Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 14 décembre 2005 à 15h00
Préalable au conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sommets européens qui se tiennent à Bruxelles à l'issue de chaque période de présidence vont-ils devenir la manifestation régulière de la crise de l'Union européenne, l'illustration périodique de son impuissance ?

Après une présidence luxembourgeoise dont tous les observateurs avaient souligné la qualité, le sommet de juin dernier s'est achevé par un double échec institutionnel et budgétaire.

À la veille d'un nouveau sommet, toutes les conditions semblent réunies pour que l'Union européenne s'enfonce davantage dans la crise.

Sauf bouleversement de dernière minute, il semble que l'on peut tenir pour acquis l'échec total de la présidence britannique, qui n'a fait progresser l'Union européenne sur aucun des dossiers en suspens. Loin de rechercher un intérêt général européen, cette présidence s'est engagée, à chacune de ses interventions, dans la défense prioritaire de ses intérêts nationaux.

Qu'il s'agisse de la dernière proposition britannique d'un budget européen à 1, 03 % du revenu national brut, ou de la défense d'un régime dérogatoire permanent en matière de durée hebdomadaire du temps de travail, le Royaume-Uni a davantage cherché, me semble-t-il, à imposer son point de vue qu'à trouver les compromis nécessaires dans l'intérêt de l'Union.

L'approfondissement de la crise européenne est patent. Mais cette situation ne correspond-elle pas à un aboutissement souhaité par certains États membres, qui privilégient la réduction de l'ambition européenne, et se contenteraient de l'existence d'une simple zone de libre-échange avec un niveau minimal des normes sociales et environnementales ?

On constate donc, et nous le regrettons, l'incapacité de l'Union européenne à formuler une ambition commune se traduisant par des réalisations concrètes. En revanche, chaque sommet européen apporte son lot de déclarations générales et généreuses renvoyant à une stratégie de Lisbonne supposée construire une Europe du progrès social, de la compétitivité et de l'emploi. La réalité de l'Europe est tout autre et apporte un démenti permanent à ces discours lénifiants.

De fait, chaque État campe sur une position qui réclame à l'Union européenne l'optimisation de son intérêt national. Cet état d'esprit, qui n'est que l'ultime avatar de la théorie thatchérienne du juste retour, est un facteur de destruction de l'Union européenne. Comment, en effet, croire que de la somme d'intérêts nationaux particuliers, d'ailleurs contradictoires, se dégagera un intérêt général européen ?

Tant que cette démarche s'imposera, l'Europe sera en panne et s'avérera incapable de relever les défis auxquels elle est, en tout état de cause, confrontée.

Le premier défi est celui de l'élargissement.

L'heure n'est plus aujourd'hui à s'interroger sur le bien-fondé de l'élargissement à l'Est ; si cette question a pu apparaître à certains comme pertinente, elle est néanmoins aujourd'hui dépassée. Il faut donc réussir l'élargissement, et pour cela développer les efforts nécessaires pour réduire les écarts de développement. Ce que l'Union européenne a su faire hier vis-à-vis de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande et de la Grèce, il faut le reproduire avec les nouveaux arrivants.

C'est pour cette raison que les perspectives financières pour 2007-2013 doivent se situer à un niveau suffisamment ambitieux. Il est illusoire de croire qu'un budget européen fixé à 1, 03 % du RNB puisse permettre à la fois de relever le défi de solidarité avec les nouveaux États membres, de maintenir un niveau suffisant pour une politique de cohésion dans l'ancienne Europe des quinze, et de développer des politiques européennes dans des secteurs d'avenir.

La dernière proposition britannique est particulièrement affligeante et doit rencontrer de la part de la France un refus catégorique. La conséquence de ces propositions de perspectives financières rabougries serait le démantèlement de plusieurs politiques européennes et, au premier rang d'entre elles, de la politique des fonds structurels.

Conclues sur le dos des nouveaux États membres qui, devant l'urgence de leurs besoins, seraient obligés d'accepter une version minimale, ces perspectives financières britanniques détermineraient en réalité comme horizon européen la fixation du chèque britannique au niveau le plus élevé compte tenu des contraintes politiques. C'est inacceptable !

La France, premier contributeur au chèque britannique, ne doit pas, à Bruxelles, se laisser enfermer dans un tête-à-tête franco-britannique, où la politique agricole ne serait que la monnaie d'échange d'un rabais, justifié hier, mais qui s'apparente et s'apparentera de plus en plus à un pactole, à une rente, tandis que le Royaume-Uni est devenu l'un des pays les plus riches de l'Europe.

