Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles trouve essentiellement son inspiration dans le rapport de la commission sur la répartition des contentieux, présidée par le recteur Guinchard, qui a été remis au garde des sceaux en juin 2008 et dont plusieurs propositions ont déjà été reprises par le Parlement.

Ce texte embrasse des sujets aussi divers que ceux dont connaît chaque jour la justice, et ce nouveau mouvement de simplification et d’allègement des procédures intervient au moment où l’institution judiciaire est confrontée à de profondes mutations.

La réforme de la carte judiciaire à peine achevée au début de cette année, nombre de juridictions doivent gérer une pénurie des moyens humains et matériels et sont notamment conduites à supprimer, dans les derniers mois de l’année, les audiences des juges de proximité ou leur participation, en tant qu’assesseurs, aux formations collégiales des tribunaux correctionnels, faute de crédits pour payer leurs vacations.

Cette situation doit être prise en considération lorsqu’il s’agit de modifier l’organisation judiciaire ou d’alléger les procédures, car il importe de vérifier que la mise en œuvre des mesures envisagées va bien se traduire par un meilleur fonctionnement de l’institution judiciaire.

Si l’objectif d’efficacité doit être pris en compte, cela ne doit pas pour autant conduire à négliger des exigences aussi fondamentales que l’accès de tous à la justice ou le droit à un jugement dans un délai raisonnable. C’est dans cet esprit que la commission des lois a examiné le présent texte.

J’évoquerai principalement, à cette tribune, quatre thèmes du projet de loi qui me paraissent essentiels : la suppression de la juridiction de proximité et la redéfinition des missions du juge de proximité ; la création de nouvelles juridictions spécialisées ; l’extension du recours aux procédures de jugement rapides, simplifiées ou « acceptées », pour reprendre le terme employé par le garde des sceaux ; enfin, l’allègement des règles de procédure en matière familiale.

S’agissant en premier lieu de la suppression de la juridiction de proximité et de la redéfinition des missions du juge de proximité, selon le rapport Guinchard, la juridiction de proximité, créée en 2002-2003, n’a pas atteint l’objectif ambitieux qui lui avait été assigné de réconcilier la justice avec les usagers. Aussi la commission Guinchard a-t-elle préconisé la suppression pure et simple de cette juridiction.

Tout en reprenant cette préconisation, le Gouvernement propose cependant de maintenir les juges de proximité en les rattachant au tribunal de grande instance, ce qui leur permettrait de travailler au contact des juges professionnels. Cette réforme tend donc à maintenir les fonctions des juges de proximité pour statuer en matière pénale, mais à supprimer leurs compétences en matière de contentieux civil.

Le projet de loi retire ainsi aux juges de proximité leur compétence en matière de contentieux civil relatif aux actions personnelles ou mobilières jusqu’à une valeur de 4 000 euros, mais pas leur compétence en matière pénale pour statuer sur les contraventions des quatre premières classes.

La commission a considéré que l’augmentation des moyens des tribunaux d’instance constituait une condition nécessaire de la suppression des fonctions des juges de proximité au contentieux civil.

En effet, cette réforme ne pourra être mise en œuvre sans que des moyens supplémentaires soient accordés aux tribunaux d’instance, qui vont subir, en raison du départ des juges de proximité, le transfert de plus de 100 000 affaires civiles nouvelles. On peut d’ailleurs estimer à une soixantaine d’emplois équivalent temps plein de magistrat les besoins des tribunaux d’instance de ce fait. J’aimerais donc, monsieur le garde des sceaux, vous entendre à ce sujet…

La commission des lois a également approuvé l’extension au tribunal de grande instance de la procédure d’injonction de payer, afin de simplifier l’exercice de l’opposition par le défendeur lorsque la requête en injonction de payer porte sur un montant supérieur à 10 000 euros. Elle souhaite toutefois compléter cette disposition, pour assurer une procédure uniforme dans ce domaine et ne pas exposer les justiciables à des dépenses supplémentaires dans la mesure où la présentation d’une requête devant le tribunal de grande instance nécessite le recours à un avocat.

En deuxième lieu, le projet de loi tend à créer de nouvelles juridictions spécialisées afin de renforcer l’efficacité de la justice pénale dans des contentieux qui se distinguent par leur complexité et leur technicité.

