc à parler de l'Europe en disant « nous ». Ce jour-là, nous aurons gagné !

Le 29 mai, pour de multiples raisons, la France a stoppé un élan. Ceux de ses partenaires qui avaient déjà dit oui se sont trouvés eux-mêmes arrêtés net à cause de nous, contre leur gré. Ne nous étonnons pas qu'ils nous en veuillent et que notre autorité en Europe soit atteinte. Il fallait que nous nous fassions un peu oublier. C'est fait ! Aujourd'hui, nous devons nous remettre comme les autres, et parmi eux, sans arrogance, au service de l'Europe.

Or, madame la ministre, les Français n'entendent toujours pas vraiment la France parler de l'Europe. Ils ne l'entendent plus suffisamment parler à l'Europe. Ils ne l'entendent pas non plus parler au monde avec l'Europe.

Avant le 29 mai, les Français ont débattu avec passion de l'Europe, du pourquoi, du comment, du quoi, du jusqu'où. Et puis, du jour au lendemain, on a parlé d'autre chose. Le livre était refermé sur les passions soulevées, sur l'attente exprimée. Silence ! D'autres préoccupations nous appelaient sans doute.

N'avions-nous pourtant pas dit aux Français que, sur nombre de sujets aussi lourds que l'emploi et les délocalisations, la sécurité intérieure et extérieure, la compétitivité ou la recherche, les vraies solutions durables passaient par l'Europe ?

Madame la ministre, avec mes collègues de l'UDF, nous voulons continuer à y croire. La France a mis l'Europe en panne. Il lui faut aujourd'hui, avec autant d'humilité que de courage et de détermination, renouer avec l'histoire, avec sa propre histoire, dont la construction européenne est partie intégrante et sans doute l'une des plus belles pages.

Faute de pouvoir aller suffisamment vite vers l'Europe politique que le monde attend, essayez au moins, à Londres, de remobiliser les responsables politiques des États de l'Union. Il faut qu'ils affirment haut et clair qu'ils croient plus que jamais en cette communauté de destin qu'est l'Union. Alors, le sommet aura été historique.

Madame la ministre, nous préférons qu'il n'apporte rien de directement concret s'il peut jeter les bases d'un nouveau départ solide en 2006. À quoi bon s'obliger à boucler à n'importe quel prix, pour reprendre l'expression de M. le ministre, un dossier aussi lourd que celui des perspectives financières ? Un communiqué présentable n'est pas une fin en soi. Nous sommes au temps où la volonté politique doit à nouveau parler sur le fond des choses. Il faut « fixer le cap » et mettre à la voile, avant de chercher de manière plus ou moins hasardeuse à « doubler un cap » inconnu.

Ce que le Royaume-Uni n'aura pas fait, ceux que l'on appelle les « petits » et les « nouveaux » pays, qui nous apportent une flamme européenne intacte, le feront, et ce sera une bonne chose. Acceptons qu'ils nous apportent leur part d'Europe, qu'ils portent leur part de la responsabilité commune.

Nos partenaires ont chacun leur idée de l'Europe. Vivons ce pluralisme comme une richesse. Après la visite que vous venez de faire en Autriche, madame le ministre, visite à laquelle vous avez eu l'amabilité de m'associer, le président du groupe d'amitié France-Autriche que je suis est assez confiant. L'Autriche va très certainement nous proposer une grande présidence. Sachons rester à ses côtés. Ce qui n'aura pas été fait à Londres le sera à Vienne, capitale incontestée de la diplomatie.

Je ne m'attarderai pas sur le détail de l'ordre du jour du Conseil.

Gardons-nous de considérer la question de la Macédoine comme marginale. Elle est au contraire symbolique en un temps où il faut redessiner le « projet ». L'Europe est la solution pour les Balkans. Mais pour prendre en compte l'intérêt de l'Union comme de chacun des pays des Balkans, il faudra évidemment savoir donner du temps au temps et traiter à fond tous les problèmes. Simplement, la Macédoine nous attend : plus l'échéance sera éloignée, plus le message initial que nous enverrons devra être fort et porteur de signification et d'espoir. C'est ce que la Macédoine attend aujourd'hui, comme l'ensemble des pays des Balkans.

Je cite, pour mémoire, les problèmes de taux réduits de TVA. Au cours des derniers jours et des dernières nuits, nous avons tout dit à leur sujet.

Je m'arrêterai plutôt sur le dossier des « perspectives financières », sans toutefois le reprendre dans le détail. Mon rapport sur l'article du projet de loi de finances qui fixe notre contribution pour 2006 détaille suffisamment largement, me semble-t-il, nos analyses. Et je crois, madame le ministre, que vous les faites vôtres.

Vous savez donc tout le mal que je pense du système budgétaire européen. Arrêter de nouvelles perspectives sur d'aussi mauvaises bases nous fera repartir pour six ans en boitant. J'aimerais que la difficulté à conclure soit saisie pour que l'on reprenne vraiment la question sur le fond. Elle est d'importance ; elle est vraiment politique.

Il faudra un jour sortir d'un système dans lequel le budget européen voit ses recettes votées par les Parlements nationaux et ses dépenses décidées par le Parlement européen. La démocratie comme les citoyens ne peuvent s'y retrouver.

Cette manière de faire sert simplement les thèses des fanatiques de la désunion, de la confrontation des intérêts nationaux particuliers, des « retours-nets », des chèques britanniques. Rien de communautaire dans tout cela ! J'indiquerai simplement que le coût, pour la France, du chèque britannique est identique à celui du passage au taux réduit de la TVA sur la restauration, à savoir 1, 5 milliard d'euros.

Il faut aujourd'hui rendre sa place à l'intérêt commun, véritable moteur de l'Union. Si le sommet ne réaffirme que cela, il restera dans l'histoire. Le temps n'est plus au marchandage et aux mauvais accords. Reprenons de la hauteur !

La mise en évidence de l'intérêt commun est le principe de l'Union ; il sous-tend le projet européen. Pourquoi ne pas proposer que l'on parle de « perspectives politiques » de l'Europe, là où l'insuffisante implication, voire parfois la démission des politiques, amène à marchander des « perspectives financières » qui n'ont de perspectives que le nom.

On doit aussi reprendre une véritable réflexion politique sur une PAC - choix de société au service de tous les consommateurs européens et non des seuls agriculteurs français - fondée sur le principe de la préférence communautaire. J'en ai souvent parlé, je n'y insiste donc pas. C'est possible, et il faudra le faire, comme le disait M. Haenel tout à l'heure.

Enfin, c'est toujours pour des raisons politiques que je proposais, le 30 novembre dernier, de mettre au coeur de notre projet une nouvelle stratégie de Lisbonne, plus lisible, plus porteuse d'avenir, qui réponde à la préoccupation centrale des Européens : l'emploi.

Cette proposition pourrait être structurée autour de deux axes : une politique scientifique et européenne pour rester compétitif par rapport à nos concurrents développés ; une politique d'aide au développement pour réduire les déséquilibres économiques et sociaux du monde, et pour nous permettre d'apporter notre contribution au développement des pays moins développés.

L'Europe attend toujours la France. Il nous faut réparer la brisure du 29 mai en remettant le sens de l'intérêt commun au service du projet de paix que nous avons offert au monde il y a cinquante ans, de ce projet de paix que nous devons continuer à construire, quoi qu'il arrive. N'oublions jamais que c'est ce que nous pourrons léguer de meilleur à nos enfants.

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