Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Éric Dupond-Moretti :

Heureusement pour lui, il avait oublié cette autre œuvre majeure que fut la dépénalisation de l’homosexualité !

Quarante ans plus tard, il est plus que temps de reconnaître sur le plan mémoriel que les condamnations prononcées l’ont été sur le fondement de lois erronées.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, chaque condamnation ou mise en cause portant sur une infraction liée à l’homosexualité a eu des conséquences sociales lourdes, souvent dévastatrices, pour qui en a fait l’objet, jusqu’au bannissement de la sphère familiale ou professionnelle.

Si mon ministère ne dispose pas d’informations sur le nombre de ces condamnations – s’agissant d’infractions aujourd’hui abrogées, je me réjouis de ne pas en disposer –, divers travaux de recherche menés sur le sujet conduisent à estimer que plus de 10 000 personnes ont été condamnées entre 1945 et 1982, plus de 90 % d’entre elles ayant effectué une peine de prison ferme.

Ces chiffres nous interpellent et nous obligent à œuvrer ensemble à reconnaître clairement et sans aucune ambiguïté la mise en œuvre de cette législation déshonorante.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée vise cet objectif et doit, à ce titre, retenir toute notre attention et toute notre bienveillance.

J’en viens aux différentes dispositions du texte.

L’article 1er prévoit la reconnaissance par la République française de sa responsabilité dans la politique de discrimination mise en œuvre à l’encontre des homosexuels ou présumés tels et condamnés sur le fondement d’infractions aujourd’hui abrogées.

J’y suis favorable sur le principe et je sais que le rapporteur Szpiner y apportera par voie d’amendement certaines précisions intéressantes. Cette rédaction de compromis présentera surtout l’avantage de permettre, sous toute réserve, l’adoption par le Sénat d’un texte important pour l’apaisement de notre société. Dans le contexte actuel, j’estime qu’il serait vraiment dommage de s’en priver.

L’article 2 crée un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci prévoit la répression de toute contestation, négation, minoration ou banalisation de la déportation, pendant la Seconde Guerre mondiale et depuis la France, de personnes en raison de leur homosexualité.

Il ne fait aucun doute – j’y insiste – que des personnes homosexuelles ont bien été déportées pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’il s’agit de crimes atroces.

Toutefois, j’émets une réserve quant à la constitutionnalité de cette nouvelle infraction. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que le législateur ne pouvait créer d’incrimination réprimant pénalement la contestation d’une vérité historique lorsqu’elle est établie par la loi, en raison de l’atteinte portée à la liberté d’expression. Une reconnaissance judiciaire préalable est nécessaire, ce qui n’est, en l’état, pas le cas.

L’article 3 crée, au bénéfice des personnes condamnées en application des infractions visées à l’article 1er, une allocation forfaitaire d’un montant de 10 000 euros ainsi qu’une allocation variable en fonction du nombre de jours de privation de liberté, dont le montant a été fixé à 150 euros par jour. Est également prévu le remboursement de l’amende dont les personnes reconnues coupables se sont acquittées en application de leur condamnation.

Il s’agit là d’une mesure d’indemnisation qui nécessite d’apporter la preuve d’une condamnation ancienne. Or, celle-ci est difficile à produire tant pour ce qui est du principe de la condamnation, c’est-à-dire du jugement même, que pour sa mise à exécution, à savoir l’application de la peine. La mise en œuvre de cette mesure apparaît donc extrêmement complexe.

Enfin, l’article 4 institue, auprès de la Première ministre, une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité, chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation présentées.

Cette disposition semble relever plutôt du domaine réglementaire et poser, là encore, des difficultés probatoires du fait de l’ancienneté des faits pouvant donner lieu à indemnisation.

Vous l’aurez compris, au regard des réserves que j’ai exprimées sur les articles 2, 3 et 4, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement approuve le principe de cette proposition de loi, qui permet de reconnaître la mise en œuvre, pendant quarante ans, d’une politique de discrimination et de répression pénale qui n’aurait jamais dû exister.

S’il est toujours complexe de regarder les lois d’hier avec les lunettes d’aujourd’hui, il y va, ici, des principes fondamentaux, non négociables, de notre République, ceux de la liberté, de l’égalité et, bien évidemment, de la fraternité.

C’est pourquoi il est impératif de reconnaître non seulement les errements du passé, mais aussi leurs terribles conséquences pour plusieurs générations de nos compatriotes.

Reconnaître une erreur n’est pas une marque de faiblesse, loin de là. C’est affirmer que nos principes fondamentaux valent plus que notre orgueil, car l’orgueil d’être Français repose aussi sur le fait d’assumer toute l’histoire de notre pays. Et, lorsque l’on a fait fausse route, il convient de le dire, pour montrer aux générations futures que notre République et les principes universels qui la sous-tendent triomphent toujours.

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