...a le mérite de nous permettre de dire au Gouvernement, ce soir comme en d'autres occasions, que le mépris de ceux qui ne sont pas d'accord avec vous n'est pas de bonne pratique parlementaire.
Nous pouvons partager l'horreur qu'inspire le terrorisme, qu'il frappe à New York, à Madrid, à Londres, en Palestine, à Bagdad, à Bali, en Égypte ou ailleurs. Nous l'avons en horreur parce qu'il est la négation des valeurs humaines et parce que aucune cause ni aucun désespoir ne peut justifier le massacre d'innocents.
Mais rien ne peut nous dispenser de voir le terreau qu'offre le monde d'aujourd'hui, où la majeure partie de l'humanité subit souffrances et humiliations. Rien non plus ne peut nous faire oublier que face à des actes aussi ignobles, dont les commanditaires ont souvent été abrités et soutenus par les pays qui les condamnent aujourd'hui, la force des démocraties réside dans le respect des valeurs fondamentales, dans le respect du droit et des libertés.
Hélas ! l'exemple des États-Unis est là pour montrer combien, au nom de l'indispensable lutte contre le terrorisme, le risque existe de basculer dans une justice d'exception. On l'a vu depuis octobre 2001, avec le Patriot Act, reconduit pour quatre ans jeudi dernier. On l'a vu également quand le monde a découvert quelque 550 prisonniers à Guantanamo, soustraits aux dispositions de la convention de Genève. On l'a vu encore à la fin de 2005 avec la confirmation par le Conseil de l'Europe de l'enlèvement et de la détention par la CIA de suspects en Europe, hors de tout contrôle judiciaire. Ces derniers faits ont d'ailleurs conduit mes amis Hélène Luc, Robert Bret et Robert Hue, membres de la commission des affaires étrangères, à demander l'audition de M. Douste-Blazy et la condamnation par celui-ci de ces pratiques intolérables.
Au lendemain des attentats du 7 juillet, le Royaume-Uni s'est doté de dispositifs d'exception dont il ne disposait pas. Dès le mois de septembre, le ministre de l'intérieur a annoncé que la France devait faire de même.
Pourtant, notre pays dispose, depuis les attentats de 1986, d'un arsenal antiterroriste important. C'est à cette date que fut introduit dans le code de procédure pénale un titre relatif aux « infractions en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
En 1992, le nouveau code pénal entérine et complète ces dispositions. Depuis lors, les actes de terrorisme sont visés à l'article 421-1. La nouvelle procédure d'exception permet ainsi, dans les dossiers de terrorisme, de centraliser les poursuites et l'instruction au tribunal de grande instance de Paris, de prolonger la garde à vue jusqu'à quatre-vingt-seize heures, d'étendre le régime des perquisitions, des visites domiciliaires et des saisies de pièces à conviction et, enfin, de faire juger les personnes soupçonnées d'actes de terrorisme par une cour d'assises spéciale uniquement composée de magistrats professionnels.
Puis la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité a fourni son principal cadre législatif à la vidéosurveillance. Hélas ! ce dispositif, tourné essentiellement vers les sanctions, n'a pas freiné le fanatisme et la France a connu les terribles attentats de 1995.
Pourtant, l'escalade législative a continué dans le même sens, en premier lieu avec la loi du 22 juillet 1996, qui renforce les dispositions d'exception relatives aux perquisitions et prévoit en outre la déchéance de la nationalité pour les personnes coupables d'actes terroristes. Six ans plus tard, l'horreur de l'attentat perpétré le 11 septembre 2001 frappait les esprits de stupeur et obligeait le monde - du moins aurait dû l'y obliger - à s'interroger sur son état, sur la profondeur de ses dysfonctionnements et sur les causes du terrorisme. Hélas ! nous en sommes loin.
En France, sur le plan législatif, le 11 septembre a eu pour effet de pérenniser, au moyen de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, la plupart des dispositions existantes. Alors que cette loi prévoyait que les dispositions d'exception qu'elle contient seraient applicables jusqu'au 31 décembre 2003 - ce qui paraît déjà bien long pour des mesures d'exception -, il était envisagé dès l'automne 2002 de les proroger jusqu'au 31 décembre 2005.
Ce fut fait par la loi Sarkozy du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.
L'adoption de cette loi a privé le Parlement du rapport d'évaluation des mesures de lutte contre le terrorisme, pourtant prévu par la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et qui devait être présenté à l'échéance du 31 décembre 2003.
Le Gouvernement a donc choisi de pérenniser des dispositions attentatoires aux libertés individuelles sans aucune évaluation de leur éventuelle efficacité.
La question de l'évaluation demeure posée aujourd'hui. En effet, dès 2001, la loi prévoit l'extension des pouvoirs de police en matière de fouilles des véhicules et des personnes, de perquisitions, mais également l'extension des pouvoirs des personnes privées, telles que les gardiens et autres agents de sécurité, ou encore l'allongement du délai d'effacement des données relatives aux communications téléphoniques.
