Intervention de Yan Chantrel

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Référendum d'initiative partagée — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Yan ChantrelYan Chantrel :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays traverse une crise démocratique.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2022, l’abstention a atteint 28 %, un record depuis 1969. Comme en 2017, plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé pour voter aux dernières élections législatives. Aux élections régionales de 2021, ce sont deux Français sur trois qui se sont désintéressés du scrutin. Même les élections municipales de 2020 ont connu, pour la première fois de notre histoire, une abstention supérieure à 50 %.

On a beaucoup disserté sur les causes de ce désamour. On le présente parfois comme une « fracture démocratique » affectant certaines catégories d’électeurs et électrices : les jeunes, les plus précaires, ou encore les non-diplômés. On s’attache donc à chercher des solutions ciblées pour combler cette fracture.

La vérité, c’est que cette désaffection touche désormais toutes les catégories de Françaises et de Français. Il y a quelques jours, le politiste Rémi Lefebvre signait une tribune dans L ’ Obs où il s’alarmait que « la politique n’intéresse plus personne ».

Ce désintérêt grandissant est renforcé depuis sept ans par une pratique verticale, autoritaire, brutale et solitaire du pouvoir, qui transforme parfois ce désintérêt en dégoût.

L’application de l’article 47-1 de la Constitution, celle des alinéas 2 et 3 de l’article 44 et celle de l’alinéa 3 de l’article 49 – le fameux 49.3 – sont autant de coups de boutoir constitutionnels qui ont rythmé les débats autour d’une réforme des retraites rejetée par sept Français sur dix, ce qui a poussé jusqu’à ses limites la logique de la Ve République, qui concentre les pouvoirs aux mains de l’exécutif.

Le déséquilibre de nos institutions, marqué par la faiblesse des contre-pouvoirs organiques et par le caractère quasi monarchique de l’exécutif, n’a eu de cesse de saper la confiance des Françaises et des Français dans nos institutions et le personnel politique.

Selon la dernière vague du baromètre de la confiance politique, 64 % de nos compatriotes estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien en France, soit 7 points de plus qu’en 2022 et 12 points de plus que la moyenne européenne.

C’est bien la pratique actuelle du pouvoir, sous lequel au déséquilibre institutionnel s’ajoute un mépris inédit pour le Parlement, pour les corps intermédiaires et pour la conscience civique de nos compatriotes, qui les écœure.

L’historien Patrick Boucheron le dit en des termes définitifs : « Je n’ai pas l’expérience d’un gouvernement qui ait à ce point méprisé les sciences sociales, l’université, l’exercice collectif de l’intelligence, le mouvement social : tant de suffisance pour tant d’insuffisances. »

L’exercice collectif de l’intelligence, voilà ce que je souhaite remettre à l’honneur par le biais de cette proposition de loi constitutionnelle.

Alors qu’ils n’aspirent qu’à participer davantage à la vie démocratique de notre pays, les Françaises et les Français se sentent dessaisis du processus de décision publique. La démocratie leur paraît confisquée, comme en attestent aussi la colère et, parfois, la violence qui s’expriment dans la rue à chaque nouveau passage en force.

Pour renouer ce lien de confiance, il est indispensable de remettre les citoyennes et les citoyens au cœur du processus de légitimité de la décision politique.

Il s’agit de passer d’une « démocratie gouvernée », qui infantilise trop les Françaises et les Français, à une « démocratie gouvernante », qui leur redonne voix au chapitre.

La modernité d’une démocratie se mesure au degré de participation des citoyennes et citoyens. Sur ce point, notre pays est très en retard. Il nous faut inventer une démocratie moins intermittente, plus continue, pour qu’entre chaque élection perdurent la concertation, le dialogue, la délibération permanente entre les gouvernés et les gouvernants.

C’est d’autant plus urgent que la défiance de nos compatriotes envers le Gouvernement pourrait, un jour, les pousser à confier nos institutions déséquilibrées à des forces politiques qui y trouveraient tous les moyens de faire avancer un agenda illibéral, antisocial et antidémocratique.

Notre République a besoin d’un nouveau souffle !

La culture civique et les nouvelles solidarités dont nous aurions besoin pour construire une société apaisée et rassemblée sont en contradiction radicale avec la gestion paternaliste et la passivité populaire que produit notre Constitution.

Conventions citoyennes, budgets participatifs, tirage au sort, jurys citoyens, droit de pétition, consultations locales, droit d’initiative citoyenne : les Françaises et les Français doivent être plus souvent associés aux décisions qui les concernent.

C’est d’ailleurs ce qu’ils réclament. En effet, 68 % d’entre eux pensent que « la démocratie fonctionnerait mieux en France si les citoyens étaient associés de manière directe à toutes les grandes décisions politiques ».

Alors que nos concitoyens sont plus éclairés, plus informés que jamais, l’heure est venue de faire confiance au peuple et de nous montrer fidèles à l’article 3 de notre Constitution, qui dispose en son premier alinéa que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

C’est en partie pour répondre à cette aspiration que, lors de la révision constitutionnelle de 2008, nous avions introduit à l’article 11, alinéa 3, de notre Constitution, un référendum dit « d’initiative partagée », le RIP.

Et pourtant ! Presque dix ans, jour pour jour, après la promulgation des lois ordinaire et organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution, aucun RIP n’a pu être mis en œuvre.

Aucune des cinq propositions de RIP enregistrées depuis 2019 n’a pu surmonter le parcours semé d’embûches censé mener au référendum : 185 signatures de parlementaires, 4, 8 millions de signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales, les fourches caudines du Conseil constitutionnel et, dans une ultime étape, la bienveillance du Parlement !

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les concepteurs du RIP ont tout fait pour qu’il soit inapplicable. Je me réjouis d’ailleurs de lire que le rapporteur « admet que les garde-fous posés pour encadrer le recours à la procédure du référendum d’initiative partagée se sont révélés, à la lumière des tentatives passées, de véritables “herses juridiques” », et qu’il « partage le constat de la nécessaire clarification et de la simplification de la procédure du référendum d’initiative partagée ».

L’ambition du présent texte ne va justement pas au-delà. Sa méthode est simple : il s’appuie sur l’expérience de ces dix dernières années, ainsi que sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour lever les verrous qui empêchent l’expression directe du peuple.

Pour ce faire, il procède à un léger élargissement du champ d’application du référendum, à un abaissement à 93 signatures du seuil de signatures de parlementaires et à un abaissement du seuil de signatures citoyennes à 1 million ; en outre, les citoyens eux-mêmes pourront prendre l’initiative de la démarche et le veto que le Parlement peut mettre à la tenue du référendum devra être explicite.

Je sais bien qu’il est difficile, pour les parlementaires que nous sommes, de partager le peu de pouvoir que nous accorde la Constitution de la Ve République.

Mais il n’y a pas d’opposition entre, d’un côté, le référendum, qui serait suspect par nature, et, de l’autre, le Parlement, qui serait par nature irréprochable. Les deux ont des vertus et cette opposition, idéologique, ne correspond pas à l’esprit de la Constitution, tel qu’il s’exprime dans son article 3 comme dans son article 11.

En démocratie, le peuple est souverain. N’oublions jamais que nous en sommes ici de modestes représentantes et représentants. À ce titre, notre rôle est de tout faire pour faciliter son expression. Le propre de la démocratie, c’est qu’elle ne cesse jamais de s’approfondir ; sinon, elle meurt !

Alors, mes chers collègues, n’ayez pas peur ! Faites confiance aux Françaises et aux Français et montrez-leur, en retour, qu’ils peuvent de nouveau avoir confiance dans les institutions de leur République !

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