Intervention de Lauriane JOSENDE

Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Référendum d'initiative partagée — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Lauriane JOSENDELauriane JOSENDE :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous connaissons tous l’histoire turbulente du référendum en France. Il a beaucoup été utilisé au XIXe siècle comme un outil plébiscitaire, souvent au détriment de la démocratie elle-même, ce qui a motivé l’encadrement de son usage par la Constitution de la Ve République. Ainsi, celle-ci a permis d’articuler l’exercice de la souveraineté nationale par le biais des représentants du peuple avec l’expression directe de la voix de ce dernier, dont la prise en considération est l’essence même de la démocratie.

Afin d’assurer cette conciliation entre le bon fonctionnement des mécanismes parlementaires et l’attente légitime de consultation des électeurs, la Constitution dispose donc non seulement, en son article 3, que la souveraineté nationale est exercée par les représentants du peuple et par la voie du référendum, mais aussi, aux termes de son article 39, que l’initiative des lois appartient concurremment – c’est important – au Premier ministre et aux membres du Parlement.

Souhaitant élargir les possibilités d’organisation d’un référendum d’initiative partagée, nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain proposent d’altérer cet équilibre constitutionnel des pouvoirs caractéristique de notre « démocratie à la française ».

Ainsi, la modification proposée des dispositions de l’article 11 relatives à l’ensemble des référendums soulève d’importantes questions, tant sur le plan de la technique juridique, comme l’a souligné M. le rapporteur, que sur le fond, eu égard à ce qu’implique un véritable débat démocratique.

Tout d’abord, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, la nature récente du dispositif du référendum d’initiative partagée, applicable de facto depuis huit ans seulement, limite notre capacité à tirer des conclusions définitives et péremptoires sur son fonctionnement.

Aussi la remise en question des seuils de saisine semble-t-elle prématurée, car ceux-ci ont précisément été conçus pour servir de filtre et éviter le contournement du Parlement.

Ensuite, les problématiques soulevées par l’ouverture de la possibilité de collecter les signatures avant le contrôle du Conseil constitutionnel suscitent des inquiétudes importantes quant au moment et aux modalités d’exercice de ce contrôle.

Cette inversion de logique pourrait avoir des conséquences au-delà d’un simple ajustement procédural. En effet, elle remet en question la séquence définie par le constituant, laquelle visait à assurer une articulation harmonieuse entre les différentes étapes du processus référendaire.

Aussi convient-il d’acter ici la nécessité d’une réflexion plus approfondie, comme beaucoup de mes collègues l’ont souligné avant moi. Pour une réforme aussi substantielle, il importe de prendre en compte les effets de toute révision de l’article 11 sur la cohérence de l’édifice juridique qu’est la Constitution et, a minima, sur ses articles 39 et 89.

Par ailleurs, la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise remplace le mécanisme de « mise au référendum contrainte » par une « mise au référendum obligée » dans tous les cas autres que le rejet par les deux chambres. Certains orateurs l’ont déjà souligné, ce mécanisme implique qu’un texte voté par les deux assemblées se trouvera, malgré cela, nécessairement soumis au référendum.

En l’état actuel du droit, un scrutin référendaire doublant le vote parlementaire n’est possible que pour les révisions constitutionnelles encadrées par l’article 89, procédures par nature exceptionnelles ; l’article 89 permet d’ailleurs de ne pas organiser de référendum en cas de convocation du Congrès.

Par ailleurs, ce texte ajoute une couche de complexité au dispositif existant en remettant en question l’importance du bicamérisme et le rôle de la navette parlementaire.

Au-delà, reconnaissons que toute modification de l’article 11 constitue un défi d’ampleur, qui exige un débat bien plus approfondi, sur chacun des points que j’ai évoqués ; dès lors, notre groupe estime que l’examen d’un tel texte au sein d’une niche parlementaire de durée limitée ne peut aboutir qu’à un débat tronqué.

L’existence de travaux concomitants du Sénat lui-même, dans le cadre du groupe de travail sur les institutions mis en place par le président Gérard Larcher, nous impose en outre d’attendre leurs conclusions. Si nous voulons des débats de qualité et pertinents, nous devons prendre le temps d’aborder tous ces sujets avec une grande prudence.

Le référendum d’initiative partagée doit demeurer un instrument équilibré, qui préserve l’intégrité de notre système représentatif tout en offrant aux citoyens une voie d’expression directe lorsque c’est véritablement utile.

En effet, la démocratie directe ne doit jamais servir de prétexte à une dévitalisation du parlementarisme, qui doit demeurer au cœur de nos institutions républicaines.

Mes chers collègues, nous serons unanimes à reconnaître que la proposition de loi constitutionnelle que nous soumettent aujourd’hui nos collègues socialistes a le mérite de montrer que le débat sur l’article 11 doit se tenir. Pour autant, elle est tout aussi inaboutie techniquement qu’inopportune.

Vous l’aurez compris, les modifications proposées soulèvent, en réalité, des questions de fond bien plus importantes qu’un simple abaissement des seuils de recours au référendum d’initiative partagée. Il convient donc de ne pas adopter ce texte, mais de poursuivre les échanges et les réflexions engagés dans le cadre des différentes instances républicaines et notamment ici, au Sénat.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Les Républicains suivront l’avis du rapporteur et ne voteront pas cette proposition de loi constitutionnelle.

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