En 2003, ces dispositions sont donc non seulement pérennisées, mais complétées et étendues, à l'image des dispositions relatives aux fouilles de véhicules ou à l'inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG. À coup sûr, on ne verra jamais le rapport, pourtant prévu pour le 31 décembre 2005.
Les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel depuis la loi du 9 mars 2004, dite loi « Perben II », puisque celle-ci intègre dans la criminalité organisée les actes terroristes. Toutes les dispositions exorbitantes du droit commun applicables en matière de criminalité organisée, et donc de terrorisme, que ce soit celles relatives à la garde à vue, aux perquisitions, etc., ont, de fait, vocation à s'appliquer de façon permanente.
Ce qui, en 1986, était clairement de l'ordre de l'exceptionnel, ne l'est plus en 2005. Aucun rapport d'évaluation n'a été présenté devant le Parlement, alors que toutes les lois le prévoyaient, monsieur le ministre.
Mais est-ce vraiment étonnant ? Toutes ces dispositions se chevauchent, sans parfois que les décrets d'application soient parus et sans attendre que les précédentes lois aient été évaluées. Le Gouvernement n'a pour seule préoccupation que d'aggraver toujours plus les sanctions, de durcir davantage la législation, dans le seul but de faire croire à l'opinion qu'il agit.
Vous comprenez bien pourtant que la question de l'évaluation est essentielle. D'ailleurs, en 2001, il était reconnu que notre arsenal juridique était l'un des plus développés du monde. Or, aujourd'hui, à la suite des attentats de Londres, on nous propose de nouvelles dispositions répressives, alors même qu'un livre blanc, en cours d'élaboration, doit paraître très prochainement. Si jamais ce projet de loi est adopté avant cette parution, un nouveau projet de loi nous sera-t-il soumis, adaptant les dispositions présentées aujourd'hui aux recommandations de ce livre blanc ? Cela ne nous surprendrait guère.
Malgré la succession de lois à laquelle nous assistons depuis vingt ans, la lutte contre le terrorisme souffrirait de lacunes juridiques. Pourtant, nos services de renseignement et de surveillance du territoire, qui sont reconnus pour leur efficacité, ne sont pas demandeurs de nouvelles modifications de la loi.
Le Gouvernement, pour justifier malgré tout ce texte, argue que les menaces ont changé de nature et rendent ainsi nécessaire une énième modification législative. Pourtant, rien dans ce projet de loi n'est novateur en termes d'adaptation à une menace chimique ou biologique, par exemple. Hormis que leur régime d'application est considérablement étendu, les dispositions relatives à la vidéosurveillance, à la consultation de fichiers et à la prolongation de la durée de la garde à vue existent déjà et ne permettent pas d'empêcher une action terroriste. Nous l'avons bien vu à Londres.
En réalité, chaque nouveau texte relatif à la lutte contre le terrorisme érode un peu plus la base de notre édifice des droits fondamentaux. Qu'il s'agisse de l'allongement de la durée de la garde à vue - avec des conséquences sur l'assistance par un avocat -, de la facilitation des perquisitions, de l'extension des écoutes téléphoniques, des interceptions de communications de tout ordre, du fichage généralisé ou encore du développement de la vidéosurveillance, les droits fondamentaux de nos concitoyens pèsent de moins en moins lourd dans la vague sécuritaire que nous subissons.
Mais que valent, il est vrai, à votre sens, la présomption d'innocence et les droits de la défense, dès lors qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme ?
Le ministre de l'intérieur nous précise que la menace terroriste serait élevée et justifierait que, quoique foisonnant, l'arsenal législatif doive être renforcé. Cela pose la question de l'appréciation de la menace terroriste : comment et avec quels instruments la mesurer ?
Je rappelle que, pour justifier l'état d'urgence et sa prorogation, le ministre de l'intérieur a notamment affirmé que les violences qu'a connues la France au mois de novembre seraient le fait de bandes organisées, sur fond d'islamisation rampante des banlieues. Cette assertion a pourtant été clairement démentie par la direction centrale des renseignements généraux, qui insiste sur « la condition sociale d'exclus de la société française » des jeunes des banlieues et sur leur « absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société ».
Nous savons tous que la France, à l'instar de n'importe quel pays, n'est pas à l'abri du terrorisme aveugle. Mais quelles sont précisément les justifications du renforcement de notre arsenal répressif ? La lutte contre le terrorisme, c'est surtout une question de coopération internationale. Ce sont la recherche, le renseignement, l'information, la coopération entre les pays et la sanction du financement des activités terroristes.
À cet égard, comme l'a dit tout à l'heure ma collègue Eliane Assassi, que vous avez traitée avec tant de désinvolture, monsieur le ministre,