C'est encore la Commission nationale de l'informatique et des libertés qui indique que les dispositions de l'article 7 du projet de loi seraient de nature à porter atteinte à la liberté fondamentale d'aller et de venir.
Le même article 7 permet, au nom de la lutte contre le terrorisme, des mesures exceptionnelles à l'occasion d'« événements particuliers » - qu'est-ce qu'un « événement particulier » ? tous les événements pourront être qualifiés de « particuliers » - ou de « grands rassemblements ». On voit qu'au nom du terrorisme, avec ce dispositif, on étend très largement les procédures d'exception, puisqu'il ne manque dans notre pays ni d'événements particuliers ni de grands rassemblements.
Il est même des cas où l'on s'affranchit sans motif de procédures pourtant reconnues, puisqu'il est prévu dans l'article 5, s'agissant de la question des écoutes téléphoniques, que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité sera dessaisie de ses prérogatives au bénéfice d'une « personnalité qualifiée ».
Sur tous ces points, notre position est claire : les mesures visant le terrorisme ne doivent pas avoir d'autre objet, elles doivent être transitoires et donc être prises pour une durée déterminée, et elles doivent être mises en oeuvre sous le contrôle de la justice.
En outre, alors que vous dessaisissez la justice de certaines de ses prérogatives par la loi, vous la dessaisissez d'une autre manière encore. Je veux parler des frais de justice.
En effet, la lutte contre le terrorisme nécessite des moyens d'investigation très importants. Le coût des expertises en matière téléphonique ou informatique est élevé. Or, vous vous en souvenez, lors de l'examen des crédits de la justice, nous avons protesté contre l'insuffisance des crédits affectés aux « frais de justice » qui permettent de financer ces expertises. Or, bien que le ministère de la justice ait demandé une somme globale de 600 millions d'euros correspondant à l'évaluation des besoins réalisée par ses soins, seuls 370 millions d'euros ont été accordés. Même si on nous a fait miroiter une rallonge de 50 millions d'euros, qui reste hypothétique, les sommes seront largement inférieures aux besoins, et cela a aussi à voir avec la lutte contre le terrorisme.
La seconde raison de notre opposition tient au fait que ce texte, en l'état, se caractérise par un amalgame qui nous paraît inacceptable entre terrorisme et immigration.
Nous tenons à dire, premièrement, qu'il est légitime de prendre des mesures pour lutter efficacement contre le terrorisme, deuxièmement, qu'il est légitime de mettre en oeuvre une politique de l'immigration et, troisièmement, que, dès lors qu'une telle politique est mise en oeuvre, il est logique de lutter contre l'immigration clandestine. C'est donc clair.
Mais il ne faut surtout pas - c'est l'erreur fondamentale - traiter de ces trois questions dans le même texte.
Or faire de la politique de l'immigration l'un des volets de la lutte contre le terrorisme, c'est présupposer qu'il y a un rapport entre l'une et l'autre, ce qui n'est pas fondé. On a ainsi vu des personnes en situation parfaitement régulière, apparemment très intégrées dans le pays où elles étaient, se prévalant de la nationalité propre à ce pays, mettre en oeuvre des actes de terrorisme, chacun le sait.
Cet amalgame a priori est une totale erreur. Il justifie les procès d'intention et des campagnes qui se retournent et se retourneront contre notre pays.
Sur un sujet aussi sensible, notre législation ne doit en aucun cas donner prise à quelque procès d'intention ou à quelque suspicion que ce soit. Il suffit, et c'est beaucoup, qu'elle permette de prévenir le terrorisme, d'identifier ceux qui s'y livrent et de les sanctionner, quelles que soient leur origine géographique et leur nationalité.
Enfin, ce texte donne en fait la possibilité à tout pouvoir de procéder partout, en tout temps, à tout contrôle, de se procurer toute information sur les communications, les déplacements de quiconque. Nous ne pouvons approuver cette généralisation de procédures d'exception et ce dessaisissement permanent de la justice.
Ne serait-ce pas la suprême victoire du terrorisme que de nous conduire à renoncer - Robert Badinter l'a déjà expliqué avec force tout à l'heure - à un certain nombre de règles fondatrices de l'État de droit, non seulement de manière exceptionnelle, mais de surcroît de manière pérenne ?
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas voter un texte qui pérennise l'amalgame que nous réprouvons fortement et qui est inacceptable, qui pérennise des mesures exceptionnelles et qui supprime un certain nombre de garanties liées à l'action de la justice.
Nous souhaiterions que la discussion qui va s'ouvrir permette à cet égard des modifications importantes. Mais nous craignons qu'il n'en soit pas ainsi, ce qui nous conduira à nous opposer à ce projet de loi, non pas en raison de son objet - la lutte contre le terrorisme -, mais parce que nous pensons qu'il est possible et nécessaire de poursuivre le même objectif dans le respect des règles essentielles de l'État de droit.