Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Référendum d'initiative partagée — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Quant à Marine Le Pen, elle ne proposait pas grand-chose, constitutionnellement parlant, sinon la possibilité de mettre en place un référendum d’initiative citoyenne qui permettrait de consulter les Français sur des sujets de société, en particulier – ô surprise ! – sur la priorité nationale et sur l’immigration. Toute ressemblance avec des propositions actuelles serait bien entendu fortuite !

Cette idée d’une consultation sur l’immigration a été temporairement reprise par Emmanuel Macron, qui l’a annoncée – avec le talent d’un horloger – en plein examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, avant finalement d’y renoncer.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il rebrousse chemin sur la question de la transformation de nos institutions. En 2019, il avait déjà proposé de modifier les modalités du champ référendaire et du référendum d’initiative partagée. Une fois de plus, il a enterré ces possibilités après les rencontres de Saint-Denis…

Dans la pratique française, le référendum est un instrument essentiellement présidentiel ; sa pratique est délaissée depuis plus de vingt ans. Cela distingue notre pays des autres démocraties occidentales, où le peuple peut se saisir d’un champ plus vaste de questions et où le recours à cet outil est bien plus fréquent.

Le problème du référendum, en France, tient au fait qu’il a souvent connu une dérive plébiscitaire, aussi bien sous l’Empire que par la suite. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué les travaux préparatoires de l’article 11 de la Constitution. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que ces travaux lui avaient, à l’origine, donné un champ beaucoup plus étendu qu’il ne l’est actuellement. Il n’a été restreint qu’à la suite de l’accord intervenu entre le général de Gaulle et les autres forces politiques. La volonté initiale du constituant était donc bien de faire en sorte que l’outil référendaire ait une certaine importance.

La France n’a pas connu de référendum depuis 2005, et ce malgré la création, en 2008, du référendum d’initiative partagée. Les six tentatives de recours à ce dernier ont toutes abouti à des échecs, quand bien même l’une d’entre elles a recueilli plus d’un million de signatures. Tous ces seuils, ces modalités, ces dispositions réglementaires ne sont plus des garde-fous : ce sont des murailles !

Pour notre part, nous ne nous satisfaisons pas de ce déficit démocratique. À nos yeux, le RIP n’est pas un outil contre la démocratie ; nous ne croyons pas non plus, pour reprendre une formule de Nicolas Sarkozy, que le peuple ne serait « pas assez intelligent » pour cet outil. Au contraire, nous soulignons tout l’intérêt du RIP.

On l’a souligné, l’article 3 de la Constitution divise la souveraineté du peuple entre, d’une part, ses représentants et, d’autre part, la voie du référendum. Si l’on n’utilise pas les outils démocratiques dont on dispose, on les remet en cause. C’est bien ce qui se passe avec le référendum d’initiative partagée. Il importe que les citoyens puissent donner leur avis !

Reprenons les arguments énoncés contre la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel.

Tout d’abord, selon M. le garde des sceaux, on ne saurait étendre le champ du référendum aux politiques fiscales, qui relèveraient exclusivement du Parlement. Mais c’est faire peu de cas des articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur l’égalité devant l’impôt et le consentement à l’impôt, eux-mêmes intégrés au bloc de constitutionnalité !

Je veux également répondre à nos collègues du groupe Les Républicains que la proposition de loi constitutionnelle qu’ils nous soumettront eux-mêmes dans quelques semaines ne s’encombre pas des mêmes subtilités, tant s’en faut. Nous divergeons simplement sur nos priorités : celle de la gauche est la justice fiscale, pour plus d’égalité ; celle de la droite est l’immigration !

On nous oppose que le seuil que nous proposons pour les signatures de citoyens requises afin de déclencher la procédure serait trop bas. D’autres pays, comme le Portugal, les Pays-Bas ou l’Italie, ont pourtant retenu des seuils comparables sans que cela leur pose de problème.

On nous objecte aussi que la possibilité d’une initiative citoyenne serait trop complexe. Je rappelle qu’une telle procédure avait déjà été proposée en 2008 par des députés socialistes, ainsi que par des sénateurs de droite, lesquels n’étaient pas a priori de dangereux zadistes !

Enfin, sur la question du verrou technique que représente aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi référendaire par les assemblées, nous avons abordé ce problème à plusieurs reprises. Le Sénat a d’ailleurs inscrit dans son règlement la possibilité d’une motion ad hoc pour éviter ce cas de figure. Une telle motion étant impossible à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi constitutionnelle vient lever ce dernier blocage.

Pour paraphraser Bertolt Brecht, ce n’est pas parce que le peuple vote contre le Gouvernement qu’il faut dissoudre le peuple. Nous réclamons la possibilité de rendre la parole aux citoyens. Pour cela, il nous faut leur donner des modalités d’expression et de participation.

C’est tout le sens de la proposition de loi constitutionnelle de Yan Chantrel et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Donner la parole au peuple, c’est lui reconnaître sa légitimité de constituant ; c’est donc rendre ses lettres de noblesse à la démocratie française !

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