Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 14 décembre 2005 à 21h45
Lutte contre le terrorisme — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'irai pas par quatre chemins : la gravité de la situation, le devoir de vérité ainsi que l'obligation d'efficacité qui nous lie au peuple nous imposent de refuser toute langue de bois, de parler avec franchise et, surtout, de ne pas créer de peurs supplémentaires qui ne peuvent qu'engendrer des conséquences négatives.

Le sujet est suffisamment grave, il est inutile de vouloir l'aggraver davantage pour justifier d'autres objectifs.

Chaque victime d'un attentat terroriste démontre l'échec de nos systèmes et met notre démocratie en danger.

Le terrorisme est une réalité que l'on doit condamner avec fermeté, une réalité horrible et inacceptable. Une réalité contre laquelle il convient de lutter avec force et vigueur, mais aussi avec efficacité, pour assurer la liberté de nos concitoyens. Nous le savons, la première des libertés est la sécurité de tous.

Le Gouvernement justifie le texte qu'il nous soumet par la volonté de mieux garantir le droit à la sûreté, à l'heure où nous serions en danger en raison d'une menace terroriste imminente.

Néanmoins, la lutte, légitime, contre le terrorisme ne peut en aucun cas justifier le recours systématique à dispositifs pérennes qui portent atteintes à nos droits individuels et à nos libertés fondamentales.

Or, malheureusement, ce projet de loi est placé sous le signe des amalgames, de la confusion, et même du dévoiement.

À ce stade, il est fondamental de rappeler que la notion de sûreté, faisant l'objet de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, désigne la protection des droits et des libertés des individus contre l'arbitraire de la puissance publique.

Or, son utilisation ici marque l'inversion de la logique de notre droit. En effet, les dispositions du projet de loi qui nous est soumis constituent des atteintes ou des restrictions mises en oeuvre par la puissance publique contre les libertés fondamentales des individus, d'où le dévoiement que je dénonçais à l'instant et que nous ne pouvons que condamner.

De plus, ce projet de loi présente un double défaut : il est inutile et dangereux.

Tout d'abord, ce texte est inutile parce qu'il occulte ce qui est actuellement indispensable à une lutte efficace contre le terrorisme, c'est-à-dire la coopération européenne et internationale.

Or, si on en parle beaucoup, on met peu de moyens dans sa véritable mise en oeuvre !

Il convient de rappeler que notre système actuel de lutte contre le terrorisme, qui repose essentiellement sur le renseignement humain, a démontré, malgré ses indéniables défauts, son extrême efficacité. Il est d'ailleurs cité en exemple partout, en Europe comme aux Etats-Unis, qui nous demandent souvent d'intervenir à leurs côtés.

Les juges spécialisés dans la lutte antiterroriste, ainsi que tous les représentants des différents services affiliés que nous avons rencontrés au cours des auditions de la commission des lois nous le disent : nous bénéficions déjà d'un large arsenal législatif qui nous permet d'avoir une marge de manoeuvre importante.

En effet, la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, prolongée par celle du 18 mars 2003, avait déjà renforcé les dispositions de la loi du 22 juillet 1996 et intégré de nouvelles dispositions de prévention et de lutte contre le terrorisme. Je citerai notamment les visites, perquisitions et saisies de jour comme de nuit, les visites de personnes et des véhicules, les inspections et les fouilles de sacs à mains par des agents de sécurité privée, la consultation des fichiers gérés par la police nationale, la garde à vue de quatre jours, l'interception de correspondances ainsi que la sonorisation et la fixation d'images de certains lieux ou véhicules.

Comme pierre angulaire du dispositif existant, il y a l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Cette incrimination autonome a, elle aussi, fait la preuve de sa grande efficacité.

Je souhaite vous rapporter les propos de M Christophe Chaboud, chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT, au journal Libération, le 18 octobre 2005 : « Notre stratégie est celle de la neutralisation préventive judiciaire. Les lois antiterroristes votées par le Parlement, mises en place en 1986, puis en 1996, font notre force. On a créé les outils pour neutraliser les groupes opérationnels avant qu'ils passent à l'action. »

L'efficacité de notre système est telle que les Britanniques ont manifesté la volonté de s'en inspirer pour rendre plus efficace leur dispositif de lutte antiterroriste.

L'inutilité de ce projet de loi se retrouve également dans les solutions proposées qui, présentées comme de véritables panacées, ne sont bien souvent que des mesures d'affichage.

Le Gouvernement nous propose d'étendre et de généraliser l'installation de systèmes de vidéosurveillance, y compris dans l'espace public : ce n'est pas sérieux !

Le régime juridique actuel permet déjà le recours à la vidéosurveillance et ce n'est pas en multipliant les caméras à chaque coin de rue que l'on préviendra les attentats.

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