Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, monsieur le sénateur Bourgi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans le cadre de la niche socialiste pour débattre d’un sujet de grande importance et sans aucun doute trop longtemps oublié.

Je veux le dire d’emblée, monsieur le sénateur Bourgi : votre proposition de loi a indubitablement beaucoup de sens, et je vous remercie chaleureusement de l’avoir déposée.

En vous écoutant tout à l’heure, je songeais que même si tout n’est pas parfait, l’on peine à imaginer aujourd’hui à quel point les homosexuels ont été maltraités, malmenés et méprisés dans le passé.

Au fond, nous sommes réunis aujourd’hui pour affirmer que la République n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle sait reconnaître ses erreurs et, dans le cas présent, ses fautes.

Votre texte, monsieur le sénateur Bourgi, a pour objet la reconnaissance, par la République française, de la politique de discrimination mise en œuvre pendant près de quarante ans à l’encontre des personnes homosexuelles et des personnes condamnées en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée.

Si cette politique passée de discriminations fait aujourd’hui honte à notre République, je tiens à rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Alors que les relations homosexuelles étaient incriminées sous l’Ancien Régime, elles ont été décriminalisées en 1791 au lendemain de la Révolution, de sorte que, pendant plus d’un siècle et demi, aucune incrimination de l’homosexualité n’était en vigueur en France.

Fort de cette législation, notre pays était l’un des plus progressistes, mais tout cela a été balayé avec l’instauration du régime de Vichy qui eut raison de cet acquis. La loi du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du code pénal punit en effet d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans quiconque commet un ou plusieurs actes impudiques ou contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

Comme vous le rappelez, monsieur le sénateur Bourgi, ces évolutions législatives ont bouleversé et parfois détruit la vie des homosexuels de l’époque, en donnant une base légale à ce qui fut une véritable répression, non pas de ce qu’elles faisaient, mais de ce qu’elles étaient. Cela, nous ne l’acceptons plus, et aujourd’hui non seulement nous le reconnaissons, mais, grâce à votre proposition de loi, nous le dénonçons, monsieur le sénateur.

Au fond, vous substituez à une loi de haine une loi d’unité, de reconnaissance et de mémoire. J’y suis favorable.

Il m’est impossible de ne pas rappeler qu’il fallut attendre Robert Badinter, sa majorité socialiste d’alors et la loi du 4 août 1982 pour que cette disposition soit – enfin ! – abrogée, mettant un terme à quarante années de pénalisation de l’homosexualité.

Lorsque l’on parle de Badinter, tout le monde pense à l’abolition de la peine de mort, qui constitue déjà une œuvre presque complète pour un garde des sceaux.

Après ma prise de fonctions, l’un de mes très anciens prédécesseurs m’avait confessé la difficulté qui fut la sienne de prendre la fonction de garde des sceaux après l’illustre Badinter. « Que voulez-vous, Éric, on n’abolit la peine de mort qu’une seule fois ! », m’avait-il soufflé, mi-résigné mi-philosophe.

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