Intervention de Audrey LINKENHELD

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Audrey LINKENHELDAudrey LINKENHELD :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « On peut se demander, avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des femmes et des hommes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales, puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité. » Voilà ce que disait Gisèle Halimi, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 décembre 1981.

On peut en effet se demander pourquoi ces lois pénalisant l’homosexualité ont été adoptées au XXe siècle, alors même que, dès la Révolution française, les relations entre personnes consentantes de même sexe avaient été décriminalisées.

Certes, c’est une loi de 1942, issue du régime de Vichy, qui a réintroduit le délit d’homosexualité dans la législation française et créé une référence à des actes « impudiques » ou « contre nature », mais on sait que la réflexion avait été engagée bien avant, sous la IIIe République.

Pire, le délit d’homosexualité a survécu à la Seconde Guerre mondiale et à la disparition du régime de Vichy. Car, à la Libération, si l’ordonnance du 8 février 1945 transfère ce délit d’un article du code pénal à un autre, elle maintient explicitement l’incrimination d’actes « contre nature » et fait même de l’homosexualité une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur.

En 1960, la criminalisation se renforce encore avec l’adoption de l’amendement Mirguet, qui assimile l’homosexualité à un « fléau social ».

Quels que soient la manière et les termes utilisés, et n’en déplaise au rapporteur qui préfère retenir la date de 1945, il ne fait aucun doute que, de 1942 à 1982, soit pendant quarante ans, la même loi a cautionné et conforté toutes les oppressions dont ont été victimes les personnes homosexuelles, oppressions que la Révolution française n’avait pas fait disparaître.

Ce que nous voulons, avec Hussein Bourgi, l’ensemble du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et tous les signataires de cette proposition de loi, au-delà de l’amnistie et de l’abrogation défendues par les socialistes, derrière François Mitterrand et Robert Badinter, en 1981 et 1982, c’est que l’on reconnaisse et regrette – tel est l’objet de l’article 1er – que le législateur s’est fourvoyé en soumettant l’homosexualité à la loi pénale et qu’il a ainsi contribué à briser bien des vies ; voilà la faute que nous entendons faire reconnaître.

Non seulement plusieurs milliers de personnes ont été condamnées à des amendes et à des peines d’emprisonnement, mais elles ont aussi été livrées à la vindicte populaire et ont subi l’exclusion sociale en raison de la publicité associée à leur condamnation.

Je veux citer ici l’exemple de cet élève avocat lillois qui, ayant réussi son concours en mai, s’est vu condamné en juillet et, de ce fait, n’a jamais pu exercer, faute d’avoir été accepté par le barreau. Il a donc été contraint de renoncer au métier de ses rêves pour devenir surveillant dans un lycée. Son traumatisme professionnel et social a sans doute été bien plus important que l’amende qu’il a eu à payer et même que la prison qu’il a eu à connaître.

Mais il convient de réparer ce qui peut l’être. C’est pourquoi nous tenons à ce que cette proposition de loi comporte, en plus de la reconnaissance, des mesures de réparation explicites, comme celles que nous proposons au travers des articles 3 à 5.

Le coût de ces réparations serait limité au regard du faible nombre de personnes condamnées encore vivantes – parce que le temps, mais aussi le sida, sont passés par là…

L’impact de ces réparations sera en revanche très fort pour les personnes survivantes, mais aussi pour leurs familles et pour ces homosexuels qui observent la France partout dans le monde.

Le groupe socialiste reste très attaché à la réparation au cas par cas des torts causés, même si l’on peut discuter des modalités d’application.

De la même manière, nous restons attachés à la création d’un délit spécifique réprimant la négation de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité.

Non, il ne s’agit pas là d’une légende, mais d’une vérité historique établie et rappelée par plusieurs présidents de la République française. Sa négation ou sa minimisation doit donc pouvoir être sanctionnée comme telle, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Monsieur le rapporteur, « indivisibilité » ne doit pas signifier « invisibilité » !

Il est d’ailleurs regrettable que, sur des sujets qui ne font pas l’objet d’un consensus, il n’ait pas été possible d’organiser davantage d’auditions. La parole et l’expertise d’historiens, de sociologues et d’autres juristes auraient été précieuses et nous auraient éclairés.

Je remercie, pour ma part, les universitaires lillois Florence Tamagne et Sébastien Landrieux, qui ont partagé leurs travaux avec moi.

C’est avec fierté que notre groupe constate que cette proposition de loi, déposée un 6 août – non pas 1942, mais 2022 – par un sénateur socialiste, Hussein Bourgi, peut être examinée et, je l’espère, votée aujourd’hui.

À nous, sénatrices et sénateurs du XXIe siècle, de laver le déshonneur et les torts causés par diverses lois du XXe siècle.

En 1978, le Sénat était en avance sur l’Assemblée nationale. Il peut rattraper cet échec du Parlement en montrant de nouveau la voie, cette fois-ci avec succès : il nous suffit de voter ce texte dans toutes ses composantes, afin qu’il puisse être examiné par l’Assemblée nationale.

À nous de reconnaître et de réparer les dommages causés par la République, à nous de présenter, en son nom, des excuses à ces milliers d’hommes et à ces centaines de femmes punis simplement pour ce qu’ils ou elles étaient.

À nous, avec cette loi mémorielle – car c’en est une, comme M. le garde des sceaux l’a rappelé –, de faire un pas de plus vers l’égalité des droits dans notre société.

Je vous invite donc tous, mes chers collègues, quel que soit votre groupe politique, à entendre les histoires et les voix de ces condamnés, à dépasser les arguties juridiques ou les postures politiques au cours du débat qui va s’engager : adoptons cette proposition de loi dans sa version initiale pour que, demain, aucune Gisèle Halimi ne puisse plus se demander comment des parlementaires ont pu pénaliser une liberté fondamentale, celle d’aimer !

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