Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis s’inscrit pleinement dans un mouvement amorcé en 2009 et destiné à mettre en œuvre les propositions de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard, qui avait rendu ses excellentes conclusions en juin 2008.
Outre la loi du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires et la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées, qui ont mis en œuvre nombre de ces préconisations, d’autres mesures significatives ont été adoptées dans différents textes. Je pense notamment aux dispositions insérées dans la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, qui a créé un « pôle famille » au sein des tribunaux de grande instance, ainsi qu’à la réforme du traitement du surendettement des particuliers, résultant de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation.
C’est donc à la lumière de l’ensemble de ces importantes réformes qui redessinent notre organisation judiciaire que le présent projet de loi doit être examiné.
Ce texte vise deux objectifs principaux : améliorer la répartition des contentieux, en procédant à une clarification de l’organisation judiciaire ; simplifier les procédures, en mettant en œuvre un allègement des règles en vue d’un traitement plus efficace des litiges.
Un effort de clarification et de simplification de la répartition des contentieux est donc au cœur du texte.
Cette clarification des compétences s’imposait comme une nécessité, après la réforme de la carte judiciaire, entrée en vigueur le 1er janvier dernier : la définition d’une carte judiciaire plus cohérente et mieux structurée constituait une première étape indispensable, mais elle devait s’accompagner d’une répartition plus claire et rationalisée des compétences.
Tel est bien l’objet de ce texte, qui offre une plus grande lisibilité aux juridictions de première instance, en clarifiant les compétences respectives des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance.
Cette plus grande lisibilité supposait par ailleurs la suppression de la juridiction de proximité créée par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice. En effet, la commission Guinchard a souligné la confusion et la complexité introduites, pour les justiciables et les praticiens, par l’existence de ce troisième ordre de juridiction.
Pour autant, à la lumière de l’expérience, l’apport des 672 juges de proximité dans la vie de nos tribunaux est indéniable. C’est pourquoi le Gouvernement a choisi de les maintenir et de les intégrer au sein des tribunaux de grande instance. Ce repositionnement contribuera à améliorer le dialogue et les échanges entre les juges professionnels et les juges de proximité.
Quelles seront les nouvelles missions des juges de proximité ?
Ils pourront participer aux audiences collégiales des tribunaux de grande instance, non plus seulement en matière pénale, mais aussi au civil, ce qui d’ailleurs leur permettra, dans ce domaine également, de procéder à des mesures d’instruction telles que transports sur les lieux ou auditions des parties ou des témoins.
Ils pourront en outre se voir confier la procédure non contradictoire d’injonction de payer, celle-ci relevant désormais du tribunal de grande instance au-delà du seuil de 10 000 euros.
Les juges de proximité conserveront enfin leur compétence s’agissant des contraventions des quatre premières classes.
La commission des lois du Sénat, sous l’impulsion de son rapporteur, dont je salue le travail de grande qualité, a approuvé les dispositions du texte sur ce point. Je sais qu’elle s’interroge encore sur certaines de leurs conséquences. Pour ma part, je suis très attaché à la cohérence de la réforme, mais nous en débattrons le moment venu.
Le texte tend aussi à un effort de spécialisation pour les contentieux les plus complexes et requérant un haut degré de technicité, afin d’améliorer l’efficacité des enquêtes et instructions et de réduire les délais de jugement.
Le projet de loi institue donc plusieurs pôles spécialisés en matière pénale. Je me réjouis que ces dispositions fassent l’objet d’un consensus, tant elles représentent une avancée d’importance pour les contentieux sensibles qui sont en cause.
Ainsi, un pôle national compétent pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre verra le jour au sein de la juridiction parisienne ; sur l’initiative de la commission des lois, il aura aussi compétence, et je m’en réjouis, pour les crimes de torture visés par la convention de New York du 10 décembre 1984.
Par cette spécialisation des magistrats et des enquêteurs, nous améliorerons le traitement des procédures en ce domaine.
En outre, à la suite de l’adoption d’un amendement du Gouvernement, le texte issu de la commission des lois prévoit des capacités d’enquête renforcées pour la recherche des auteurs de crime contre l’humanité et de crime de guerre.
L’ensemble de ces mesures, souhaitées par le Gouvernement, mais réclamées aussi par de nombreuses organisations non gouvernementales, constituent un signal fort de la volonté de la France de lutter contre les crimes les plus graves et de disposer des outils les plus efficaces pour assurer le respect de nos engagements internationaux.
Le projet de loi crée par ailleurs des pôles régionaux compétents pour les accidents collectifs.
L’expérience a en effet montré que la prise en charge « judiciaire » des grandes catastrophes pouvait s’avérer difficile. Par nature, ces événements peuvent survenir en tout lieu de notre territoire, parfois dans le ressort de petites juridictions ; je pense par exemple au dramatique incendie survenu dans le tunnel du Mont-Blanc ou à l’accident aérien du mont Sainte-Odile. Eu égard à leur ampleur et à la technicité des questions qu’elles soulèvent, ces affaires doivent pouvoir être instruites et jugées par des juridictions spécialisées. Les associations de victimes de ces accidents avaient d’ailleurs appelé de leurs vœux une telle évolution.
