Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Hussein Bourgi et l’ensemble de nos collègues du groupe socialiste, qui nous donnent l’occasion, dans un moment où la France recule si souvent sur ses grands principes, de la faire grandir.
Il y a dans l’histoire des nations, comme dans les vies des femmes et des hommes que nous sommes, des horreurs que le passé ne peut jamais contenir. Elles débordent sur notre présent, elles assombrissent notre avenir, non seulement parce que leur souvenir blesse nos mémoires, mais aussi et, peut-être, surtout parce qu’il détruit une certaine image de nous-mêmes, de la société et du pays que nous voudrions être – parce que, entre ce que nous disons être, le grand pays des droits humains et des Lumières, et ce que nous avons fait, il y a parfois un gouffre dans lequel nous avons très peur de sombrer.
Or, reconnaître et réparer ces fautes, même et surtout les pires, est l’unique promesse crédible que nous pouvons faire aux victimes, ainsi qu’à nous-mêmes, pour rappeler que nous ne voulons plus jamais les revivre.
C’est le lot des grandes nations, de celles qui veulent progresser et devenir meilleures, que de cesser de nier les horreurs qu’elles ont produites : elles acceptent de porter la pleine responsabilité de leurs fautes afin d’alléger, un tant soit peu, la souffrance de celles et ceux qui en ont payé le prix, en refusant d’y ajouter le poids du déni et du mépris, en reconnaissant que jamais cela n’aurait dû arriver.
C’est pourquoi la France a déjà adopté un certain nombre de lois mémorielles. Mais la France a eu la mémoire sélective, car certaines personnes n’ont jamais, jusqu’à présent, pu bénéficier d’une reconnaissance officielle des violences, des discriminations et des condamnations qu’elles ont subies. Il est donc plus que temps d’agir.
La loi de 1942, que la France a choisi de faire sienne à la Libération, qu’elle a ainsi reprise à son compte, reconnaissant de fait une continuité juridique en la matière avec le régime de Vichy, a établi des crimes sans victimes. Les homosexuels étaient coupables d’être. Ils ont été persécutés, emprisonnés, fichés, intimidés, menacés, blessés ou tués parce qu’ils existaient.
Les lesbiennes, quant à elles, n’étaient généralement pas considérées comme coupables d’exister, car l’on considérait tout simplement qu’elles n’existaient pas !
D’ailleurs, dans toute l’histoire des violences contre la communauté LGBT, les lesbiennes ont été moins condamnées pénalement que les autres, non parce qu’on les respectait davantage, mais parce qu’on les respectait trop peu pour reconnaître leur existence.
Le minimum, pour une société dont la devise est « Liberté, égalité, fraternité », est de reconnaître sa responsabilité dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982. Le minimum est aussi de réparer la faute reconnue, car reconnaître sans réparer, c’est ne reconnaître qu’à moitié.
À ce propos, même si nous sommes tous d’accord, depuis le début de cette discussion générale, pour dénoncer l’horrible régime discriminatoire qui fut en vigueur entre 1942 et 1982, il n’en reste pas moins qu’il a fallu attendre 2010 pour que le « transsexualisme » – c’était le terme employé – soit retiré de la liste des affections psychiatriques ; 2013, pour que le régime du mariage en France cesse d’être homophobe ; 2018, pour que les personnes décédées du sida, ou simplement porteuses du VIH, puissent de nouveau bénéficier de soins funéraires ; 2021, enfin, pour que les règles d’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) cessent d’être lesbophobes – nous attendons toujours qu’elles cessent d’être transphobes.
Jusqu’en 2016, l’État français forçait les personnes trans à subir une stérilisation afin d’être reconnues pour qui elles étaient. Aujourd’hui encore, une personne trans, même adulte, en pleine possession de ses moyens, ne peut pas décider légalement de qui elle est : il faut qu’un juge accepte sa requête. En revanche, les personnes cisgenres voient leur identité de genre reconnue depuis toujours, sans d’ailleurs avoir jamais rien eu à faire pour cela.
La France a été condamnée à trois reprises par les Nations unies pour les traitements – les mutilations – qu’elle fait subir aux personnes intersexes, souvent dès la naissance.
Peut-être, dans quarante ans, adoptera-t-on une loi pour demander pardon aux personnes trans stérilisées de force, à celles qui n’ont pas pu tenir et se sont suicidées, ainsi qu’aux personnes intersexes qui ont été mutilées.
Mais il y a une chose que nous pouvons faire dès aujourd’hui pour avoir moins à regretter demain : l’égalité, réelle et totale, pour toutes les personnes LGBT !