Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en nous soumettant cette proposition d’évolution du référendum d’initiative partagée, le groupe socialiste nous oblige à une réflexion toujours utile, mais aussi à une forme de clarification ; reconnaissons-lui ce mérite.
Il y aurait beaucoup de questions passionnantes à évoquer sur le thème « démocratie participative et démocratie représentative » – nous sommes nombreux à penser que la démocratie participative relève d’une pratique plutôt que de règles institutionnelles – et, bien entendu, sur la place du référendum et sur le sens qu’il faut donner à l’article 3 de notre Constitution, dont notre collègue Yan Chantrel a rappelé les termes.
Je développerais volontiers devant vous, mes chers collègues, l’idée selon laquelle le référendum est un outil de réponse à d’éventuelles crises plutôt qu’un mode normal de législation. Mais il me semble plus simple, dans le bref délai qui m’est imparti, d’en venir directement à votre proposition. Je ferai donc quelques observations relatives aux différentes étapes de la procédure du référendum d’initiative partagée.
Premièrement, vous proposez de diminuer de moitié le seuil applicable à la proportion de parlementaires qui doivent porter l’initiative référendaire, en le fixant à un cinquième des membres du Parlement. Ce n’est pas un sujet, comme Philippe Bas vous l’a indiqué : les cinq propositions de référendum d’initiative partagée ont toutes été soutenues par au moins 200 parlementaires. Je le répète : en la matière, aucune difficulté ne se pose.
Vient ensuite, chronologiquement, le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel : il vérifie que le seuil que je viens d’évoquer a été atteint, que l’initiative référendaire porte bien sur l’un des domaines énumérés à l’article 11 de la Constitution et que les conditions posées aux troisième et sixième alinéas dudit article sont bien remplies. Il vérifie de surcroît qu’aucune disposition de la proposition de loi ainsi présentée n’est contraire à la Constitution.
Je m’autorise à cet égard un commentaire : il existe un risque évident de conflit des légitimités. Nos concitoyens se voient expliquer qu’ils ont la possibilité d’être consultés et de s’exprimer par la voie du référendum ; mais ils peuvent très bien découvrir, le cas échéant et chemin faisant, que ladite possibilité leur est en réalité fermée par le Conseil constitutionnel, au motif que leur initiative se heurte à des dispositions constitutionnelles. Il me paraîtrait essentiel de traiter en amont ce risque d’un conflit de légitimités.
Troisième étape : la décision de conformité du Conseil constitutionnel ouvre une période de neuf mois dédiée au recueil des signatures d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Chacun l’a dit : 4 millions et quelques, c’est beaucoup ; 1 million, ce n’est peut-être pas assez. On pressent qu’une solution pourrait être trouvée aux alentours de 2 millions d’électeurs.
Quatrièmement, je souhaite appeler l’attention de nos collègues du groupe socialiste sur une autre faiblesse de leur proposition : aucune « étude d’impact constitutionnelle », pour ainsi dire, n’est prévue. Mes chers collègues, vous imaginez une proposition de loi référendaire issue de nos concitoyens dont la présentation ne s’assortirait d’aucun avis du Conseil d’État ni d’aucune analyse de ses conséquences pratiques ; je trouve pour ma part l’exercice un peu hasardeux. Dans une maison où nous ne cessons de souligner l’importance des études d’impact, je suggère qu’en tant que parlementaires vous vous posiez cette question.
Cinquièmement, votre proposition de substituer au terme « examinée » le terme « rejetée », au troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution, me semble manquer de précision. Philippe Bas nous a livré une analyse à laquelle je vous invite à être particulièrement attentifs : permettre au référendum d’initiative partagée de désavouer le Parlement conduirait au choc des légitimités dans toute sa splendeur. Il y a probablement des moyens plus habiles de concilier ces deux légitimités.
J’appelle également l’attention de mes collègues sénateurs sur un autre point : quand on dit « le Parlement », doit-on comprendre « l’Assemblée nationale et le Sénat », ce qui est l’usage classique ? Alors pourrait être envisagée une disposition en miroir de l’article 89 de la Constitution, qui requiert – le garde des sceaux l’a rappelé – l’accord des deux chambres, Assemblée nationale et Sénat. Je n’écarte pas la possibilité de réfléchir à une transposition de cette disposition dans le cas du référendum d’initiative partagée.
Si un tel référendum doit un jour être organisé et si le Parlement doit être saisi de la proposition de loi concernée, il me paraîtrait assez raisonnable que ce dernier puisse non seulement adopter, mais aussi amender le texte concerné, c’est-à-dire que la question posée aux Français puisse être examinée et complétée par le Parlement.
En ce qui concerne l’objet possible d’un tel référendum, la volonté d’inclure la politique fiscale dans le champ de l’article 11 me choque moins qu’elle n’a choqué M. le rapporteur ou M. le garde des sceaux. Il est vrai que la fiscalité est une prérogative traditionnelle du Parlement. Reste que le consentement à l’impôt est une base de la démocratie. À cet égard, interroger nos concitoyens sur un sujet fiscal ne me paraît pas forcément anormal.
Je sais gré à nos collègues du groupe socialiste de ne pas s’être aventurés sur le terrain d’une extension du champ référendaire aux sujets de société. Dans une telle hypothèse, on pourrait imaginer que soient organisés des référendums extrêmement clivants ; or demander qu’il soit répondu par oui ou par non à des questions complexes et très clivantes m’apparaît déraisonnable.
Se posent enfin des problèmes de délais. Tout référendum suppose à mon avis une certaine réflexion, et je ne serais pas opposé – j’y verrais même quelque avantage – à ce qu’un délai soit ménagé entre le moment où se déclenche l’obligation pour le Président de la République de soumettre un texte au référendum dans le cadre qui vient d’être décrit et le moment où a lieu la consultation proprement dite.
Moyennant ces observations, je suis peut-être un peu moins pessimiste que les orateurs qui m’ont précédé : le référendum d’initiative partagée n’est pas impossible dans notre pays et son utilisation pourrait en particulier être envisagée dans les périodes de cohabitation.