En matière d’organisation judiciaire, le texte procède à une modification importante de la justice militaire, en supprimant le tribunal aux armées de Paris et en attribuant à la juridiction parisienne la compétence pour les infractions commises en temps de paix hors du territoire de la République par les membres des forces armées ou à l’encontre de celles-ci.
La spécificité de ces infractions n’est pas niée, puisqu’elles seront jugées par les formations du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris spécialisées en matière militaire. Cette mesure de cohérence et de simplification est aussi importante symboliquement, car elle parachève l’intégration, en temps de paix, de la justice militaire dans la justice de droit commun.
Comme vous l’avez noté, monsieur le rapporteur pour avis, cette réforme est bien accueillie, tant par les magistrats et les auxiliaires de justice que par les militaires.
La commission de la défense a en outre saisi cette occasion pour procéder à quelques clarifications, qu’il s’agisse de déterminer la juridiction compétente pour les faits commis à bord des navires ou aéronefs ou de simplifier et d’harmoniser la définition de la désertion.
L’effort de clarification de notre organisation judiciaire se double d’un effort de clarification des procédures, qui constitue le second axe fort du projet de loi.
Les dispositions soumises à votre examen apportent des allégements de procédure tant en matière civile qu’en matière pénale. Elles ouvrent de nouvelles perspectives pour le règlement rapide et efficace des contentieux qui ne présentent pas de difficultés particulières.
Le texte permet ainsi de définir les juridictions compétentes pour connaître des demandes formées en application de deux règlements communautaires instaurant une procédure d’injonction de payer européenne et une procédure de règlement des petits litiges.
Par ailleurs, afin de prendre acte d’un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, je vous proposerai une adaptation de notre réglementation relative à l’inscription des experts sur les listes des juridictions.
Le texte étend également le champ des procédures pénales simplifiées : cette mesure de rationalisation permettra notamment de réduire les délais de jugement et par là même d’améliorer la pédagogie de la sanction pénale.
Comme l’a proposé la commission Guinchard, le projet de loi prévoit ainsi de développer le recours à l’ordonnance pénale, à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, à la procédure d’amende forfaitaire ou encore à la transaction pénale. Comme l’a souligné très justement M. le rapporteur Détraigne, le dispositif permet de réserver les audiences correctionnelles aux contentieux les plus complexes ou les plus sensibles.
Le texte du Gouvernement prévoyait que le recours à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité serait possible pour tous les délits, quelle que soit la peine encourue. J’ai cependant pris acte que la commission des lois du Sénat avait souhaité exclure du champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité les violences volontaires et involontaires contre les personnes, les menaces et les agressions sexuelles aggravées. La commission des lois du Sénat été bien inspirée, compte tenu du texte que je présenterai bientôt devant le Sénat.
L’ordonnance pénale pourra être utilisée pour de nombreux délits d’une gravité modérée, autres que ceux portant atteinte aux personnes.
L’amende forfaitaire sera étendue à certaines contraventions de cinquième classe et la transaction à certaines infractions en droit pénal de la santé publique, en droit de la consommation et en droit de la concurrence.
Je sais que ces procédures suscitent chez certains des réticences, mais je ne crois pas que celles-ci soient justifiées. Ces procédures ont en effet fait la preuve de leur efficacité et sont marquées par un souci constant du respect des droits des personnes et de la défense.
De plus, si ces procédures sont habituellement qualifiées de « simplifiées », je parlerai plutôt pour ma part de « procédures acceptées ». En effet, leur caractéristique commune est de ne pouvoir prospérer que si la personne poursuivie accepte la peine proposée par le procureur de la République dans le cas de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, décidée par le juge dans le cadre de l’ordonnance pénale ou prévue par la loi en cas d’amende forfaitaire. Or, quand elle est possible, il me semble qu’une peine acceptée est toujours préférable à une peine imposée.
Il n’y a donc pas lieu de craindre ces procédures qui sont entourées de nombreuses garanties, lesquelles sont sensiblement renforcées dans le présent projet de loi, notamment pour l’ordonnance pénale.
Le texte prévoit enfin deux modifications importantes en matière de divorce : la première concerne le divorce par consentement mutuel, la seconde l’expérimentation du recours préalable obligatoire à la médiation familiale.
Le texte du Gouvernement reprend tout d’abord une des recommandations phares du rapport de la commission Guinchard, qui avait été adoptée à l’unanimité de ses membres. Il prévoit en effet que la comparution personnelle des époux devant le juge aux affaires familiales ne sera plus obligatoire dans le seul cas du divorce par consentement mutuel de couples sans enfants mineurs en commun.
La commission des lois du Sénat a supprimé cette disposition. Aux yeux du Gouvernement, pourtant, elle est respectueuse des droits des parties.
À cet égard, je veux souligner que le contrôle du juge reste intact : il devra évidemment, dans tous les cas, s’assurer de l’intégrité du consentement de chacun des époux et du respect des intérêts de chacun d’entre eux dans la convention de divorce.
