Monsieur le président, monsieur le sénateur Bourgi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd'hui dans le cadre de la niche socialiste pour débattre d'un sujet de grande importance et sans aucun doute trop longtemps oublié.
Je veux le dire d'emblée, monsieur le sénateur Bourgi : votre proposition de loi a indubitablement beaucoup de sens, et je vous remercie chaleureusement de l'avoir déposée.
En vous écoutant tout à l'heure, je songeais que même si tout n'est pas parfait, l'on peine à imaginer aujourd'hui à quel point les homosexuels ont été maltraités, malmenés et méprisés dans le passé.
Au fond, nous sommes réunis aujourd'hui pour affirmer que la République n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle sait reconnaître ses erreurs et, dans le cas présent, ses fautes.
Votre texte, monsieur le sénateur Bourgi, a pour objet la reconnaissance, par la République française, de la politique de discrimination mise en œuvre pendant près de quarante ans à l'encontre des personnes homosexuelles et des personnes condamnées en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée.
Si cette politique passée de discriminations fait aujourd'hui honte à notre République, je tiens à rappeler qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Alors que les relations homosexuelles étaient incriminées durant l'Ancien régime, elles ont été décriminalisées en 1791 au lendemain de la Révolution, de sorte que, pendant plus d'un siècle et demi, aucune incrimination de l'homosexualité n'était en vigueur en France.
Fort de cette législation, notre pays était l'un des plus progressistes, mais tout cela a été balayé avec l'instauration du régime de Vichy qui eut raison de cet acquis. La loi du 6 août 1942 modifiant l'article 334 du code pénal punit en effet d'une peine d'emprisonnement de six mois à trois ans quiconque commet un ou plusieurs actes impudiques ou contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.
Comme vous le rappelez, monsieur le sénateur Bourgi, ces évolutions législatives ont bouleversé et parfois détruit la vie des homosexuels de l'époque, en donnant une base légale à ce qui fut une véritable répression, non pas de ce qu'elles faisaient, mais de ce qu'elles étaient. Cela, nous ne l'acceptons plus, et aujourd'hui non seulement nous le reconnaissons, mais, grâce à votre proposition de loi, nous le dénonçons, monsieur le sénateur.
Au fond, vous substituez à une loi de haine une loi d'unité, de reconnaissance et de mémoire. J'y suis favorable.
Il m'est impossible de ne pas rappeler qu'il fallut, pour mettre un terme à cette répression pénale, attendre Robert Badinter, sa majorité socialiste d'alors et la loi du 4 août 1982 pour que cette disposition soit – enfin ! – abrogée, mettant un terme à quarante années de pénalisation de l'homosexualité.
Lorsque l'on parle de Badinter, tout le monde pense à l'abolition de la peine de mort, qui constitue déjà une œuvre presque complète pour un garde des sceaux.
Après ma prise de fonctions, l'un de mes très anciens prédécesseurs m'avait confessé la difficulté qui fut la sienne de prendre la fonction de garde des sceaux après l'illustre Badinter. « Que voulez-vous, Éric, on n'abolit la peine de mort qu'une seule fois ! », m'avait-il soufflé, mi-résigné mi-philosophe.
Heureusement pour lui, il avait oublié cette autre œuvre majeure que fut la dépénalisation de l'homosexualité !
Quarante ans plus tard, il est plus que temps de reconnaître sur le plan mémoriel que les condamnations prononcées l'ont été sur le fondement de lois erronées.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, chaque condamnation ou mise en cause portant sur une infraction liée à l'homosexualité a eu des conséquences sociales lourdes, souvent dévastatrices, pour qui en a fait l'objet, jusqu'au bannissement de la sphère familiale ou professionnelle.
Si mon ministère ne dispose pas d'informations sur le nombre de ces condamnations – s'agissant d'infractions aujourd'hui abrogées, je me réjouis de ne pas en disposer – divers travaux de recherche menés sur le sujet conduisent à estimer que plus de 10 000 personnes ont été condamnées entre 1945 et 1982, plus de 90 % d'entre elles ayant effectué une peine de prison ferme.
Ces chiffres nous interpellent et nous obligent à œuvrer ensemble à reconnaître clairement et sans aucune ambiguïté la mise en œuvre de cette législation déshonorante.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui présentée vise cet objectif et doit, à ce titre, retenir toute notre attention et toute notre bienveillance.
J'en viens aux différentes dispositions du texte.
L'article 1ᵉʳ prévoit la reconnaissance par la République française de sa responsabilité dans la politique de discrimination mise en œuvre à l'encontre des homosexuels ou présumés tels et condamnés sur le fondement d'infractions aujourd'hui abrogées.
J'y suis favorable sur le principe et je sais que le rapporteur Szpiner y apportera par voie d'amendement certaines précisions intéressantes.
Cette rédaction de compromis présentera surtout l'avantage de permettre, sous toute réserve, l'adoption par le Sénat d'un texte important pour l'apaisement de notre société. Dans le contexte actuel, j'estime qu'il serait vraiment dommage de s'en priver.
L'article 2 crée un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci prévoit la répression de toute contestation, négation, minoration ou banalisation de la déportation, pendant la Seconde Guerre mondiale et depuis la France, de personnes en raison de leur homosexualité.
(À suivre)