« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
À lui seul, cet article porte tous les idéaux universalistes de la Révolution française. Imprégnée de l’héritage des Lumières, la période révolutionnaire fit de la France un refuge pour tous les combattants de la liberté. C’est par cette aspiration à éclairer les peuples du monde que nos aïeux ont posé les bases juridiques de l’État moderne et progressiste, et qu’ils ont acté des avancées sociales inédites, comme le divorce par consentement mutuel en 1793, la première abolition de l’esclavage en 1794 et, bien sûr, la première dépénalisation de l’homosexualité en 1791, ou plus précisément – les mots ont leur importance – la suppression du crime de sodomie, qui était jusqu’alors puni par le feu.
Premier pays au monde à légiférer en ce sens, la France réintroduisit pourtant dans sa législation la répression pénale de l’homosexualité par la loi du 6 août 1942. L’abject gouvernement de Pétain, promoteur de la « Révolution nationale » et ouvertement homophobe, pénalisa les relations entre personnes de même sexe dès lors que l’une d’entre elles avait entre 13 et 21 ans.
À la Libération, le rétablissement de l’ordre républicain ne modifia qu’à la marge cette disposition pénale discriminatoire qui resta malheureusement en vigueur jusqu’en 1982.
S’y ajoutait une seconde infraction, visée à l’article 330 du code pénal, qui réprimait plus sévèrement tout outrage public à la pudeur s’il consistait en « un acte contre nature avec un individu de même sexe ». Là aussi, le choix des mots en dit long sur une époque que nous espérons tous révolue.
Durant quatre décennies, nous avons eu affaire à une discrimination pénalement acceptée. Il est important de rappeler que, dès 1978, notre Haute Assemblée avait adopté une mesure visant à abroger le délit d’homosexualité ; hélas, cette mesure avait fait l’objet d’un désaccord avec l’Assemblée nationale – c’était un autre temps. Il fallut attendre la loi du 4 août 1982 pour que l’homosexualité fût officiellement dépénalisée en France.
Rappelons d’ailleurs que, à l’échelle du monde, l’homosexualité demeure illégale dans 69 États sur 197. Et lorsqu’on analyse les positions politiques du nouveau président argentin Javier Milei sur les enjeux de société, on se dit que rien n’est définitivement acquis.
À l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 4 août 1982, Hussein Bourgi et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont fait inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée l’examen de cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.
Je veux depuis cette tribune saluer, amicalement et fraternellement, notre collègue Hussein Bourgi. Par ses engagements récurrents sur ce sujet, il honore notre Haute Assemblée.
Si la commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi, il me semble que c’est pour mieux la réécrire. Nous examinerons dans quelques instants les amendements qu’elle nous soumet. À ce propos, je remercie le rapporteur Francis Szpiner pour la qualité de son analyse et de son raisonnement juridique, qui nous a tous marqués.
Permettez-moi de revenir sur les trois principaux articles du texte.
L’article 1er vise à reconnaître la responsabilité de la République française dans l’application de dispositions pénalisant l’homosexualité. Bien qu’il convienne de recentrer l’article sur la période allant de 1945 à 1982 et de simplifier la description du motif de responsabilité, le groupe Union Centriste soutient avec force cette mesure.
Pour reprendre les mots du rapporteur, « le législateur s’est fourvoyé » en opérant une discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle. Il s’agit d’un fait indiscutable ; je ne doute pas que nous serons unanimes, dans cet hémicycle, à le reconnaître. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu’il est. En démocratie, tout citoyen répond de ses actes et non de son identité, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Ainsi, durant quatre décennies, la France a laissé subsister ce que le garde des sceaux Robert Badinter qualifiait de « pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire ».
L’article 2 crée pour sa part un délit de contestation, minoration ou banalisation outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Si l’intention est louable, l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 couvre déjà la déportation des homosexuels. Aussi, comme le souligne le rapporteur, l’autonomisation de ce délit viendrait perturber les contentieux en cours. Je rappelle qu’en l’état actuel du droit un individu qui exprime publiquement toute contestation de l’existence de crimes contre l’humanité ou toute négation, minoration ou banalisation de ces derniers encourt une peine maximale d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. La déportation des homosexuels relève clairement de ce dispositif.
Enfin, l’article 3 fixe les modalités de la réparation financière à laquelle seraient éligibles les personnes condamnées pour homosexualité. Le rapporteur a dit l’essentiel sur cet article et je n’irai pas plus avant dans l’analyse.
Dorénavant, nous devons collectivement tirer les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. La loi permet à la République de se confronter à ses responsabilités passées, mais c’est bien l’éducation et la transmission qui évitent à une nation d’oublier son histoire. Cette mission nous incombe au quotidien.
À titre personnel, je me souviens d’avoir reçu l’association SOS homophobie comme invité d’honneur lors du congrès des maires des Hautes-Alpes en 2022.
J’en profite pour saluer les multiples actions menées par les associations pour lutter contre l’homophobie et contre toutes les formes d’exclusion. Soutenons-les !
Apaiser la mémoire de ceux qui sont morts est indispensable. Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, dans sa version réécrite en un article unique qui, je l’espère, fera consensus.
Il est important que le Sénat affirme que l’homophobie est inacceptable dans ce pays et que la République ne s’est pas bien comportée envers certains de nos concitoyens en les discriminant en raison de leur orientation sexuelle.