En outre, l’accès au juge pour les parties sera de droit dès lors que l’un des époux en fera la demande. Le juge, dès lors qu’il l’estimera nécessaire, pourra aussi organiser cette comparution de sa propre initiative. Enfin, la comparution des époux restera obligatoire lorsque le juge envisagera de refuser l’homologation de la convention.
Au fond, la mesure, soigneusement encadrée, aura la vertu de permettre aux juges aux affaires familiales de se concentrer davantage sur les cas les plus sensibles ou les plus complexes.
Le projet de loi tend également à prévoir une plus grande transparence des prix pratiqués en matière de divorce par consentement mutuel. La commission des lois du Sénat a souhaité aller plus loin en généralisant l’obligation, pour l’avocat, d’établir une convention d’honoraires obligatoire dans tous les cas de divorce. Par ailleurs, elle a souhaité maintenir, à juste titre, un barème indicatif établi par le garde des sceaux sur avis du Conseil national des barreaux. L’amendement que vous présentera M. le rapporteur viendra opportunément préciser ce dispositif.
Enfin, vous le savez, le Gouvernement s’attache à développer une véritable culture de la médiation et de la conciliation : c’est dans cette perspective que le projet de loi prévoit d’expérimenter, en matière familiale, un dispositif de médiation obligatoire avant toute saisine du juge, sous peine d’irrecevabilité de la demande.
En effet, la médiation, qui permet de renouer le dialogue entre parents séparés, facilite la conclusion d’accords équilibrés. La sensibilité du contentieux familial rend d’autant plus nécessaire la recherche de l’adhésion des parents, indispensable à la bonne exécution des engagements pris.
Ce dispositif, recommandé à l’unanimité par la commission Guinchard, ne s’appliquera que lorsque le juge aura déjà statué une première fois sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale ou sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Ainsi, l’accès direct au juge n’est pas remis en cause par l’expérimentation pour les cas où il n’a jamais eu à connaître de la situation d’une famille.
Par ailleurs, la médiation préalable obligatoire ne sera pas exigée lorsque les parents sont d’accord sur les modifications envisagées ou si un motif légitime est invoqué. Ce critère permettra de répondre à la diversité des situations qui pourraient se présenter, afin d’assurer l’accès effectif au juge.
La commission des lois du Sénat a souhaité étendre les dérogations à ce dispositif au cas où un parent déclare ne pas s’opposer à la demande de l’autre ou lorsque la médiation ne peut être mise en œuvre dans un délai raisonnable, mais ces rédactions me paraissent pouvoir être précisées.
En effet, si l’accord des parties justifie pleinement de leur éviter un recours à la médiation, ce n’est pas nécessairement vrai dans le cas d’une simple absence d’opposition de l’une d’elles, notamment si celle-ci n’est pas présente ou représentée lors de l’audience. C’est précisément le cadre de la médiation qui permettra de s’assurer de la réalité de l’absence d’opposition. Par ailleurs, la référence au délai raisonnable me semble pouvoir trouver sa place parmi les motifs légitimes permettant l’accès direct au juge. Je vous présenterai donc un amendement sur ces sujets.
Certains ont exprimé des craintes quant à ce nouveau dispositif, mais je le crois utile et équilibré : tout d’abord, nous connaissons tous les limites du « tout judiciaire », et les modes alternatifs de règlement des conflits ont fait la preuve de leur efficacité et de leur pertinence ; ensuite, l’expérimentation permettra de tester l’efficacité de cette nouvelle mesure et d’appréhender très précisément les besoins et les améliorations nécessaires à sa généralisation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je serai également amené à vous présenter d’autres amendements.
En effet, le Gouvernement souhaite abroger la loi du 12 juillet 1909 relative aux biens de famille insaisissables.
Il entend également instaurer un nouveau dispositif permettant d’adapter, le moment venu, en accord avec la profession, le régime de la postulation des avocats devant les tribunaux de grande instance. En effet, la modification au cas par cas, au niveau de la loi, de l’étendue du monopole de postulation des différents barreaux ne satisfait personne, comme l’expérience récente l’a encore montré. Je vous proposerai donc, en lieu et place de ce qui a été voté il y a quelques semaines, un dispositif solide qui permettra de traiter ces questions dans la sérénité et la concertation.
Le Gouvernement souhaite enfin assouplir les exigences de domiciliation en matière de célébration du mariage, en permettant désormais que les unions de nos enfants puissent être célébrées dans les communes de résidence de leurs parents. Cet amendement répond à une demande forte des élus, notamment en milieu rural, et je suis heureux de vous le présenter.
La commission présidée par le recteur Guinchard appelait à l’ambition d’une « justice apaisée », apaisée pour le justiciable, apaisée pour tous les acteurs judiciaires. Par ses avancées nombreuses, le texte soumis à votre examen constitue, me semble-t-il, un pas significatif dans ce sens, vers une justice qui soit mieux comprise, plus accessible. Grâce aux allégements et aux clarifications que nous proposons, elle verra son fonctionnement substantiellement amélioré.
Cette ambition d’une justice efficace et de qualité est aussi la vôtre. Le présent texte nous donne des clés pour la réaliser, et je sais pouvoir compter sur la qualité de vos débats pour donner toute leur ampleur à ces évolutions.