Seraient ainsi créés un pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre au sein du tribunal de grande instance de Paris, d’une part, et des juridictions spécialisées pour les accidents collectifs, d’autre part.

La commission a souhaité étendre la compétence et les moyens du nouveau pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l’humanité. Elle a, en effet, voulu lui attribuer compétence, d’une part, en matière de crimes et délits de guerre, qui ont été inscrits dans notre code pénal en 2010, et, d’autre part, en matière de crimes de torture, tels que visés par la convention de New York du 10 décembre 1984. Elle a également voulu lui permettre d’utiliser les mesures d’investigation prévues dans le code de procédure pénale pour le pôle spécialisé en matière de criminalité organisée et de terrorisme, telles que l’infiltration et la sonorisation.

La commission a par ailleurs adopté une disposition visant à faciliter les investigations à l’étranger des magistrats chargés de l’instruction de ces crimes et délits, afin de leur permettre de conduire eux-mêmes, dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, l’audition de témoins dans un État étranger.

J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, qu’il paraît indispensable à la commission qu’une équipe de magistrats puisse se consacrer exclusivement à ce type d’affaires et que des enquêteurs spécialement consacrés aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre soient mis à sa disposition.

En outre, en complément à la création de juridictions spécialisées en matière d’accidents collectifs, la commission des lois a inséré deux articles additionnels précisant les dispositions permettant aux associations et aux fédérations d’associations de défense des victimes d’accidents collectifs d’obtenir des dommages et intérêts.

En troisième lieu, la commission a souhaité préciser l’extension du recours aux procédures simplifiées de jugement.

Le projet de loi prévoit d’étendre le champ de trois procédures pénales simplifiées : l’ordonnance pénale, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC, et les contraventions.

Si les procédures simplifiées de traitement des affaires pénales se sont bien développées et permettent de réserver les audiences correctionnelles aux contentieux les plus complexes ou les plus sensibles, elles doivent concilier droits de la défense et droits de la victime. À cet égard, la commission a approuvé les dispositions du projet de loi tendant à étendre, de façon limitée, le champ de ces procédures, sous réserve toutefois de plusieurs aménagements.

Dans un souci de pédagogie de la réponse pénale et afin de mieux prévenir la récidive, la commission a précisé que l’ordonnance pénale ne pourra pas être utilisée lorsque les faits auront été commis en état de récidive légale.

Par ailleurs, elle a souhaité que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui est étendue pour certaines infractions punies de peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement, en matière de trafic de stupéfiants ou d’escroquerie par exemple, ne puisse pas être utilisée dans les cas les plus graves d’atteintes aux personnes. En effet, le préjudice subi par la victime dans de telles affaires suppose que la culpabilité de la personne mise en cause puisse être systématiquement discutée contradictoirement devant le tribunal correctionnel.

La CRPC offrant un outil utile pour le règlement d’affaires dans lesquelles l’auteur des faits reconnaît sa responsabilité et accepte la sanction proposée, la commission a en outre souhaité autoriser sa mise en œuvre, sur l’initiative du juge d’instruction et avec l’accord de l’ensemble des parties, lorsque les faits reprochés à la personne mise en examen constituent un délit.

Sur la proposition d’extension de la procédure de forfaitisation aux contraventions de cinquième catégorie, la commission des lois a émis un avis favorable. Cependant, elle a souhaité exclure du champ de cette extension celles des contraventions qui deviennent un délit lorsqu’elles sont commises en état de récidive légale.

S’agissant de la transaction pénale, la commission a estimé que le recours à cette procédure dans certains contentieux techniques permettrait d’offrir à l’autorité administrative habilitée à engager des poursuites un outil de réponse efficace et dissuasif, sous le contrôle du parquet. C’est pourquoi elle a souhaité étendre le champ de cette procédure en matière de droit de la concurrence et de la consommation, d’une part, et en matière de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, d’autre part.

En quatrième lieu, je voudrais insister sur l’allègement des règles de procédure en matière familiale.

La commission des lois a rejeté la disposition tendant à dispenser de comparution devant le juge aux affaires familiales les couples sans enfant mineur dans le cadre du divorce par consentement mutuel. L’article 13 du projet de loi prévoyait en effet que ces derniers n’auraient plus à comparaître personnellement et systématiquement devant le juge.

