Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 21 novembre 2023 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2024 — Vote sur l'ensemble

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, durant une semaine, nous avons débattu du budget de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement. Ce budget est en déficit et il le sera plus encore au fil des ans, selon la trajectoire établie : 8 milliards d’euros, 11 milliards d’euros… jusqu’à 17 milliards d’euros en 2027 !

Cette trajectoire inédite est l’œuvre d’un Gouvernement qui, faute de parvenir à rétablir les comptes sociaux, fragilise la sécurité sociale dans ses fondements en répandant dans l’opinion publique l’idée que notre système ne serait pas soutenable dans la durée.

Cette semaine de débats nous aura utilement confirmé qu’il s’agissait d’un choix. En effet, les dépenses de santé progressent plus vite que la richesse nationale sous l’effet de différents facteurs : la population vieillit, les problématiques liées à la dépendance se multiplient et le coût de nombreux soins augmente fortement. Tout cela entraîne une augmentation des dépenses évaluée à 4 % par an environ quand, pour sa part, le Gouvernement propose un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) en hausse de 3, 2 % seulement, ce qui rend le budget intenable de l’avis général des acteurs du monde de la santé.

L’année dernière déjà, malgré nos alertes, il avait fallu majorer l’Ondam de 1, 2 % en 2023.

Pour arriver à cette hausse de 3, 2 %, le Gouvernement maltraite d’abord l’hôpital. De fait, en raison des hausses liées aux revalorisations du personnel, qui sont les bienvenues, il ne reste aucune marge pour faire face à l’inflation et aux besoins du quotidien hospitalier. L’année 2024 sera encore plus dure que 2023 pour nos hôpitaux. Des activités vitales sont touchées, par exemple la néonatalogie ou les lignes d’urgences premières.

Ensuite, le Gouvernement maltraite le secteur de ville. Les négociations conventionnelles y reprennent avec les médecins et reprendront sans doute avec les pharmaciens, dont l’exercice en officine est de plus en plus fragile, sans qu’un seul euro soit inscrit au budget.

Enfin, le Gouvernement maltraite le secteur de l’autonomie, dans lequel de nombreux établissements sont en grande difficulté financière. Il faudra leur apporter des réponses et de nouveaux moyens en 2024, bien au-delà des 100 millions d’euros supplémentaires abondés au cours de l’examen du texte. Si le bien vieillir devait être une politique sociale et sociétale structurante, pour l’instant il relève davantage du slogan et de l’avorton législatif…

Tout indique que les dépenses, en 2024, dépasseront le budget voté. Dès lors, les recettes seront-elles majorées pour éviter de creuser plus encore le déficit ?

En la matière, le Gouvernement paraît ne suivre qu’une orientation : lier la hausse de recettes à l’amélioration espérée de l’emploi. Il a rejeté presque toutes les propositions relatives à la réduction des exonérations et à la fiscalité comportementale, ainsi que les propositions de prélèvements portant sur le capital et sur les revenus des actionnaires.

Quand les dépenses augmentent et que les recettes les couvrent de moins en moins, quelle solution reste-t-il ? Le transfert, que nous constatons, de dépenses hors du périmètre de la sécurité sociale vers les ménages, soit directement, avec les franchises, soit au travers des organismes complémentaires d’assurance maladie (Ocam), avec les baisses de remboursement des soins dentaires.

Nous votons un budget qui sera, j’en prends le pari, modifié en cours d’exercice par voie réglementaire.

Certes, ce budget comprend des mesures positives : le déploiement de la vaccination contre le virus du papillome humain (HPV, Human Papillomavirus), les dispositions relatives à la santé des femmes et une modification du financement des hôpitaux dont nous approuvons le principe et attendons les modalités.

Toutefois, ces mesures ne peuvent faire oublier le cadre général restrictif, la procrastination politique sur la dépendance et l’inexistence de politiques affirmées sur la famille et sur les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Ces deux derniers sujets souffrent du désintérêt ancien pour la prévention.

En définitive, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est décevant, car il n’impulse aucun des changements profonds indispensables au maintien d’un système solidaire.

Premièrement, il n’interroge pas la dégradation des indicateurs de santé du pays : nous occupons désormais la treizième place des pays de l’OCDE en termes d’espérance de vie à la naissance et la mortalité infantile progresse.

Deuxièmement, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne remet pas en cause la construction de l’Ondam pour mieux prendre en compte les besoins de santé en les appuyant sur une approche territoriale.

Troisièmement, ce projet de loi ne porte pas le virage de la prévention qui impose d’affronter avec volontarisme les consommations de tabac et d’alcool, les facteurs environnementaux, la qualité de notre alimentation et l’activité physique.

Quatrièmement, il ne contient aucune mesure de nature à freiner la financiarisation du système de santé, qui transforme les cotisations des assurés sociaux en revenus pour actionnaires. Comment, dans de telles conditions, prétendre agir sur la pertinence des soins ?

Cinquièmement, ce projet de loi laisse les pénuries multiples se répandre.

Vous l’aurez compris, nous estimons, madame, monsieur les ministres, que le budget que vous nous présentez est une impasse. La crise sanitaire qui a frappé en 2020 est derrière nous, mais les enseignements ne sont pas tirés.

Alors qu’il faudrait réunir un large accord politique pour rénover en profondeur notre protection sociale et notre système de santé, la faiblesse de votre base en la matière empêche le Parlement de remplir pleinement son rôle. Les contournements sur le format du Conseil national de la refondation (CNR) ne règlent rien. Le résultat est là et nous le désapprouvons.

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