Il est donc nécessaire que la France - en a-t-elle la volonté ? - plaide pour un financement équitablement réparti du budget de l'Union. Dans le même temps, elle doit affirmer sa volonté que ce budget permette de financer au bon niveau de véritables politiques communes.

Si nous souhaitons qu'un accord soit trouvé, il ne doit pas l'être au prix d'un démantèlement des politiques communes, car un tel accord mettrait en réalité un terme à une véritable ambition européenne. Si tel était le cas, la prolongation de la discussion budgétaire s'imposerait comme une nécessité.

Au défi de l'élargissement s'ajoute le défi des institutions. Là encore, un constat s'impose : la quasi-incapacité du Conseil européen à prendre des décisions. Les procédures de décision, qui avaient atteint leurs limites avec l'Europe des Neuf, puis des Douze, puis des Quinze, se révèlent aujourd'hui totalement inadaptées à l'Europe des Vingt-cinq. Le droit de veto, corollaire de la règle d'unanimité, permet à chaque État de bloquer une avancée commune pour marchander l'obtention d'un avantage particulier. L'Europe y perd sa crédibilité et se condamne à l'immobilisme, voire à sa déconstruction.

Il faut accepter les résultats du référendum en France, mais il faut aussi remettre en chantier, le plus rapidement possible, un nouveau processus de décision adapté à l'Europe des Vingt-cinq. C'est essentiel pour ceux qui souhaitent la construction d'une véritable union.

Un Conseil inefficace et sans capacité de décision laisse le champ libre à la Commission européenne pour développer des orientations de plus en plus libérales. On peut craindre que cela n'aboutisse à une dérive autoritaire de la Commission européenne - et de son président -, dont le programme législatif pour 2006 exprime très clairement la volonté d'aller plus avant dans la déréglementation.

L'initiative prise par la Commission de simplifier la législation communautaire n'est pas automatiquement, à nos yeux, synonyme de progrès. Nous attendons pour les citoyens européens des garanties pour que cette initiative ne soit pas le masque d'une opération généralisée de déréglementation. Or jamais le marché, aveugle à long terme par définition, ne pourra être le moteur de politiques vitales pour la construction européenne.

Dans de nombreux domaines, tels que l'environnement, l'énergie, l'harmonisation fiscale et sociale, nous avons besoin d'une législation européenne qui redonne confiance aux citoyens européens et les protège.

Prompte à retirer certaines directives, la Commission européenne montre en revanche beaucoup de lenteur sur d'autres domaines, pourtant sensibles, comme la directive « Services ». La récente évolution du débat sur ce sujet au Parlement européen, qui a vu Mme Evelyne Gebhardt s'abstenir sur son propre rapport lors de la réunion de la Commission « marché intérieur » du Parlement européen, nous inquiète.

Nous attendons que, sur ce point précis, la France s'exprime avec netteté et fermeté, qu'en conséquence elle exige de nouveau le retrait de la directive « Services » et sa remise à plat intégrale au moment où la tentation de passer en force existe à la Commission européenne.

Il faut abandonner le principe du pays d'origine qui aboutira, comme l'a très bien signalé la Confédération européenne des syndicats, à « mettre en concurrence inégale les prestations de services, créant de nouvelles formes de discrimination inacceptable et mettant en péril les emplois au lieu d'en créer de nouveaux ».

La nouvelle rédaction de la directive « services » doit exclure de son champ d'application les services sociaux, l'eau et tous les services économiques d'intérêt général. Il faut donc que, préalablement à toute nouvelle directive sur les services, l'Union européenne ait adopté une loi-cadre sur les services publics.

Madame la ministre, la France doit clairement exprimer son refus de voir le logement social, les services à la personne, l'enseignement supérieur traités par l'Europe comme n'importe quels services marchands.

En conclusion, je veux réaffirmer, au nom du groupe socialiste, qu'une Europe forte et volontaire est plus que jamais nécessaire aujourd'hui pour résister au grand vent de la mondialisation libérale.

Les citoyens croiront de nouveau à l'Europe quand leurs propres États concevront ensemble un projet social au bénéfice des Européens.

Mes chers collègues, puisse le sommet de Bruxelles marquer un pas dans cette direction !

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