La commission considère que la réforme de 2004 est déjà allée très loin en matière de simplification procédurale pour les parties. Ainsi, la durée moyenne de l’audience, toutes phases comprises, n’est-elle plus que de vingt à vingt-cinq minutes.

Il me paraît nécessaire que la séparation d’un couple marié soit entourée d’une certaine solennité, symétrique de celle du mariage, qui n’est ni l’union libre ni le PACS, quand bien même les parties se seraient entendues sur tous les aspects de leur divorce. Car le divorce, à l’instar du mariage, n’est pas un acte banal, et il ne doit pas en devenir un !

Par ailleurs, l’entrevue des époux avec le juge permet à celui-ci de s’assurer de la réalité du consentement de chacun des conjoints, de l’absence de contraintes plus ou moins directes s’exerçant sur lui et de sa compréhension des effets du divorce tels que la convention conclue avec l’autre partie les organise.

La commission a donc souhaité maintenir des procédures garantissant l’équilibre entre les parties et l’accès effectif à un juge dans le cadre du divorce par consentement mutuel.

En outre, à l’article 14, relatif à la régulation des honoraires d’avocat pour la procédure de divorce par consentement mutuel, la commission a voulu améliorer la prévisibilité des honoraires à acquitter. Elle a donc choisi un dispositif plus contraignant, mais conciliable avec la liberté de fixation des honoraires.

La convention d’honoraires serait obligatoire pour toutes les procédures de divorce, ce qui reste compatible avec la liberté contractuelle, mais les justiciables pourraient s’appuyer sur un barème indicatif élaboré par la Chancellerie en collaboration avec le Conseil national des barreaux à partir des usages observés. Ce point pourra être précisé lors de nos débats.

La commission a par ailleurs encadré l’expérimentation, proposée pour trois ans, de l’obligation de recourir à la médiation familiale pour les actions tendant à faire modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale fixées par une décision de justice.

Aux termes du projet de loi, la saisine du juge aux fins de modification de ces mesures devrait par conséquent être précédée, à peine d’irrecevabilité, par une tentative de médiation, sauf si les parents sont d’accord sur les modifications envisagées ou si un motif légitime justifie une saisine directe du juge.

Le développement de la médiation familiale est une bonne chose, mais il requiert des moyens importants qui n’existent pas aujourd’hui.

Dans le cadre de l’unique expérimentation, qui doit être menée dans cinq départements, 5 169 dossiers actuellement traités directement par les juges aux affaires familiales devraient faire l’objet d’une médiation préalable. L’expérimentation nécessiterait donc à elle seule 103 équivalents temps plein travaillé de médiateurs familiaux supplémentaires. Si celle-ci devait être généralisée à l’ensemble du territoire national, il serait nécessaire de recruter l’équivalent de plus de 1 700 équivalents temps plein travaillé de médiateurs familiaux, soit six fois l’effectif actuel.

La commission a donc souhaité éviter qu’un allongement des délais pour obtenir un rendez-vous dans un service de médiation familiale, faute de moyens suffisants pour répondre aux attentes, ne retarde excessivement le règlement d’un conflit qui risquerait de s’envenimer encore plus. C’est pourquoi elle a précisé que l’obligation de médiation préalable pourra être écartée si, compte tenu des délais dans lesquels cette médiation est susceptible d’intervenir, les parties courent le risque d’être privées de leur droit d’accéder au juge dans un délai raisonnable. Elle a en outre souhaité exempter les parents de l’obligation de médiation préalable lorsqu’ils déposent conjointement une demande de décision relative aux modalités d’exercice de l’autorité parentale ou lorsque l’un d’eux a déposé la demande et que l’autre ne s’y oppose pas.

Telles sont les principales modifications que la commission des lois a souhaité apporter à ce texte.

Ce projet de loi contient des mesures intéressantes et va certainement dans le sens d’une clarification et d’une amélioration du fonctionnement de notre justice. Encore faut-il veiller à sauvegarder l’équilibre entre les mesures proposées et les moyens qui seront consacrés à leur mise en œuvre, et faire en sorte que la simplification des procédures juridictionnelles ne se traduise pas par une banalisation de certaines d’entre elles, ce qui amoindrirait leur impact.

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